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EAN : 9791030703627
272 pages
Au Diable Vauvert (10/09/2020)
3.29/5   7 notes
Résumé :
Dans un monde au climat transformé, alors que la pression tellurique déforme la surface de la
Terre et que les vents obscurcissant brouillent les communications et rendent l’agriculture impossible,
s’affrontent les militaires de l’OTAN, des groupuscules sauvages et les Nomades décontextualisés, des
humains organisés en caravanes autosuffisantes. Deux siècles plus tard, ces derniers ont le pouvoir.
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Quand la planète sera devenue invivable

Christophe Carpentier a imaginé une dystopie qui imagine que la vie sur terre, après un dérèglement climatique qui n'a cessé de s'amplifier, va devenir de plus en plus difficile. Comment dès lors s'inventer un avenir?

C'est au moment où le maréchal de l'OTAN von Greimstedt rend les armes à Dacia, la représentante des Nomades Décontextualisés (ND) que s'ouvre cette dystopie. La planète est alors dans un état terrifiant. Imaginez que pour survivre, il est essentiel de se déplacer, car la terre est brûlée et n'est plus cultivable, les vents – en particulier le Vent Obscurcissant numéro 7 qui est le plus dense et le plus meurtrier – sont chargés de particules toxiques, l'eau doit être filtrée et des groupes sans foi ni loi peuvent vous agresser à tout moment. La mobilité aura donc finalement permis aux ND de survivre, d'agréger de plus en plus de personnes et de prendre le pouvoir. Car ils ont mis au point les outils permettant de faire face à ce climat totalement déréglé, aux cyclones surnuméraires et aux champs magnétiques chamboulés. Après avoir constaté «l'étendue des dégâts, tant au niveau géostratégique que dans le coeur de l'Homme», il va maintenant falloir répondre à la seule question qui se pose désormais: peut-on construire un avenir dans un tel monde?
Dans la seconde partie du livre Claire Kraft va tenter de relever ce défi, refaire l'histoire et imaginer à quoi pourrait ressembler ce monde à construire, tenter de théoriser la vie passée, présente et future sur cette terre. Son mari va d'abord la soutenir dans ses réflexions et son projet, avant de la lâcher et de se désolidariser pour rejoindre la vision que défend son fils Harold.
Christophe Carpentier a choisi d'opposer deux visions que l'on peut appeler pour simplifier, la vision masculine et la vision féminine, car France Stein, l'épouse d'Harold, va se rapprocher de sa belle-mère. Claire et France vont choisir de bâtir «sur les contours d'une vérité ancienne et fragile» et vont s'évertuer de l'améliorer. En modernisant les outils et les moyens, à commencer par le système de production d'énergie nomade, la batterie VN 1, mise au point par Tobias Jetzitzak. Ce dernier va choisir d'accompagner France dans un périple risqué. Il va du reste s'achever tragiquement.
C'est alors au tour d'Harold, qui s'était jusque-là opposé à sa mère, de prendre le relais, et de tenter de ne pas répéter les erreurs commises. Et de ne pas donner raison à sa mère qui le voyait «multiplier les coups d'éclat et instaurer une impression de chaos institutionnel qui sera un leurre, car au final, tout ceci débouchera sur une accentuation de la soumission des citoyens à l'égard de l'État».
Le pari peut-il être gagné? C'est tout l'enjeu de cette dystopie qui creuse une thématique déjà abordée par Louise Browaeys avec La dislocation et Pierre Ducrozet avec le grand vertige. Des romans qui sont autant de pistes de réflexion sur les enjeux écologiques et environnementaux et dont je prends le pari qu'ils constitueront désormais une veine qui va continuer à être exploitée par les romanciers.


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Cela aussi sera réinventé, c'est le drôle de titre d'un roman à paraître pour la rentrée prochaine chez Au Diable Vauvert.
Son auteur, Christophe Carpentier, n'en est pas à son coup d'essai — loin de là même — puisqu'il a déjà publié pas moins de sept ouvrages (!!) dont le remarqué diptyque du Mur de Planck aux éditions P.O.L.
Roman court mais dense, Cela aussi sera réinventé nous ressort la carte du post-apocalyptique mais imagine un angle d'attaque radical : celui de la philosophie reconstructrice… faites chauffer les neurones !

