« Celui qui voulait voir la mer » est le deuxième volume de « La grande patience », cette saga en quatre volumes qui relate la jeunesse de Julien Dubois (en qui
Bernard Clavel a mis beaucoup de lui-même) entre 1937 et 1945.
Julien a terminé ses deux années d'apprentissage chez les Petiot, boulangers-pâtissiers à Dôle. Il revient chez ses parents, à Lons le Saunier, mais nous sommes à l'automne 1939, et la guerre n'est pas loin. A la maison ils sont deux à l'attendre : le père, un bougon, qui cache derrière une attitude d'ours mal léché, une grande sensibilité ; la mère, une femme d'exception, une mère surtout, qui donne au-delà de ce qu'elle peut donner, et qui possessive et généreuse à la fois, peut être entière jusqu'à être bornée, aimante jusqu'à l'excès. Julien a seize ans, que voulez-vous, c'est un enfant, c'est « son » enfant. Mais la guerre est là. L'ennemi investit la France, et l'exode commence. Julien part à son tour. Commence alors pour les parents, la longue, l'insupportable attente…
« Celui qui voulait voir la mer », c'est Julien, bien sûr, comment voulez-vous qu'un gamin qui a de telles idées puisse raisonner convenablement, à l'époque où l'on vit ? le roman n'est pas un historique de la période : comme dans le feuilleton « Un village français », il ne sort pas des limites de Lons-le-Saunier. Mieux, il ne quitte pas le quartier où vivent le père et la mère Dubois, avec leurs amis et voisins. Deux histoires (avec un petit h) dans la grande (avec un grand H) : le huis clos des deux vieux, hantés par l'image de leur fils, parti on ne sait où, peut être malade, peut-être blessé, peut-être mort (car bien sûr on n'envisage que le pire) ; et l'histoire au jour le jour de la petite ville. Vous avez déjà lu des récits qui se passent à cette époque (« Au bon beurre », « Mon village à l'heure allemande », « Les Forêts de la nuit »…), vous avez sans doute vu ce film d'une importance capitale sur la France au temps de Vichy : « le Chagrin et la pitié », vous avez donc une petite idée sur ce qui peut se passer dans une petite ville de province sous l'Occupation : c'est aussi ce que nous raconte
Bernard Clavel, mais lui il le fait au ras des pâquerettes à hauteur d'homme et de femme, à hauteur surtout de père et de mère pour qui l'enfant constitue le pôle central de leur vie. Ce qui ressort de ce roman, c'est l'amour ; amour d'autant plus fort qu'il n'est pas prononcé, ni décrit, mais qu'il apparaît en creux dans les regards, dans les silences, dans les non-dits.
« La maison des autres » était centré sur le personnage de Julien. « Celui qui voulait voir la mer », malgré le titre, est le roman des parents de Julien : formidable portrait de la mère, abusive à force d'amour, avec en ombre portée, le père, qui cache mal sous une carapace qui ne trompe personne, une même anxiété et un même amour.
C'est aussi le portait d'une époque où les évènements font ressortir les creux et bosses des personnalités (ce sera encore pire à la Libération), une époque où rien n'est clair, où les consciences se diluent, où finalement tout le monde se perd, et tout le monde se cherche, à l'image de cet exode, chaos dans le chaos.
Le regard de Clavel, chaleureux malgré le contexte, nous accompagne tout le long de ce roman prenant et passionnant, dont les personnages ne sont pas près de nous quitter…