L'actualité archéologique irakienne dont l'édition 2009 se fait l'écho dans les annexes jointes aux dernières pages du livre, est à mon sens l'un des meilleurs moyens d'accéder à cette lecture, plutôt que de l'attaquer par les mystères de l'épigraphie sumérienne des premiers chapitres qui pourraient rebuter celui qui s'y plongerait sans préliminaires, ce serait bien dommage.
Le Musée national d'Irak raconte à lui seul combien la conservation des objets ou des monuments du passé retrouvés sur son sol reste précaire et toujours susceptible d'être bouleversée par une actualité qui, ces dernièrs mois, a révélé le pire. Fermé en 1991, lors de la première guerre du golfe, il avait rouvert en 2000. Fermé à nouveau lors de la deuxième guerre, en 2003, vandalisé et pillé, il a de nouveau réouvert ses portes, en 2009. Cependant, pour ce qui concerne les objets du Musée national : seuls 6000, sur les 15000 volés, ont retrouvé leur place.
Revenons au début. La
Mésopotamie, il faut l'apprivoiser par un peu de géographie. La carte (p.105) représentant les principaux chantiers de fouilles ouverts depuis le XIXe siècle, permet de visualiser d'emblée, l'ampleur et l'ensemble des sites archéologiques sous leurs anciennes appelations. du delta du golfe persique entre les rives du Tigre et de l'Euphrate, soit le pays de Sumer proprement dit, puis en remontant vers le nord, la babylonie, le royaume d'Accad et plus haut encore l'Assyrie, c'est une grande partie de l'Irak actuel, les Monts Zagros côté iranien à l'est et les sables du désert de l'autre.
Mais le travail des linguistes et les épigraphistes ayant précédé celui des archéologues, c'est d'abord le récit des innombrables et fascinantes péripéties, parfois burlesques, ayant accompagné le déchiffrement de l'écriture sumérienne que nous relate
Jean Bottero par étapes patientes et progressives, dans les deux premiers chapitres, avant de faire celui des fouilles archéologiques, beaucoup plus spectaculaires, commencées au milieu du XIXe siècle et qui tentent de se poursuivre aujourdhui, malgré les aléas de l'histoire.
Aventure d'un déchiffrement extraordinaire qui a commencé sous l'impulsion d'un simple professeur de latin de Göttingen, Georg Grotefend (1775-1853), dont la curiosité et les intuitions géniales vont permettre de lever les tous premiers mystères de trois écritures impénétrables appelées à l'époque "persépolitaines" et relevées, pour la plupart en Perse, grâce aux pérégrinations de voyageurs intrépides qui en ont rapporté des spécimens. Grotefend repère un système syllabique simplifié, proche de l'avestique, dans l'une des trois colonnes d'inscriptions d'un document trilingue publié qu'il étudie particulièrement et déchiffre partiellement en 1802-1803. La Société Royale des Sciences de Göttingen refusera d'homologuer son travail.
Vingt ans après, un officier de l'armée des Indes, Rawlinson, va parachever ce déchiffrement initial, grâce à la découverte en 1835, à Behistun au sud-ouest d'Ecbatane (Hamadan), de nouvelles inscriptions rupestres faisant le récit trilingue, en plus de quatre cents lignes, d'une scène de soumission commémorant une victoire de Darius, roi des Perses de 521 à 486, et dont il effectue le relevé minutieux. Concluant le travail de Grotefend, il vient à bout du déchiffrement de ce qu'il est convenu d'appeler le vieux perse. le déchiffrement de l'élamite, deuxième des écritures à laquelle doivent se colleter les savants, est conforté ultérieurement par les découvertes archéologiques faites plus tard à Suse, et constitue une autre étape de cette aventure épigraphique qui va conduire à Sumer.
La dernière écriture de ces documents trilingues semblait la plus hermétique et suscitait maintes interrogations sur une éventuelle origine sémitique. On en fit découler l'assyrien. Il n'en était rien mais l'Assyriologie était née. Au plus fort du déchiffrement, de multiples tablettes d'argile et autres documents gravés de signes similaires sont exhumés du sol
mésopotamien, enrichissant de tous leurs clous, les connaissances. Finallement, après bien des vicissitudes et des querelles linguistiques, une nouvelle inscription de huit cent neuf lignes venant d'Assur, lèvera le secret sur cette prodigieuse écriture cunéiforme. Cent deux ans après Grotefend, François Thureau-Dangin (1872-1944) met tout le monde d'accord en 1905, en publiant "Les inscriptions de Sumer et d'Accad". le sumérien est reconnu pour sa cohérence et son fonctionnement propre, ayant précédé toutes les autres écritures connues alors.
