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sur 604 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Il existe un fleuve dont les eaux donnent l'immortalité; il doit donc y avoir quelque part un autre fleuve dont les eaux l'effacent."
Ou encore, comme nous le rappelle Borges, en citant les livres hermétiques - "ce qu'il y a en bas est identique à ce qu'il y a en haut" - et vice versa.

Dans le musée d'art moderne au Centre Pompidou il y a un bien étrange objet. C'est une caisse métallique remplie de miroirs triangulaires, qui se renvoient votre reflet entre eux - c'est donc une image dans un miroir reflétée par la multitude d'autres miroirs; un labyrinthe fait des mêmes images, reflétées et entremêlées à l'infini...
Cela s'appelle "Mirror Vortex" - et c'est encore le meilleur exemple que j'ai trouvé pour vous décrire l'univers de "L'aleph".

Fidèle à ses thèmes de prédilection, Borges les aborde à nouveau dans ce recueil de contes philo-métaphysiques. La quête éternelle de l'immortalité, le multiple et l'unique, la recherche de l'absolu... le thème de "double", si présent dans son "Livre de sable", glisse ici vers "l'éternel" et "l'universel"; nous nous promenons dans les labyrinthes réels et psychiques à la fois.

Malheureusement (ou heureusement ?), l'homme se situe entre les deux "fleuves" mentionnés plus haut - d'où sa recherche perpétuelle de quelque chose d'impossible à atteindre...
Comme dans l'histoire de ce noble aventurier de "L'immortel", qui part à la recherche de la cité perdue - pour, finalement, apercevoir une infime partie de la vérité... l'immortalité est un fardeau; il ne sert à rien de construire des cités qu'on abandonne par lassitude. La perspective fatigante de l'éternité devant, on abandonne toute action, on s'endort...
Etrange hasard - je lisais Lovecraft en même temps, et j'ai trouvé frappante la similitude entre son histoire "La cité sans nom" et "L'immortel". La "cité" est toujours là, abandonnée depuis... le temps est tellement relatif ! - ainsi que ses créateurs qui peuvent resurgir dans une heure... dans dix mille ans ? - pour eux, ça n'a aucune importance ! Même le mot "jamais" n'a peut-être plus le même sens...

Les notes en marge des histoires de Borges sont, comme toujours, un joyeux mélange de vrai et de faux, et en font une partie intégrante. (Encore une chose en commun avec Lovecraft, mais il suffit !)
On passe un moment avec le savant Averroës, qui peine avec la traduction d'Aristote et les mots "tragoedia" et "comoedia" - car le concept même de théâtre lui est inconnu. Il discute, à son insu, le théâtre avec ses amis - mais la réponse lui vient d'ailleurs - car le "theatrum mundi", même sans connaître l'expression, est un concept universel.
On suit une dispute érudite pour condamner au bûcher un homme qui est une "idée", une "somme", ou le "reflet" des autres hérétiques - " Si l'on réunissait ici tous les bûchers que j'ai été, ils ne tiendraient pas sur terre et les anges en seraient aveuglés." - une dispute dont le gagnant se rend compte qu'il utilise les phrases de son adversaire pour le contredire !
On trouve un "Zahir" - mais attention, c'est dangereux ! Ca vous fait réfléchir sur l'argent d'une façon dont vous ne le faites pas habituellement.

Et peut-être que sur la dix-neuvième marche de l'escalier qui mène dans votre cave, sous un angle bien précis, vous verrez "l'Aleph" - "le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l'univers, vus de tous les angles".
Alors, vous comprendrez TOUT - mais je ne sais pas si je vous le souhaite !


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Il est toujours un plaisir pour moi de lire Borges. J'ai lu avec délectation chacune des nouvelles composant ce recueil.
Borges, toujours fidèle à son style et à sa magie, transporte son lecteur dans des lieux extraordinaires à la découverte de choses et d'histoires fabuleuses. Il le mène avec sa ruse borgésienne multipliant les références et les noms. Il ne raconte pas, Borges construit des labyrinthes.

De la nouvelle métaphysique (si l'on veut) à la nouvelle policière, au conte philosophique mais aussi mythologique, on se perd pour se retrouver, comme disait Claude Mauriac, plus intelligent.

