Non,
l'homme-canon n'est pas l'histoire d'un super-héros doté de pouvoirs explosifs.
Ce n'est pas non plus le titre de mon autobiographie (ça aurait pu, mais non ☺)
En fait,
l'homme-canon, c'est ma dernière "bonne pioche" à la masse-critique de janvier, une fable philopohico-futuriste décapante et un brin loufoque aux allures de pièce de théâtre (un drame en trois actes, tout en dialogues et en courtes didascalies).
En clair : un texte un peu barré et redoutablement subversif auquel je souhaite un très bel avenir !
Et l'avenir justement, parlons-en, puisqu'il en est largement question dans ce curieux petit livre.
L'auteur nous projette en effet en 2069, soit dix-sept ans après la seconde grande pandémie de Covid (prévue pour 2052, c'est bon à savoir !), et quelques années après les émeutes sociales ayant conduit à la promulgation de la Loi sur le Remboursement de la Dette Sanitaire et à la mise en place de mille autres mesures drastiques (Protocole Participatif Consensuel, recul de l'âge de départ à la retaite à 74 ans, j'en passe et des meilleures...) prises par le nouveau Gouvernement d'Urgence Nationale (c'est ça, le G.U.N !)
Bien sûr toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite...
Inutile donc de vous dire qu'avec
Christophe Carpentier, il ne faut pas vraiment s'attendre pas à des prédictions radieuses ni à des lendemains qui chantent.
Tablez plutôt sur un futur morose, certes pacifié mais complètement aseptisé, un monde soumis à une pression fiscale démesurée, un monde expurgé de toute fantaisie où les rêves, l'excès de distraction ou d'insouciance, l'ensemble des créations artistiques et l'usage de tout ce que les autorités nomment "Support Fictionnel" (livres, films, vestiges culturels d'antan, etc...) sont strictement prohibés.
Surtout ne plus songer au passé, ne pas anticiper l'avenir, ne pas céder au péril de l'imaginaire, ne jamais s'évader ailleurs. Seule compte l'immédiateté, plus rien n'existe hors la réalité de l'instant présent.
Unique divertissement autorisé, et même clairement encouragé : le visionnage en continu des sacro-saints Directs Télévisisuels (mais si, vous savez bien, ces merveilleux reportages "en immersion" auprès des Forces de l'Ordre, des Soldats du Feu, des Ugentistes, des Constructeurs du Coeur et autres Camioneurs de l'Extrême). Quel meilleur outil de propagande pour distraire et lobotomiser les foules, en faire des "moutons avides d'exemplarité citoyenne et vide de tout sursaut romanesque" ?
C'est dans ce contexte que Bastien Lebaye fait son apparition, sur le quai d'une petite gare de province. L'homme est venu pour assister au déchargement d'un matériel dont il vient de faire l'acquisition, à savoir un canon de cirque utilisé pour projeter un cascadeur dans les airs.
Problème : la petite gare en question ne voit passer que des TER, et aucun train de fret n'y livrera jamais le moindre canon. Pourtant Bastien n'en démord pas, il ne partira qu'après réception de son spectaculaire engin, et bien vite tout le voisinage s'interroge.
Qu'est-ce c'est que ce gugus, avec ses délires de saltimbanque ? Est-ce un doux rêveur ou un perfide agitateur menaçant la quiétude du village, et plus largement l'équilibre de la société enfin assagie (ou plutôt cadenassée par un arsenal législatif dementiel, biberonnée H-24 par les fameux Directs et soumise au couvre-feu planétaire) ? Comment faire pour se débarasser de ce marginal, lui qui semble prendre un malin plaisir à ignorer les mises en garde des Miliciens ? ("Il est manifeste qu'à ne rien faire comme vous le faites, vous êtes hors du moment présent, donc hors-la-loi.")
Le lecteur aussi se pose quelques questions, puis peu à peu se laisse emporter dans cette histoire subtilement absurde et néanmoins propice à la réflexion.
Si j'ai été dans un premier temps un peu désarçonné par le caractère très militant de l'ouvrage (j'avoue avoir parfois tendance à "me méfier" des oeuvres de fiction trop ouvertement engagées...), j'ai fini par y trouver un véritable intérêt et par me satisfaire complètement du style (que je trouvais d'abord assez convenu) et des dialogues parfois un peu répétitifs.
Le message de Bastien, notre fervent défenseur du droit à l'imaginaire qui a su "inventer un personnage et l'inséminer dans un cadre naturel pour qu'il s'y développe", n'en est que plus clair. Par amour de feu la littérature et par goût de la désobéissance civile, il incarne avec force un modèle de résistance original face aux dérives d'une société sous contrôle. Espérons donc qu'il soit entendu ("Il faudrait cent mille Hommes-canon dans chaque pays, alors le bloc de réalité encadrée pourrait commencer à se fissurer".)
Merci à Babelio et aux éditions du Diable Vauvert pour cette découverte, que je vais m'empresser de diffuser autour de moi avant que les miliciens du futur ne m'arrêtent pour "recel de données mémorielles différées" !