Sur les décombres de l'humanité
Cela aussi sera réinventé se découpe en trois parties.
Dans la première, le lecteur découvre un monde en ruines balayé par des catastrophes en tous genres, de la tempête de sable géante à la fuite nucléaire en passant par le tremblement de terre et le raz-de-marée, tout y passe ou presque. Pendant ce temps, l'humanité en déroute cherche une porte de sortie alors qu'elle semble succomber pour de bon à l'Accablement Climatique, une brutale prise de conscience de la responsabilité humaine dans la banqueroute écologique mondiale. le maréchal de l'OTAN, Kleist von Greimstedt, croise la route d'une caravane de Nomades Decontextualisés, sorte de philosophie new-age à mi chemin entre anarchisme, écologie et communisme prônant un rejet de la sédentarité et de l'attachement au matériel (sous toutes ses formes) pour réinventer un monde plus libre et responsable mais qui semble terriblement froid. Parmi ces nomades, Dacia est à la fois une fervente tenante de cette pensée politico-socio-religieuse et le témoin privilégié d'un changement de paradigme complet pour les êtres humains survivants. Sa rencontre avec le maréchal permet une sorte de passation de pouvoir entre le vieux monde et le nouveau.
Et si l'on pense un temps que Christophe Carpentier va se borner à nous montrer une apocalypse par le prisme d'un catalogue de catastrophes écologiques, le français change totalement d'approche dès la seconde partie avec un long flash-back sur la naissance du mouvement de la Décontextualisation Nomade. En retraçant la pensée de sa fondatrice, Claire Kraft, et de ses premiers disciples, France Stein et Tobias Jetzitzak, l'auteur s'intéresse à la naissance d'une philosophie et sa mutation en idée politique et sociale. Ce cheminement complexe occupe la majeure partie du roman avant de se projeter dans le futur pour un petit tour d'horizon en compagnie de Julien et François, couple de Nomades Décontextualisés à l'heure du triomphe de la nouvelle société responsable libérée des attaches humaines de jadis.
Ainsi, difficile de faire plus original que Christophe Carpentier pour vivre la fin du monde puisque celui-ci met de côté l'aspect destruction au profit de la pensée nouvelle et d'un après pour le moins étonnant.

Sans contexte, pas de texte ?
Comme on l'a dit plus haut, bien davantage qu'un roman post-apocalyptique de plus, Cela aussi sera réinventé se veut un voyage philosophique vers un avenir autre où les hommes auraient enfin trouvé un moyen d'exister plus respectueux pour la planète et pour son prochain. Dès sa première partie, l'histoire fait la part belle aux échanges sur divers aspects de la vie en société et sur la nécessité fondamentale de prendre en compte le contexte lorsque l'on en vient aux notions de bien et de mal, de responsabilités et de vie collective. Christophe Carpentier se fait clairement plaisir et disserte en long, en large et en travers sur cette nouvelle philosophie de décontextualisation qui doit permettre à l'humain d'en finir avec toute forme de radicalité et/ou de violence.
Il applique cette doctrine à tous les champs possibles, du droit à l'engagement militant en passant par la nature, la sexualité, le genre ou encore l'énergie.
Malin, le français envisage surtout en sous-main les problèmes de cette nouvelle façon de penser qui comporte aussi sa part d'ombre (et de dérives, qui sont illustrées dans la dernière partie).
Pour intéressant et foisonnant qu'elle est, la pensée de l'auteur nous est cependant servie sous une forme très académique, en empruntant un ton professoral et théorique qui baigne (très) souvent dans un style aussi lourd que pompeux. En soi, ce genre de choses ne seraient pas dérangeantes dans un essai mais, puisqu'il s'agit ici d'un roman, la sauce ne prend pas.
Pire, en abusant de cette décontextualisation narrative (pour que se rejoigne le fond et la forme), Christophe Carpentier saborde ses personnages qui n'ont aucune chaleur humaine. le lecteur se retrouve face à une sorte de démonstration magistrale historico-philosophique tendance universitaire qui laisse perplexe sur sa capacité à passionner le lecteur sur la longueur.
Évidemment, cette froideur calculée sert très bien le propos du livre et donne l'impression que l'auteur applique ses propres règles fictives à son récit… mais a-t-on vraiment envie de lire une apocalypse décontextualisée aux personnages glacés et aux enjeux dramatiques finalement inexistants ?
Pas sûr…