Pour Borges, qui a toujours beaucoup lu, tout est imprégné de littérature universelle. Chaque acte s'explique par la littérature et trouve un écho en elle, chaque être a un double littéraire ou mythologique. Dans les nouvelles de Borges rien n'est écrit au hasard, chaque phrase a son importance dans la construction. Assoiffé de savoir et de découverte, Borges poursuit sa recherche de l'absolu, de l'ultime, du tout qui réunit toutes les connaissances de l'univers, tous les lieux, tous les objets, de la phrase qui résume tout le mystère de l'existence. Pour lui ; le monde est un vrai labyrinthe insondable, qui garde ses secrets, et tout homme représente tous les hommes dans un jeu de symétries.

L'une des nouvelles, "La Demeure d'Astérion" m'a rappelé curieusement un chapitre d'"Eloge de la marâtre" de Vargas Llosa où le narrateur est un monstre qui est la "Tête I" peinte par Francis Bacon. Les deux personnages sont des monstres inspirés de tableaux et de la mythologie, sont naïfs, sympathiques et pathétiques.
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« L'Aleph », qui désigne la première lettre de l'alphabet hébreu, est un recueil de nouvelles publié en 1949 par Jorge Luis Borges et traduit par Roger Caillois. Si ce recueil est moins connu que le célèbre « Fictions » qui parut en 1944, il restera selon son traducteur émérite, « comme le recueil de la maturité de Borges conteur ».

Pour appréhender cet ouvrage, il faut tout d'abord établir que Borges n'écrit pas des nouvelles au sens où on l'entend habituellement, au sens où Raymond Carver, John Cheever, Stefan Zweig et tant d'autres écrivent de courts récits dans un format condensé qui leur confère une force de percussion que ne permet pas le roman.

Les textes de Borges, témoignent d'une érudition étonnante, et abordent des thèmes souvent vertigineux tels que l'ubiquité, la réalité, l'identité, la nature de l'infini, ou encore l'éternité. On y retrouve une forme d'obsession pour les labyrinthes aux méandres inextricables (« Le jardin aux sentiers qui bifurquent »), la circularité au sens quasi-métaphysique du terme (« Les ruines circulaires ») ainsi que la dualité qui traverse tant de personnages borgésiens (« Le guerrier et la captive »).

Pour caractériser les textes recueillis dans « Fictions » ou dans « L'Aleph », il faudrait reprendre la formule de Roger Caillois qui désigne l'auteur argentin comme l'inventeur du « conte métaphysique ». Borges se soucie en effet assez peu du réalisme de l'intrigue souvent minimaliste de ses textes, qui ont essentiellement pour objet d'explorer l'un des thèmes exposés plus haut et de plonger son lecteur dans une sorte de vertige métaphysique.

Ainsi que l'explique Caillois dans le quatrième de couverture, « L'Aleph » est un recueil de « nouvelles » qui sont plus incarnées, « moins roides, plus concrètes » que ses récits précédents qui évoquent davantage « des exposés quasi-axiomatiques d'une situation abstraite ». S'il ne renie pas son goût pour une exploration vertigineuse de ses thèmes de prédilection, l'auteur de « L'Aleph » se fait davantage conteur, et donne une touche plus humaine à ses récits, notamment lorsqu'il aborde la question de la vengeance dans le très beau « Emma Zunz ». C'est sans doute la grande réussite de ce superbe recueil, réussir à incarner ses personnages, à dérouler de véritables intrigues, sans jamais renier une forme d'ambition métaphysique qui se traduit à travers l'obsession de l'auteur pour les jeux de miroirs, les labyrinthes, la dualité, ou l'éternité.

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Le texte qui suit propose une analyse plus détaillée du premier texte du recueil, « L'Immortel », qui est également l'un des écrits les plus célèbres de Jorge Luis Borges.

Le narrateur, un soldat romain nommé Flaminius Rufus, y rencontre un cavalier mourant, à la recherche du fleuve « qui purifie les hommes de la mort », situé selon lui en « Extrême Occident, où se termine le monde » et au côté duquel s'élève la « Cité des Immortels ». Fasciné par la possibilité de devenir immortel, notre héros va entreprendre de trouver le fleuve en question, avec le soutien de deux cents soldats et de plusieurs mercenaires.

