Je remercie NetGalley et les éditions Sonatine pour l'envoi du petit dernier de
Paul Cleave,
Ne fais confiance à personne.
Jerry Grey est auteur de polar mais aussi atteint d'un Alzheimer précoce. Dans sa vie d'avant, pour ne pas laisser son métier d'auteur empiéter sur sa vie de famille, il s'est inventé un personnage, celui qui porte son pseudo d'écrivain. Henry Cutter. Henry se tait quand la porte du bureau de Jerry se ferme.
Quand deux personnalités se côtoient à l'intérieur d'un seul corps, imaginez le chaos créé par la confusion des temps, des lieux, des personnes et des événements, par l'oubli de pans entiers de vie. Laisser la porte du bureau ouverte, c'est mêler la réalité du quotidien à la fiction de ses romans. Et Jerry/Henry ne sait plus très bien quelle réalité est altérée, en qui peut-il encore avoir confiance quand lui-même n'est plus fiable?
Et quand des assassinats réels sont commis et que tout désigne celui qui ne se rappelle de rien, comment prouver son innocence quand personne ne croit plus en lui?
Ce roman est une performance d'écriture!
Le lecteur est happé dès les premières pages et perdu, également.
Pas à pas, on perd pied avec la réalité, on doute, comme Jerry, de tout et de tous.
Comme la police, on le pense coupable des meurtres perpétrés dans son proche entourage même si, en fidèle lecteur de thrillers , le neurone est titillé par l'éventualité de l'existence d'un proche bien tordu qui doit profiter de la faiblesse de Jerry.
Performance de construire un thriller bien tordu, cohérent, machiavélique et surprenant alors que nous sommes dans le brouillard épais d'une maladie proche de la folie. Une immersion médicale de haut vol pour traduire et verbaliser non seulement le quotidien de Jerry mais aussi ce qu'un patient d'Alzheimer doit littéralement vivre dans son esprit: la perte d'identité, d'autonomie, la paranoïa, le sentiment d'isolement. Impossible de ne pas s'identifier à cet homme qui peu à peu abandonne ses forces sous les coups de butoir vains de ses éclats de rébellion.
Thriller de fond car il y a bien des morts et un assassin, un suspens et du sang versé (ce n'est pas une affabulation, un éclair d'imagination, ni même un oubli) mais aussi un roman noir sur la déchéance d'un être atteint d'une terrible maladie, qui le sait, qui le sent, qui en vit la progression et voit le regard des autres changer, jusqu'à ne plus avoir conscience de grand chose…
L'auteur a su jongler avec tous ses aspects dans un style parfois caustique, parfois tendre, parfois implacable. Ce sont les moments où Jerry parle à Henry dans son carnet de nord qui sont les plus percutants bien entendu, et les plus émouvants quand il laisse sa détresse s'exprimer.
J'ai énormément apprécié les passages sur le travail d'écriture, sur les motivations qui poussent un auteur à écrire des polars, et sur l'image que le quidam projette sur ces romanciers de l'abominable. Je pense que tout lecteur s'est déjà demandé si son auteur de thriller préféré était sain d'esprit ou mentalement dérangé alors quand un écrivain ne sait plus lui-même s'il a simplement une imagination débordante ou s'il a succombé à des pulsions criminelles, c'est grave doc'!
La construction du roman semble aussi anarchique que les crises d'absence de Jerry et contribue à installer un climat anxiogène et perturbant. le suspens est prenant et la fin est une gifle dans un dénouement que l'on savait pourtant inéluctable.
Une excellente performance d'écriture que j'ai adorée! Je crois, à mon sens, que c'est le meilleur roman de
Paul Cleave à ce jour!
Lien :
http://livrenvieblackkatsblo..