Curieux ouvrage que celui de Christophe Carpentier. Coincé entre son côté philosophique hardcore et son style froid et pompeux, Cela aussi sera réinventé parvient pourtant à offrir une vision convaincante et inédite de l'après. Évitant l'écueil du fatalisme et s'efforçant de trouver d'autres chemins pour le futur, l'histoire hésite entre apocalypse, dystopie et essai politique.
L'échec ou la réussite de l'entreprise dépendra de l'état d'esprit du lecteur…et du contexte de la lecture !

Lien : https://justaword.fr/cela-au..
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Cela aussi sera réinventé est un roman peu commode à résumer. En quelques pages, l'auteur expose un monde dystopique chamboulé par l'accablement climatique. Des réfugiés errent de territoire en territoire, tentant d'échapper aux tempêtes de sable, aux inondations et autres tremblements de terre un peu comme si la planète se vengeait des hommes. Au milieu de ce capharnaüm, il y a les nomades décontextualisés, sorte de secte qui a renoncé à presque tout.

Dans la première partie du roman, l'auteur dresse très brièvement le portrait de cette planète et de ces quelques hommes qui ont survécu sans véritablement entrer dans les détails. Puis doucement, le texte se fait philosophique à travers la figure de Claire Kraft, initiatrice du mouvement des nomades contextualisés. On assiste alors à un échange d'idées entre les personnages: la fin de la consommation de viande, la production en auto-gestion de sa propre électricité. Claire imagine un monde utopique qui vire bientôt au cauchemar.

Entre la fable dystopique et le conte philosophique, Christophe Carpentier offre à ses lecteurs un roman difficile à aborder et à décrypter. La prise en main n'est pas aisée. Les personnages se donnent la réplique comme au théâtre. L'effet en devient étrange: les échanges sont parfois caricaturaux, presque artificiels.

J'ai à de nombreux moment décroché, les propos devenant réellement trop philosophiques pour moi. J'ai été déçue pensant trouver un roman dystopique plus descriptif, lisant au final une sorte d'essai philosophique assez pointu à certains égards.

« Cela aussi sera réinventé » est en tout cas une lecture étrange qui plaira sans doute aux amateurs de philosophie.
Lien : https://carolivre.wordpress...
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Le commentaire de Cathy :
Deux siècles depuis que l'accablement climatique a profondément modifié le monde, les Nomades Décontextualisés transforment celui-ci en un lieu où les singularités et les affects n'existent plus.
Réussiront ils à changer les choses grâce à leurs caravanes autosuffisantes en eau et en nourriture ?
Que va finir par découvrir Claire Kraft ?
Ce roman fait partie de ceux vers lequel je ne me dirigerais pas au premier abord, mais cela aurait été une grosse erreur de ma part de ne pas le lire.
L'auteur m'a ouvert les portes d'un roman très bien écrit, qui nous plonge au coeur des problématiques très actuelles de notre monde, un monde où il est temps de changer beaucoup de choses avant de finir droit dans le mur.
Un récit qui ne peut laisser indifférent, les descriptions que ce que pourrait devenir notre monde font froid dans le dos.
Un moment de lecture intéressant, perturbant à certains moments.
Lien : http://lesmilleetunlivreslm...
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Christophe Carpentier nous propose un roman étonnant qui s'articule autour d'une fin du monde « évitée ». Par le biais d'une narration en trois temporalités (pendant la fin du monde, avant puis après), l'auteur nous mène sur les chemins d'une pensée de sa naissance à son application. Cette pensée, c'est ce qu'il appelle la Décontextualisation Nomade, une façon de vivre complètement différente de notre mode de vie actuel, en accord avec l'effondrement climatique à venir. le roman est une profonde analyse de cette réflexion, que ce soit dans la naissance du principe et son galvaudage quasi-immédiat ou dans l'analyse de sa réalité pratique entre utopie et dystopie. Ce livre nous propose de repenser notre humanité, de repenser nos certitudes autour du prisme d'un [...]