A l'issue d'une longue quête qui le laisse seul et à moitié mort, Flaminius finit par atteindre le fleuve, boire son eau et inspecter la toute proche Cité des Immortels. Cette dernière ressemble à un labyrinthe monstrueux, à une construction insensée d'hommes ou de dieux devenus fous. Les immortels qui vivent au bord du fleuve ont cessé depuis longtemps de parler, et ne font qu'accomplir les tâches les plus élémentaires d'une vie qui a depuis longtemps perdu toute signification.

L'un d'entre eux, aussi humble que miséreux, suit Flaminius à la manière d'un chien, si bien que le soldat romain le surnomme « Argos », en mémoire du vieux chien mourant de l'Odyssée. Ce surnom semble raviver la mémoire de l'immortel, qui recouvre la parole pour révéler son identité : il est Homère, l'homme qui écrivit mille cent ans plus tôt l'Odyssée.

En quelques lignes, Borges résume le destin épique de Flaminius jusqu'en l'an de grâce 1921, où ce dernier fait escale dans un port d'Érythrée et boit, comme il en a l'habitude, l'eau d'un ruisseau d'eau clair qui coule dans les environs. En remontant sur la berge, un arbuste épineux lui déchire le dos de la main et Flaminius comprend avec un immense soulagement qu'il vient de boire l'eau du fleuve qui ôte l'immortalité.

La nouvelle se termine par un paragraphe en forme de facétie toute borgésienne, qui interroge a posteriori l'identité du narrateur, et conclut que l'auteur des lignes qui précèdent est trop lettré pour un soldat, et s'intéresse davantage au destin des hommes qu'à la pratique de la guerre. Bref, il ne s'agit pas de Flaminius Rufus mais d'Homère lui-même.

« Quand s'approche la fin, il ne reste plus d'images du souvenir ; il ne reste que des mots. (...) J'ai été Homère ; bientôt je serai Personne, comme Ulysse ; bientôt je serai tout le monde : je serai mort ».

« L'Immortel » présente la particularité de mêler une authentique ampleur narrative avec le dessein métaphysique qui traverse l'oeuvre de son auteur.

Le lecteur est d'abord happé par la quête du soldat romain, par son accession à l'immortalité, avant de partager son immense déception devant le non-sens absolu qu'elle représente, symbolisé par l'atrocité labyrinthique qu'est en réalité la Cité des Immortels. Il finit soulagé pour le narrateur lorsque celui-ci recouvre sa condition de mortel, avant d'être désorienté par le dénouement qui remet en question l'identité de ce dernier.

Tout le génie de Borges est d'introduire une forme de réflexion purement spéculative au coeur même de son récit. Il parvient à nous faire ressentir l'absurdité absolue que représenterait une vie réellement éternelle, et le retour à un état quasi végétatif qu'elle engendrerait. On saisit d'ailleurs, à l'instar du héros, à quel point le statut d'immortel n'est absolument pas souhaitable. L'obsession mathématique de l'auteur pour le principe de symétrie sauve le narrateur : s'il existe un fleuve qui rend immortel, alors il en existe un autre qui permet de recouvrer la condition de mortel. Une autre obsession récurrente, très présente dans le recueil, est la dualité ; elle s'exprime ici dans la pirouette finale, qui voit se confondre les destinées du soldat Flaminius et de l'homme de lettres Homère.

Vertige métaphysique face aux implications d'une vie éternelle, recours à une symétrie quasi axiomatique, obsession pour la dualité au sein de laquelle se dissout l'identité, les principaux ingrédients du génie borgésien fécondent pour notre plus grand plaisir cet authentique chef d'oeuvre que constitue « l'Immortel ».
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Il s'agit d'un recueil de 17 nouvelles, parues en revue entre 1944 et 1952. La dernière nouvelle donne son titre à l'ensemble, titre qui renvoie à la première lettre de l'alphabet hébreux.

Nous retrouvons dans ces récits les motifs borgésiens : labyrinthe, miroir, songe… Borges réécrit sans cesse les mythes, les réinterprète, les recombine… le monde qu'il décrit est étrange, irréel et pourtant terriblement dense. Un monde où le lien avec le divin est brisé, mais où un écho de ce lien semble subsister, resurgir. La théologie en devient une sorte de variante du fantastique.