Côté archéologie, le texte est tout aussi prenant. La lecture des documents annexes est l'occasion de s'immerger dans l'archéologie du XIXe siècle et des surprises qu'elle peut réserver, avec les extraits des premiers récits de fouilles d'Austen Henry Layard ou de Victor Place, consul de France à Mossul en 1852 ; ou encore, le récit de l'archéologue Max Mallowan (époux d'Agatha Chrisitie), retraçant ses souvenirs des fouilles du chantier de Ninive. Documents qui participent de la mise en condition de la lecture. Ce qui frappe ici c'est l'internationalisation rapide des fouilles et la successions de découvertes ininterrompues :
La mise au jour de la résidence de Sargon II, roi de Syrie (721-705 av. J.-C.), à Khorsabad par Paul-Emile Botta, agent consulaire français nommé en 1842 à Mossul et pionnier des fouilles en
Mésopotamie, initie un mouvement d'ampleur internationale où le premier enthousiasme pour les ruines se transforme très vite, sous l'impulsion des Allemands, en une science rigoureuse et systématique. le musée assyrien du Louvre ouvre ses portes. Victor Place, nommé Consul de France à Mossul en 1852, prend le relai des fouilles de Khorsabad. En 1877, Ernest de Sarzec, vice-consul à Bassorah est conduit sur le site de Tellô où les fouilles permettent de recueillir 50 à 60000 tablettes qui faciliteront aussi le déchiffrement du cunéiforme.
Les Anglais fouillent les ruines de Nimrud, pensant découvrir Ninive qui est mise au jour en 1849-1850 et révèle la découverte exceptionnelle des 25000 tablettes d'argile de la bibliothèque d'Assurbanipal (668-627). A soixante km au sud-est d'Uruk, Ur est identifiée dès 1854, mais les fouilles ne commenceront qu'en 1922. La découverte spectaculaire du cimetière royal d'Ur fouillé entre 1926 et 1931, dont les trésors sont aujourd'hui au British Museum, marque la fin d'une époque. Après la seconde guerre mondiale les fouilles viseront aussi des sites régionaux de moindre importance, mais non moins intéressants, notamment en Assyrie et dans la région de Bagdad. L'archéologie Irakienne a pris son essor et s'est jointe au concert international. La préhistoire
mésopotamienne commence d'être explorée.
Les fouilles allemandes, pionnières en Irak d'une archéologie scientifique, se sont concentrées sur Assur, Uruk et Babylone dont la porte d'Ishtar est aujourd'hui au Vorderasiatisches museum de Berlin. A Assur, au nord, le passé archéologique du site a été reconstitué sur plus de deux millénaires, strates par strates. A Uruk (Warka), entre Bagdad et Bassorah, le chantier commencé entre 1913 et 1914 puis interrompu par la guerre a repris en 1928, à nouveau interrompue par la guerre. La fouille d'Uruk, inachevée à ce jour, est interrompue à nouveau en raison de la situation politique. Nippur, à cinquante km au sud-est de Babylone est un chantier confié aux Américains entre 1889 et 1900, qui fouillent aussi la vallée de la Diyâlâ dans les années trente. Mais cette internationalisation des fouilles a-t-elle constitué une protection ? Non, est-on tenté de répondre.
Car, l'état de la plupart des très nombreux sites archéologiques de l'ancienne
Mésopotamie est très critique aujourd'hui. Ils sont extrêmement menacés (pillages et destructions). La situation s'étant dégradée depuis les deux guerres et la proclamation de l'EI plus récemment, notamment dans la région de Mossoul (Ninive, Nimrud) comme plus au sud (Nippur, Uruk, Ur etc.). Les chercheurs Irakiens et les équipes internationales qui tentent malgré tout de travailler sur place le font dans des conditions particulièrement difficiles et ne cessent d'alerter à leur sujet.
Une lecture incroyablement voyageuse, à nulle autre pareille.