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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
(Silence méditatif.) Ta mère dit qu’il est déjà trop tard. Que nos mobilisations pour la justice sociale, contre la xénophobie ou pour la neutralité carbone appartiennent à un passé révolu. Que l’espoir est devenu le principal moteur de l’aggravation des choses. Qu’en proie à l’Accablement Climatique, nous courberons bientôt tous l’échine, et que le sourire à nos lèvres sera totalement inédit.
Harold. – Maman baigne dans un océan de symbolisme qui ne sert que ses intérêts. Toi et moi, nous avons opté pour le vocabulaire de l’implication solidaire, or ce sont là deux langues étrangères l’une à l’autre.
Raphaël. – Ta mère dit que les activistes dans notre genre vont multiplier les coups d’éclat et instaurer une impression de chaos institutionnel qui sera un leurre, car au final, tout ceci débouchera sur une accentuation de la soumission des citoyens à l’égard de l’État.
Harold. – Ta femme dit n’importe quoi, papa.
Raphaël. – Selon elle, la recrudescence de l’activisme militant sera motivée par l’intuition inconsciente que tout est irrémédiablement perdu. Elle dit aussi que cette action dans la désespérance est le propre de l’Accablement Climatique. Elle dit enfin que nous sommes tous des hamsters dans une roue. p. 92-93
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INCIPIT
L’effondrement du maréchal de l’OTAN Kleist Von Greimstedt est palpable à la façon qu’a son regard de superposer sur chaque objet et chaque être une pulsation de rejet de la réalité. Vouloir que tout soit autrement et ne pas voir son vœu exaucé vide de sa substance première son métier de commander, à qui, à quoi ? Parallèlement au contexte géopolitique mondial en plein bouleversement, c’est sa propre individualité d’officier qui est en train de se déliter. Même le respect hiérarchique sonne pour lui comme un folklore ironique. Lorsqu’il parle à ses hommes – de plus en plus rarement –, il redoute d’entendre le claquement des bottes au garde-à-vous, tout comme enfant il redoutait d’entendre la main de son père gifler sa joue.
Le campement de la 4e division d’infanterie situé en périphérie de Tbilissi-la-calcinée tient en équilibre sur les bases vermoulues de la dignité militaire, alors il se peut que la caravane de nomades décontextualisés en approche soit une bénédiction à ne pas gaspiller. Dacia connaît les ordres que ce maréchal accablé a reçus de longue date : ne pas tenter d’enrôler les nomades décontextualisés, laisser passer leur frêle caravane, ne surtout pas entamer un dialogue prétendument constructif avec eux, ne pas les laisser établir leur camp de base à côté du vôtre. Et pourtant, c’est lui qui a demandé à recevoir Dacia dans son bureau, tant il mourait d’envie de la rencontrer au moins une fois.
Lorsqu’elle entre, il ne la salue pas, il reste figé devant la fenêtre à regarder s’abattre des rafales de vent gorgé de sable asiatique.
Dacia. — Depuis combien d’années n’avons-nous pas vu le soleil ? Six, je crois. Lorsque je ferme les yeux, je parviens à le faire apparaître sous forme d’un artefact mélancolique, mais je sais que je ne dois pas me contenter de si peu. Même les oiseaux carnassiers de Stymphale ne tiendraient pas dix secondes dans pareille tempête.
Elle pose son masque filtrant sur le bureau, et sans souci de coquetterie, elle s’époussette les cheveux.
Le maréchal. — Il n’y a que quand elle est invisible et muette que j’arrive à supporter mon armée ou ce qu’il en reste. Le V.O. numéro 7 brouille toutes les transmissions, ça fait une éternité qu’on ne reçoit plus d’ordre de mission. Pour occuper mes hommes, j’en envoie certains en éclaireurs, reliés les uns aux autres par une corde. Certaines cordées reviennent, d’autres pas. Je ne cherche même pas à savoir si elles se sont égarées ou si elles ont déserté, je continue d’en envoyer, comme si mon rôle finalement était de leur laisser le choix de revenir ou pas.