L'intellect, la connaissance paraissent être proches de l'imaginaire, de la fiction. Rien n'est certain tout est possible. L'identité individuelle semble se dissoudre , par dédoublement, multiplication, réversibilité. le traître est la même personne que le héros, le saint est une autre expression de l'hérétique. le moi est un mirage. Tout homme est autre, autant dire aucun. Nous sommes au coeur d'un scepticisme généralisé, exprimé par une ironie distante.

La littérature est une fabulation, un artifice, elle ne peut saisir que que des chimères, des cauchemars, des songes, voyager dans les terres mouvantes de l'incertain, de l'indéterminé. La fiction borgésienne ne prétend pas dire le réel, indicible par définition, mais nous proposer un voyage, vers nulle par, vers nous même. Un voyage à recommencer sans cesse, dans une répétition qui n'en est pas une. Car en changeant un petit détail, un angle de lecture, un état d'esprit, d'autres combinaisons et possibles apparaissent, nous menant vert d'autres territoires, insoupçonnés jusque là.
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L'Aleph (en espagnol : El Aleph) est un recueil de dix-sept nouvelles écrit par Jorge Luis Borges, éditées séparément entre 1944 et 1952 dans différents périodiques de Buenos Aires. le titre du livre est celui de la dernière nouvelle. C'est une accumulation assez hétéroclite. On y retrouve plusieurs thèmes, la métaphysique, la littérature, les labyrinthes, l'infini et la mort, avec aussi plusieurs cadres, l'Antiquité gréco-latine, l'Orient médiéval et bien sûr l'Amérique du Sud. Celle qui m'ont le plus séduit, ce sont celle où l'on retrouve l'esprit fantastique cher à la littérature sud américaine, comme “L'autre mort”, j'ai eu un peu plus de mal à entrer dans les considérations métaphysiques et religieuses de certaines, mais l'ensemble est d'une belle richesse, parfois poétique, ce recueil aspire à la réflexion, la connaissance. Et comme dans les nombreux labyrinthes que l'on trouve dans ses histoires, il n'est pas désagréable de s'y perdre en flânant parmi les mots. A lire et à relire.
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Premier livre de cet immense auteur qu'est Borges que je lis ! Et contrairement à ce que je pensais, c'est parfaitement lisible !

Il faut dire que j'ai choisi un recueil de nouvelles, même si ce n'est pas mon genre de prédilection et que le quatrième de couverture annonçait que le style était moins roide qu'à l'accoutumée. Il y avait même cette fois des personnages, fussent-ils anonymes.

Quelle belle écriture, malgré la traduction ! Cela coule et se lit sans problème quant à la forme.

Je ne suis pas l'éditeur quand il indique que la plupart des nouvelles sont empreintes de fantastique. Je dirais plutôt de rêverie ou de fantasmagorie.

Sur le fond, cette lecture suppose une érudition qui n'est pas mienne et j'ai souvent dû aller sur Wikipedia pour apprendre qui était Cybèle ou l'une ou l'autre référence principalement à l'antiquité. Ce n'est pas gênant en soi, mais c'est sans doute là la raison de ma cote un tout petit peu inférieure, mais très légèrement, à cinq étoiles.
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N° 1431 - Février 2020.

L'AlephJorge Luis Borges – Gallimard.
Traduit de l'espagnol par Roger Gallois et et René LF Durand.

