"Nous les vivants". Vivants ? Comme ces américains des années trente décrits par Caldwell, blancs, "nègres", "sangs-mêlés" selon la terminologie de l'époque, habitants de comtés ruraux paumés ou de la périphérie de petites villes oubliées. Du Maine ou du Vermont, de Géorgie ou de Caroline... Survivants pour certains. Entre récoltes aléatoires et champs incendiés, coca-cola et drug-stores miteux, l'arrière fond est à la crise et aux rapports de domination, hérités d'une société inégalitaire hantée par la violence du racisme. Ces rapports donnent leur tonalité d'ensemble aux vingt-sept récits du volume. Scabreux. Ici ne sévit que l'abus et ce qui en découle : méfiance, crainte, soumission avant que le désespoir ou la folie ne s'en mêlent quand ce n'est pas la mort (subite ou probable). Rien de serein à cette lecture qui fut cependant bonne. Panorama terrifiant de perversions banalisées où le cynisme le dispute à une forme de "candeur" et où seule la nature semblerait capable de régler son compte à la bêtise humaine (« Feux d'herbes sèches » montre assez bien son insondable épaisseur). Adeptes du zen s'abstenir.
Brièveté et grande force évocatrice seraient le fond commun de tous ces récits. Du moins cruel – il y en a peu ("L'invasion des Suédois" fait même rire) –, aux plus insupportables. Brutes épaisses et malpropres en tout genre, noirs exploités, humiliés et spoliés, filles faciles et fragiles, trop vite mariées, filles vendues, fous furieux et abrutis, charlatans se succèdent et se ressemblent à de rares exceptions. Dans un tel tableau la politesse courtoise du narrateur presque sentimental de « La Chambre vide » fait du bien. Si ce sont plutôt des contes, comme le souligne justement M. E. Coindreau dans la préface, alors c'est un fameux pied de nez que Caldwell, excellent narrateur au demeurant, adresse aux fées. Adoptant en effet un style presque « innocent » pour jeter en pâture au lecteur ce qui s'apparente dans presque tous les cas à l'infamie et qui n'est manifestement pas destiné à endormir les enfants. Rien ne finit jamais bien, parfois même tout reste en suspens et c'est peut-être pire, soyez-en sûrs. Une certaine Amérique la main sur le coeur et le doigt sur la gâchette.
Plaisir d'esthète ou de collectionneur pour ceux qui dénicheront, chez un bouquiniste ou dans une librairie plus spécialisée, cette édition cartonnée de Caldwell, Nrf 1948, au beau décor abstrait couleur terre brûlée, signé Mario Prassinos. Le volume rassemble deux recueils de nouvelles : « We are the living » écrit en 1933, l'année de l'interdiction par la censure de God's little acre (Le Petit Arpent du bon dieu) et « Kneel to the rising sun » (Prière au soleil levant) écrit en 1935. Belle préface (1937) aussi, de M. E. Coindreau.
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Un recueil à ne pas mettre entre toutes les mains.
Âmes sensibles, s'abstenir.
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Au printemps suivant, lorsque les pistes furent dégelées et que Jake eût accompli son premier voyage de l'année par-dessus les montagnes, il vint trouver la fille et lui dit de se préparer à l'épouser à sa prochaine venue à Bangor. Cela enchanta la fille. Elle s'était inquiétée tout l'hiver, en pensant à Jake, et elle entendait toujours dire du mal des Vermontais qui faisaient les charrois avec leurs attelages de boeufs. Mais lorsque Jake lui dit de se préparer, elle sut qu'il tiendrait sa promesse et l'épouserait.
Ainsi, Jake retourna dans le Vermont avec son chargement, tout prêt à épouser la fille le jour même de son arrivée à Bangor, au cours de son prochain voyage.
Et, comme il l'avait promis, Jake revint, pour se marier. Il alla droit à la maison où la fille servait. Elle l'attendait. Jake lui dit de se préparer et il sortit pour aller chercher le pasteur.
Lorsqu'il revint avec le ministre, il appela la fille qui descendit dans la salle du bas où les curieux s'étaient rassemblés pour assister à la cérémonie. (p. 161)
Le mariage en chemise
Cette exaltation des jouissances de la chair, ce sentiment que, dans l'amour, l'homme devient l'égal de Dieu expliquent pourquoi, tandis que les femmes de Faulkner ne sont qu'instruments de péché, morbides et corrompus, les femmes de Caldwell sont, au contraire, "belles gouges et de bonne trogne", comme disait Rabelais. Elles évoluent comme des animaux somptueux parmi les mâles qu'elles affolent. Et, parce que Dieu les a faites désirables à bon escient, un climat de lubricité saine les accompagne dont participent tous les objets de leur intimité. Erskine Caldwell a su bâtir des contes autour d'un pantalon brodé, d'une jarretière, sans incommoder son lecteur par des relents de grivoiserie. Dans ses pages les plus impudiques, il fait songer à ces bébés qui sourient gentiment en montrant, en toute innocence, ce que les bienséances ordonnent de cacher.
Maurice Edgar Coindreau
Préface, V
Finley était mon unique frère ; avant sa mort il était mon seul parent sur la terre, et elle était sa veuve. Elle se nommait Thomasine, mais je ne l'avais jamais appelée ainsi. Je n'y étais pas accoutumé et il y a dans un nom qui ne nous est pas familier quelque chose qui le garde contre l'intrusion d'un étranger.
Lorsque je pourrais l'appeler par son nom, je savais que je prononcerais des sons qui lui appartenaient.
La Chambre vide, p. 152 - 153.
Erskine Caldwell à propos de "
Les braves gens du tennessee"
Erskine CALDWELL, interviewé par
Pierre DUMAYET, parle, en
anglais, de son livre "
Les braves gens du tennessee" et à travers ce
roman, du
racisme dans le Sud des Etats-Unis, de la haine des blancs envers les noirs, de
la violence. Malentendu entre DUMAYET et CALDWELL à propos d'un cabriolet rouge. Présence d'un traducteur.