La part errante
Ce fut la mort ? Vous le direz
fantôme devant l’air
Et toi corps qui étais colline brillante
Tu ne laisseras plus la main du maître
te saisir
Ni son éternité dissoudre un temps qui n’appartient
qu’à cet air rare
Odeur ni humidité revenant parmi ce vide
Que tu es maintenant, ni poids pesant
Sans aucun sol fleuri pour te fixer
Ce fut la mort ? Mais quel arrêt
Jamais dira la part errante ?
II. ÉLÉGIE DE ROPRAZ
J'AI VOLONTÉ À RAFFERMIR
Ce matin te voyant luire
O muse quoi vouloir que bouche à bouche
des mots de toi me soient donnés
comme viande au corps affamé
Aussi j'ai volonté à raffermir
et noire fatigue à laver
Ah ne tarde à venir dans mes ratures
Si le doute les fauche comme touffes
Ici est une herbe peu sûre
De mots clairs ou tôt brûlés
Garde-les de hâte ou de vanité
Donne-leur conseil pour la guerre au-dehors
Et gîte contre le tremblement dedans
Ici est une herbe en cendre sous les clarines
Fais-la reverdir après le désert
Que ta viande occupe un corps, et ma narine
En attendant ma vraie mort sous le pré bouclé
p.22
I. PRIMEVÈRES ET VERTÈBRES
AUBE
― Que racontes-tu, mésange ?
― Ah tu es pur et sans tort
Vis de l'air matutinal
Chante avec la voix des morts
― Mais ici quel chemin suivre ?
― Descend dans l'automne en cuivre
Par l'or et l'air des corolles
Viens je te donne l'obole
Charon rit déjà dans la barque
Approche sans peur de la Parque
― Aussi rit-elle ?
― crois dans mon aile
Je suis ta voix de l'au-delà
Tu n'es plus chargé ni las
L'orée est proche avec les anges
Que nul fardeau ne dérange !
p.10
III. LE TEMPS SANS TEMPS
BULBE DU TEMPS
O bulbe du temps si j'ai cette peine
Hors de ma fosse à l'aurore
Quand gouttent tes larmes sur mes mains
Ecoute-moi, dentelle funèbre !
Ah le cor me rappelle à ma caverne
je ne pleure pas
Cuivres et flûtes, vertèbres d'air
Où boire à toi Muse
Et mourir à ta gorge bombée
p.42
Votif
Extrait 2
À ma mort qu’il n’y ait pas d’ange
mais qu’il me soit donné
D’entendre encore une fois la mésange de l’âme
Et le rossignol qui a égrené si souvent
ses trilles autour de mon cœur
Que je sois seul moi aussi
Mais que s’ouvre l’air à ma bouche
Que vienne une dernière fois le vent que j’ai bu
Avec l’avidité d’un enfant qui tête
Et que mes os commencent à descendre avec lenteur
Dans la terre printanière
Je bois la mort maintenant
L’eau de la mort
J’ai les seins du vide aux dents
Et les regrets du corps aimé
en creux dans l’ombre sonore
Ah Mozart chante encore à mon cœur sans forme
Ce chant céleste où toi et moi
N’avons part dans nos espaces
Payot - Marque Page - Jacques Chessex - Le dernier crâne de M. de Sade