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EAN : 9782277300861
158 pages
J'ai lu (25/10/1995)
3.57/5   57 notes
Résumé :
La nuit est douce. Caressante. De celles qui laissent sur la peau des frissons incertains... Au milieu des riches tentures, des buissons de roses, des bruissements d'étoffe, des rires, des soupirs et de mille lumières, la fête étincelle. Derrière les lianes fleuries, Jean Gaussin contemple les danseurs. Blond, le visage hâlé par son soleil méridional... Perdu parmi la foule bariolée des Peintres et des sculpteur parisiens... La musique, les parfums, les bras nus l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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C'est avec un immense plaisir que je me replonge dans mes notes de lecture et d'études de Sapho d'Alphonse Daudet, un roman sans doute mal connu et un peu oublié de cet auteur du XIXème siècle qui explore ici la passion amoureuse à travers l'observation d'un « collage », une période de concubinage, entre un jeune homme de bonne famille et une cocotte.
Sapho, lu et étudié il y a quelques années fut pour moi une belle découverte…

Ce roman, publié en 1884, a été sous-titré « Moeurs parisiennes », sorte d'hommage et d'héritage balzacien, avec une dédicace particulière et personnel le: « pour mes fils, quand ils auront vingt ans »… C'est l'histoire d'une passion, au sens tragique.
L'inspiration est autobiographique : Alphonse Daudet a vécu une relation tumultueuse avec une femme plus âgée, Marie Rieu, qui sert de modèle à son personnage éponyme, aventure à laquelle il a dû mettre fin avant son mariage bourgeois. Ce livre se passe dans un milieu bohème tel qu'on le retrouve dans les nouvellesDe Maupassant, celui des artistes commençants, des candidats à la figure artistique (peintre, musicien, poète, littérateur), avec des parties de campagne, des guinguettes… L'ambiance est cependant un peu « has been », constituée de vieilles gloires sur le déclin ; c'est le monde des cocottes et des « vieilles roulures »
L'action se déroule sur cinq années de 1873 à 1878… Une liaison qui aurait dû rester sans lendemain se noue lors du bal masqué. Gaussin est dans la position du naïf face à Sapho, l'initiée qui connaît bien le milieu et sait qui se trouve derrière les masques. C'est Sapho qui choisit le jeune homme et provoque la vie commune et l'installation dans une situation durable qu'au fond de lui le héros réprouve mais dans laquelle il reste malgré tout.
Sous des dehors de brave fille, Sapho a tout de la femme fatale même si ce n'est pas une courtisane au sens strict du terme. J'ai pu relever de nombreuses occurrences du verbe « aimer » dans le récit. Mais l'amour n'est jamais décrit comme un sentiment idéal ; Daudet donne plutôt à lire les effets désastreux d'une passion en soulignant le manque de volonté de Jean Gaussin face à une certaine fatalité de la chair. Sa passion charnelle pour Sapho le prive de sa volonté et le fait passer sous la coupe de cette femme qui lui est inférieure mais qui devient dominante. Lors de la parution du livre, les critiques n'avaient pas apprécié la faiblesse du héros.
Les autres personnages féminins, femme-enfant, courtisane réhabilitée par le mariage… sont également dignes d'intérêt.

L'écriture est très descriptive par moments avec des images d'une grand force évocatrice.
Il y a notamment dans le récit une montée d'escalier symbolique, vécue comme une souffrance à l'image de la passion du Christ ou comme une spirale infernale, particulièrement parlante ; cette thématique de l'escalier est fréquente chez les écrivains naturalistes : on la retrouve chez Zola dans La Curée, Nana ou Pot-Bouille.
Daudet donne également force détails sur l'organisation du ménage, le choix des meubles et de la vaisselle, parle d'argent sans tabou, utilise à fond le pouvoir romanesque des scènes de ménage et des disputes. Naturellement, les scènes érotiques sont données à imaginer sous forme d'ellipses.
Là, c'est une scène de rupture qui me revient à l'esprit, lors d'une promenade en forêt, où Sapho est décrite comme une bête : la description est magnifique, cruelle, mais aussi impressionniste.

La Symbolique des lieux est aussi très importante dans ce livre. Malgré le sous-titre, il y a une réelle opposition, une ambiguïté entre Paris et la Provence, entre des milieux que tout oppose. À ce titre, on peut faire un rapprochement entre la maladie de la vigne, le phylloxera, et la syphilis, péril jamais expressément nommé mais sous-jacent dans le texte, dont a d'ailleurs souffert Daudet. Ces deux pathologies représentent de véritables hantises à l'époque contemporaine de l'écriture ; le lecteur peut faire le rapprochement entre affection des corps et maladie des vignes.
Il est intéressant de regarder de plus près toute la partie suburbaine qui retrace un mouvement que je qualifierai de sociologique, quand, aux beaux jours, les parisiens vont s'aérer dans des lieux agréables que Sapho connaît bien, des endroits au bord de l'eau par exemple… On rejoint ici les pratiques artistiques avec la peinture de plein air même si, dans ce livre, on ne voit jamais vraiment les artistes au travail.

