Des damnés, ou ils se croient tels, des ascètes, des innocents acharnés à s'accuser de toutes les fautes, de pèlerins, des ermites contemplatifs. des fous de Dieu. Quelques fous de cour. Des errants, même lorsqu'ils ont persisté à se fixer, parce que l'âme demeure inquiète, le coeur insatiable, l'esprit prométhéen. Ils vivent en moi de leur rumeur et de leur plaie.
Leur plaie : je m'aperçois (mais je le sais depuis toujours) que la plupart de ces poètes saignent, qu'à l'origine il y a en eux une blessure inguérissable et qu'ils écrivent pour étancher l'hémorragie. Solitude, folie; faute imaginaire ou trop réelle, l'une et l'autre également accablantes. L'effroi de la fuite du temps, l'obsession de la mort. Le suicide pour deux d'entre eux, seul ressource. La foi douloureuse aux protestants. La punition divine, le regard du dieu jaloux et la terrible compagnie du remords fixé aux pas du vivant comme les furies des antiques.
Ceux qui ont perdu cette foi instaurent une cosmogonie hautaine, parfois désolé. c'est l'austérité (Philippe Jaccottet), c'est la recherche du paradis perdu ( Gustave Roud), ou l'exaspératio violente de la chair et de l'esprit furieux (Pierre-Louis Matthey). Tels demeurent les effets d'un calvinisme abrupt : méfiance à l'égard de la figure humaine -la créature si souvent péjorative des prêches remontés de l'enfance-, culte de la solitude ennoblissante, particularisante, mais souffrance aussi de la solitude qui pèse comme une tare sur cette race biblique privée de prophètes. certaine sévérité aussi à l'égard de soi-même, qui fait les oeuvres rares, longuement portées, d'autant plus nécessaires et d'un sens plus lourd.
Dieu craint, Dieu perdu, Dieu nié : mais il demeure, il taraude, il questionne, il est interrogé, pressé, sommé jusqu'au vertige, jusqu'à l'extase frénétique (Yves Velan) et s'il se tait, énigmatique, son silence scandaleux retentit en révolte dans le désert où s'acharne le pasteur Friedrich (...).
Préface
Payot - Marque Page - Jacques Chessex - Le dernier crâne de M. de Sade