Dacia. — Si tu veux te faire pardonner d’avoir cru trop longtemps à l’ancien système, alors libère-les de leur serment, et fais en sorte qu’ils ne soient pas considérés comme des déserteurs par tes supérieurs.
Ne pouvant supporter l’idée qu’elle se rapproche de lui, il fait trois pas en diagonale vers le coin opposé de la pièce.
Dacia. — Je ne mords pas.
Le maréchal. — On dit que ton verbe est viral et plus contagieux que le typhus.
Dacia. — Et pourtant tu as demandé à me rencontrer.
Le maréchal. — Nomades décontextualisés, c’est plutôt long comme appellation. J’ai essayé de tourner ça en ridicule autrefois, mais sans jamais y parvenir. Sans doute parce que vous avez fait vos preuves niveau ténacité et intégrité.
Dacia. — Pourquoi as-tu demandé à me rencontrer quand tu as appris que notre caravane campait à proximité ? Pour que je t’aide à sauter le pas comme je l’ai fait avec le général Joussovski ?
Le maréchal. — Ainsi ce que dit la rumeur est vrai, le cruel Tatar a déposé les armes et a intégré vos rangs ?
Dacia. — Il s’est rendu avec les miettes de son armée qui pèsent juste un peu plus lourd que tes miettes à toi. Je dis qu’il s’est rendu, mais une armée ne se rend pas à qui ne la combat pas. Nous sommes juste de passage, nous vous frôlons, lentement, très lentement, à en être provocants, je l’avoue, et nous attendons de voir ce que cette proximité déclenchera en chacun de vous, pauvres soldats perdus dans une guerre sans dignité, comme la majorité des guerres d’ailleurs. (Elle fait mine de nettoyer la vitre avec le plat de sa main, comme si ça pouvait changer quoi que ce soit à la purée de pois qui sévit dehors). Notre caravane suit les couloirs idéologiques qui frémissent encore de-ci de-là, et absorbe les âmes égarées promptes à se réinventer. Quant à Joussovski, il est mort il y a quelques jours quand on a été attaqués par des chiens errants affamés. Certains disent avoir vu un grizzli cohabitant avec la meute l’attraper comme une poupée de chiffon et l’emmener dans son antre. En tous les cas on n’a pas retrouvé sa dépouille.
Le silence qui suit vaut pour un hommage posthume.
Le maréchal. — Ce serait une belle mort, tué par un grizzli affamé, aussi perdu que nous tous dans ce merdier sans nom.
Dacia. — Il y a neuf ans, alors que j’approchais de Karlsruhe où je savais qu’un camp de base de nomades me permettrait de me procurer le dernier modèle de cyclo-dynamo VN 17, je marchais au cœur de la Schwarzwald quand un nuage de sauterelles mexicaines a soudain noirci le ciel. Ces saloperies ont mis cinq jours à nettoyer ma zone, dévorant non seulement les feuilles mais les branches les plus tendres de toutes les espèces d’arbres existantes, cinq jours d’un bourdonnement glouton atroce, cinq jours durant lesquels j’ai dû creuser un trou et m’enfouir sous terre pour ne plus entendre leurs mandibules déchiqueter la forêt. Le sable rend fou, mais il le fait en silence et sans véritable voracité. Pour rien au monde je ne souhaiterais recroiser cette colonie qui, dit-on, circule en mode hold-up organisés tout autour de la Terre ; et parfois, oui, je remercie le Vent Obscurcissant numéro 7 d’être assez opaque et inhospitalier pour la repousser loin de moi.
Le maréchal. — Mais au moins des sauterelles bien grassouillettes, ça se mange, le sable non. Car pour dire vrai, ce qui rend ta caravane aussi attrayante, ce sont vos serres portatives qui vous permettent d’éviter les carences métaboliques qui ravagent toutes les armées du monde.