Le titre tout d'abord évoque la première lettre de l'alphabet hébreux, elle-même issue de l'écriture phénicienne et on peut y voir une idée de début de quelque chose puisque, dans les autres alphabets cela aurait donné le A. En mathématiques c'est « Le nombre d'éléments d'un ensemble infini », une sorte d'idée d'α et d'ω. Dans cette nouvelle éponyme l'auteur nous confie que c'est « l'un des points de l'espace qui contient tous les points… le lieu où se trouvent sans se confondre, tous les lieux de l'univers ». Pour Borges on pourrait le définir comme le concept d'un savoir impossible où se croisent toutes les disciplines. Plus simplement c'est un ensemble de 17 nouvelles fantastiques, écrites par Borges à différentes périodes de sa vie dont chacune raconte une histoire distincte, soit à la première personne sur le ton de la confidence, soit sous la forme d'une histoire narrée par un témoin, avec des symétries, des antinomies, des préoccupations obsessionnelles propres à l'auteur. le concept d'oxymore est d'ailleurs présent dans ce recueil. Il est un écrivain réputé difficile qui donne à réfléchir, mais on y retrouve ses thèmes métaphysiques favoris, l'immortalité, la notion d'infini, l'existence de Dieu et sa difficile connaissance par l'homme, le bien et le mal, la vie, le labyrinthe en même temps que la dualité de l'homme, sa folie, ses obsessions, son destin parfois brisé, parfois surprenant voire contradictoire et qui le met souvent dans des situations ambiguës, sa mort dans la violence, la trace qu'il laisse, souvent ténue et vite oubliée dans la mémoire des autres hommes, autant dire des questions existentielles que tout homme est capable de se poser. Argentin, Borges y ajoute une certaine admiration pour les gauchos, leur mode de vie et leur liberté, leurs absence d'attaches, le tout enveloppé dans une immense érudition de nature notamment mythologique, théologique et philosophique, une grande culture et dans un style parfois diffus mais agréable à lire. Il nous rappelle que la vie est une quête, un combat avec beaucoup de cruauté et de vengeance, qui se termine inéluctablement par la mort. Chaque texte demanderait un commentaire approfondi mais je voudrais mettre l'accent sur le miroir dont l'exemple revient souvent dans ces textes. Il met en exergue cette notion de la double nature que l'homme porte en lui, l'image réelle qui est celle qu'il donne à voir et celle, virtuelle et bien différente parce qu'inversée et située derrière la glace, qu'il est seul à voir et à connaître, lue dans son propre reflet. Cela fait de Borges, certes un conteur d'exception, mais aussi, à travers les personnages qu'il met en scène, un fin observateur de la condition humaine.
L'idée du labyrinthe appelle l'image du Minotaure d'ailleurs évoquée dans une nouvelle. Elle peut sans doute être rapprochée de la lettre « Aleph » qui donne son titre au recueil et qui, dans l'écriture phénicienne, signifie taureau.
Je me suis souvent demandé ce qui pousse quelqu'un à écrire. C'est souvent la volonté de raconter une histoire réelle ou imaginaire, ces deux concepts qui, sous la plume de l'écrivain se conjuguent et se complètent, peuvent parfaitement se contredire, s'inverser ou se renforcer. Dans ce processus narratif et descriptif il y met toute son inspiration, sa sensibilité, son travail, son humanisme, ses convictions, ou laisse libre court à son inconscient comme l'ont fait les surréalistes. Cette volonté d'écrire réside autant dans la faculté d'accepter les épreuves ou de les exorciser dans le huit clos de son intimité que de rechercher la reconnaissance, la notoriété ou de stabilité financière. Il y a aussi, me semble-t-il, de l'utopie, de l'idéalisme à écrire, une volonté d'expliquer le monde dans lequel il vit ou de le refaire à sa convenance, autant dire une constante de la condition de certains hommes d'exception. Cette quête menée dans les arcanes de soi-même me paraît révéler aussi sa propre solitude et c'est, me semble-t-il, ce qui principalement motive l'écriture, et peut-être, pourquoi pas, celle de Borges ?
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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J'ai vu des millions d'actes délectables ou atroces ; aucun ne s'étonna autant que le fait que tous occupaient le même point, sans superposition et sans transparence. Ce que virent mes yeux fut simultané: Ce que je transcrirai, successif, car c'est ainsi qu'est le langage.

La dix neuvième marche. le point des points dimension métaphysique de tous les devenirs tel un lieu que l'on ne peut définir qu'en se servant d'un verbe transcendé.

L'inconcevable univers sous tous ses angles dans une infinité d'évènements et de lieux, d'objets et de personnes dont tous les comportements se réalisent ensemble en un seul instant.

L'aleph deux ou trois centimètres d'une surface impalpable.

Tout ce qui peut être, Dieu et le monde, un théâtre sensoriel vibrant de toutes parts semblable à une fresque instantanée non encore mécanisée par chacun de ses concepts naturels ou sensitifs.

Une conscience sans entrée ni sortie rassemblant simultanément dans un labyrinthe évanescent la Monade de ses monades.

L'écriture de Dieu, particule originelle du tout en un sur une figure circulaire regroupant en une seule mesure les trois concepts nécessaire à l'élaboration d'une histoire que nos sens se chargeront d'écrire.

Brahman sans teint ni apparence dupliquant son reflet à l'infini.

L'aube et le crépuscule en une seule couleur délestée d'un itinéraire temporel menant de l'un à l'autre.

