Les photos, ça s'écoute (aussi, et surtout!)
Factuellement, il n'est pas nécessaire, ni souhaitable, de rajouter quoi que ce soit à la présentation de l'éditeur. Elle est amplement suffisante.
Il me reste donc à livrer des éléments de cette expérience de lecture.
Il ne m'a pas fallu plus de 7 pages pour entrer dans l'histoire : dans ce laps de temps, la tante Rosamond est déjà morte et enterrée. On a aussi déjà fait la connaissance d'une douzaine de personnages (Rosamond, Gill, Stephen, Thomas, David, Sylvia, révérend Tawn, Elizabeth, Dr May, Ruth, Catharine, Imogen...). Leurs portraits physiques sont déjà esquissés, leurs profils psychologiques aussi, ainsi que les types de connexions interpersonnelles qu'ils entretiennent entre eux. Des tensions sont déjà palpables, des réminiscences d'événements passés affleurent. Pour couronner le tout, la mort de Rosamond semble receler une part de mystère, de même que son testament, dont la divulgation commence déjà. Bref, ça part bien.
Le poisson que je suis, a mordu à l'hameçon.
Jonathan Coe ne m'a relâché que 2 longues soirées plus tard, vivant et satisfait, au terme de 250 pages d'immersion.
Pour parler davantage de ce livre sans trop en révéler, je vais utiliser des sentiers détournés :
1) Dès la première occurrence du prénom "Rosamond" (le personnage principal) dans le roman, j'ai malgré moi fait le rapprochement phonétique avec le mot "Rosebud". Je dois dire que la voix d'Orson Welles (en V.O) prononçant ce mot dans le film Citizen Kane, avec un gros plan sur sa bouche, est imprimée dans ma mémoire de façon indélébile et prégnante. Dans ce film, le richissime Charles Foster Kane (interprété par O.Welles) laisse échapper cet ultime mot en mourant. Un journaliste va s'efforcer d'en trouver la signification, dont on pressent l'importance. "Rosebud" renvoie effectivement à un évènement ancien, traumatisant et essentiel. Mais faute de témoignages, le mystère risque de se refermer définitivement et le sens de ce souvenir structurant pour Kane pourrait disparaître avec lui.
2) J'ai chez moi une reproduction d'une photo de foule prise sur la plage de Coney Island en 1929. Toutes ces personnes (des centaines) fixent l'objectif (et donc moi !). Leurs traits et leurs regards sont d'une grande netteté. A travers les 80 années qui nous séparent, il semble que nous nous fixons, que nous établissons les prémices d'un contact.
Cette photo est fascinante mais elle provoque un certain désarroi. Toutes ces personnes (probablement mortes maintenant) sont autant de vies et d'histoires, mais tout ce que je peux en tirer s'arrête à cette surface insondable. À elle seule, cette image reste désespérément muette et sujette à toute interprétation fantaisiste. de plus les apparences sont trompeuses. On "prend la pose" le temps d'un cliché, l'affectation surgit pour masquer la "vérité" de l'instant qu'on essayait justement de saisir.
Dans cette histoire, Rosamond digresse, s'éloigne des descriptions formelles, révèle les couches profondes d'une vingtaine de photos.
Dois-je le préciser? J'ai beaucoup aimé.