Dacia. — La nourriture est un bon aimant en effet. Chacune de nos tentes recèle à l’abri des rafales de sable des petits potagers sous serre comme il y en avait jadis dans nos campagnes florissantes.
Le maréchal. — On dit aussi que sans cette nourriture, vos convictions primaires ne suffiraient pas à appâter les pauvres hères qui cherchent leur salut dans les ruines.
Dacia secoue la tête d’un air désolé : « Finalement tu es bien moins digne que ton rival tatar. Je te signale que nous ne sommes responsables d’aucune des ruines qui dessinent la figure accablée du monde. Quant à nos convictions, tu les qualifies de primaires, mais as-tu seulement idée du courage qu’il faut pour frapper à la porte d’une maison et demander à ses occupants, non seulement de partager le peu qu’ils ont réussi à sauver du chaos, mais de tout abandonner sous prétexte que tout appartient à tout le monde selon un protocole d’utilisation temporaire et universelle de la réalité ? As-tu jamais tenté pareille expérience ? Depuis combien d’années n’as-tu pas injecté de la nouveauté dans ta grille de valeurs réactionnaires ? »
Le militaire de carrière souhaitait cette discussion, sans quoi il aurait refusé de recevoir Dacia, mais pourtant il l’alimente du bout des lèvres, en se crispant de tout son être.
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Dacia est ainsi la rescapée de trois caravanes dans lesquelles elle s’est embarquée depuis que les villes ont cessé d’être sûres et qu’indépendamment de sa nature théorique la marche est devenue le moyen de survie le plus pertinent. La première caravane l’a emmenée de Chartres à Coblence où une coulée de boue provoquée par une crue phénoménale du Rhin emporta la quasi-totalité de ses compagnons de route; la seconde caravane l’a emmenée de Hambourg à Helsinki où elle fut exterminée par l’assaut d’une communauté de familles cannibalisées dans la plus pure tradition du chaosmos joycien; la troisième caravane l’a emmenée de Riga à la périphérie de Varsovie où ce sont cette fois des réfugiés climatiques japonais qui les ont attaqués et leur ont dérobé leurs équipements de survie.
Elle qui, en refermant il y a trente-cinq ans la grille du camp de base de Janville, rêvait d’atteindre la Muraille de Chine, sait que jamais elle ne parviendra vivante aussi loin, tant il est impossible de tenir un cap personnel lorsque votre tâche de nomade prédicateur est d’accueillir toute personne dont vous entendez au lointain des signes de détresse.
À quoi servirait-il de foncer tout droit sans se soucier des autres dans le but d‘atteindre un point géographique idéalisé? p. 27-28
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Depuis combien d'années n'as-tu pas injecté de la nouveauté dans ta grille de valeurs réactionnaires ?
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Quel mal y a-t-il à vouloir changer le monde quand tout prouve qu’il est devenu invivable ?
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Vidéo de Christophe Carpentier
Festival des Utopiales à Nantes
Dans le film Soleil Vert tiré du roman de Harry Harrison, on voit l'humanité, ayant tout consumé autour d'elle, condamnée à se dévorer elle-même. La consommation de viande des pays développés serait, entre autres, l'un des facteurs cruciaux qui contribuent au réchauffement climatique, mais également nuirait à la santé des citoyens. Et ce non seulement à cause de la viande elle-même mais également du fait de sa contamination par les polluants. Serons-nous simplement consommables demain ?
Avec : Christophe Carpentier, Morgane Caussarieu, Charlotte Sinding, Olivier Gechter Modération : Benoît Tonson, The Conversation
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