Borges sur le fil du rasoir du mur de Planck entre le monde quantique et la gravitation universelle simultanéité désincarnée accompagnée de ses premiers fragments déterministes.
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C'est une série de nouvelles fantastiques où l'auteur imagine l'immortalité, s'interroge sur la mort et les doubles, les effets de miroir, l'existence d'un ou de plusieurs dieux, le labyrinthe, lieu où l'on se perd pour méditer mais aussi allégorie de la pensée, l'univers, le sens de la vie tout cela souvent inclus dans de courtes biographies.

« Juifs, chrétiens, musulmans confessent l'immortalité, mais la vénération qu'ils portent au premier âge prouve qu'ils n'ont foi qu'en lui, puisqu'ils destinent tous les autres, en nombre infini, à le récompenser ou à le punir. »

Il semble qu'en littérature le temps soit aboli et qu'avec la nouvelle « l'Aleph », tout soit dans tout et réciproquement.

« Il précisa qu'un Aleph est l'un des points de l'espace qui contient tous les points. »

Des images obsédantes se font jour (« le Zahir ») et l'on perd le sens des « réalités » ou au contraire on perçoit l'univers dans son infini (« l'aleph ») et le lecteur, comme l'auteur, est semblable à un dieu omniscient. Les références littéraires sont nombreuses, le propos est érudit, on n'oubliera pas que Borges fut bibliothécaire, comme le Jorge de Burgos du « nom de la rose » qui est une allusion directe d'Umberto Eco à l'auteur. On pense, à la lecture, aux textes érudits, philosophiques, poétiques et contemplatifs de Quignard.
On voyage dans l'espace (Allemagne, Angleterre, Italie…) et dans le temps. On fait allusion à Homère, aux auteurs latins et grecs, aux divers textes sacrés. Par exemple les lecteurs des Mille et une Nuits ont pu voir qu'un épisode de « Sindbad le Marin » ressemblait fort à l'Odyssée.

« Il est étrange que celui-ci [Homère] copie au XIIIe siècle, les aventures de Sindbad, d'un autre Ulysse, et qu'il découvre, au détour de plusieurs siècles, dans un royaume boréal et dans un langage barbare, les formes de son Illiade. »

Borges connaît très bien la poésie anglaise ancienne et notamment Tennyson :

"Tennyson a dit que si nous pouvions comprendre une seule fleur nous saurions qui nous sommes et ce qu'est le monde. Il a peut-être voulu dire qu'il n'y a aucun fait, si humble soit-il, qui n'implique l'histoire universelle et son enchaînement infini d'effets et de causes."

Difficile ensuite de parler des autres textes qui s'illuminent au présent de la lecture et font cogiter le lecteur comme cette descente dans la cave où se trouve l'Aleph qui ressemble tant à la descente de Dante dans l'Enfer d'autant que le narrateur cherche à retrouver une Beatriz récemment disparue et dont il était amoureux. Il est guidé par le cousin de celle-ci qui écrit un poème général sur le monde. le livre regorge d'allusions de pensées à méditer, de références érudites.
Être ou n'être pas semble, à la lecture de l'ouvrage, une seule et même entité, comme un effet de miroir entre deux mondes et notre intelligence s'en trouve ainsi multipliée.
Ma première incursion dans Borges et je me suis pris une grande claque. Je chercherai volontiers à en lire d'autres.

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Dans ces textes très courts, vous trouverez :
Un fleuve qui rend immortel et un homme déterminé à s'y baigner, Un bandit brésilien très ambitieux, Des théologiens qui s'affrontent autour d'hérésies, Un barbare converti, Une fille qui venge son père, le Minotaure, La confession d'un officier nazi, Averroës, Une pièce de monnaie particulière, le mystère du pelage des tigres, Des rois et des dieux, Un peu d'alchimie.

Dans ces courts écrits qui relèvent du conte, de la nouvelle, de la parabole, de la légende ou encore de la chronique, Jorge Luis Borges interroge la destinée et ses mystères. Les personnages qu'il met en avant sont nombreux à s'engager dans une quête de leur identité et de leur rôle dans le monde, et souvent c'est dans l'autre, le double et l'opposé qu'ils se retrouvent le mieux. Loin d'être de simples historiettes, ces textes ont un sens profond, parfois caché et sont riches d'une grande poésie et d'une forte spiritualité.
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