À sa sortie, ce roman a été accueilli comme une thèse, une démonstration, un plaidoyer contre la figure de la maitresse tyrannique et contaminante. Cela me paraît plus complexe, en tous les cas plus ambigu… En effet, le couple modèle du ménage Héttema, un peu trop harmonieux sans doute, interroge aussi sur les valeurs bourgeoises ; de même, j'ai été particulièrement émue par le sort de la jeune maitresse de Déchelette, opposé pour sa part au « collage »…
Ce qui me gêne un peu, c'est le côté moraliste qui affleure, comme si l'auteur mettait dans la bouche de certains de ses personnages des observations qui seraient le reflet de ses propres réflexions. Là, on va au-delà de la posture naturaliste qui doit décrire sans porter de jugement. J'ai pu lire que Daudet avait changé son dénouement, le rendant plus raisonnable, gommant une trop haute idée de morale ; en effet, Jean devient une victime tandis que Sapho se révèle presque maternelle, bienfaitrice.

Un roman intéressant, qui mérite d'être relu.
Alphonse Daudet a un peu souffert, comme les Goncourt par exemple, de l'ombre portée par Balzac et Zola… C'est un peu dommage.
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Je ne suis pas un spécialiste d'Alphonse Daudet, et d'ailleurs ça va se voir, autant prévenir !.. J'ai juste pour moi le bénéfice d'avoir lu dans ma jeunesse ses contes que tout le monde connaît et j'en conserve un souvenir impérissable. (Les Lettres de mon moulin ..). Puis vint cette note contrariante portée à mon attention par hasard, comme quoi il lui arrivait d'écrire à quatre mains ou du moins d'avoir un nègre en une personne plutôt capable, et je dois dire que je l'ai laissé dans ma mémoire de côté, avec esquive. le temps a passé et je pensais plutôt la veille qu'il ne faut pas trop se formaliser. D'autant plus que pour des raisons politiques sur lesquelles je ne vais pas m'étendre ici, il fit l'objet d'acharnement contre lui, je verrai cette question plus tard. Et puis là je reviens vers lui par le même hasard. Une brocante à Senlis et un livre me tend les bras : son Sapho dans une collection prestige numérotée, reliée cuir, pour 5 euros. Pour le coup, je n'ai pas compté mon argent, appréciant déjà mon heureuse trouvaille, et je l'ai dévoré ensuite à la maison comme le gosse que j'étais quand je revenais de la librairie de mon quartier avec en main un nouveau Club des cinq comme si je portais un trésor dans mon sac .. Sapho fait d'après sa bio bande à part. Dans les bios classiques, je n'ai pas trouvé grand chose, car je pense que son auteur a été victime d'une sourde campagne de dénigrement et donc de censure.. Qu'à cela ne tienne, je verrai cela après !..
"Regardez-moi .. J'aime la couleur de vos yeux.. Comment vous appelez-vous ?
- Jean Gaussin
- du Midi, j'entends ça .. Quel âge ?
- Vingt et un ans.
(..)
Ces bouts de phrases, presque inintelligibles au milieu des cris, des rires, des airs de danse d'une fête travestie, s'échangeaient -une nuit de juin- entre un pifferaro et une femme fellah dans la serre des palmiers, de fougères arborescentes, qui faisait le fond de l'atelier de Déchelette.."
Ca sent le soufre et le sud, c'est bien ce que j'avais ouï dire !..
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Un étonnant roman d'amour ou de manipulation, pourquoi pas de naïveté, peut-être bien de puissance, une certaine puissance de la nature féminine! Dans un style bien que vieilli mais d'une malléabilité plaisante, Alphonse Daudet fait dans Sapho, un éloge à la courtisanne, plutôt de son pouvoir ou encore de sa dangerosité pour des jeunes coeurs, avides de tendresse...
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Sapho/Alphonse Daudet
Alphonse Daudet, c'est l'auteur du Petit Chose, des Lettres de mon Moulin, de Tartarin de Tarascon, de l'Arlésienne que Bizet mettra en musique, des Contes du Lundi.
Ces écrits précisément lui assureront la fortune et lui permettront de se lancer dans une autre voie, celle du roman réaliste consacré à la peinture des moeurs contemporaines : notamment Jack, le Nabab, Les Rois en exil, l'Évangéliste et Sapho.
Sapho fut écrit en 1884 et met en scène la vie de bohême des artistes. Mais pas seulement.
Jean Gaussin , 21 ans, dessinateur, provincial installé à Paris, lors d'une soirée chez Déchelette, un artiste médiocre, fait connaissance de Sapho, une belle femme mystérieuse et sensuelle.
Sapho avoue un jour à Jean : « Oh ! moi, dès que je t'ai vu entrer, j'ai eu envie de toi. »
Ils tombent sans doute amoureux l'un de l'autre.
« Il était (Jean) si bien dans le dorlotement de cette chambre voluptueuse, si délicieusement étourdi par cette haleine en caresse sur ses paupières qui battaient, lourdes de sommeil, pleines de visions fuyantes, bois rouillés, près, meules ruisselantes, toute leur journée d'amour à la campagne… »
Mais l'amour va leur être un poison à action lente tout au long de leur romance.
Sapho de son vrai nom Fanny Legrand, a du métier en amour car elle n'en est pas à son coup d'essai. Elle va susciter une jalousie maladive chez Jean et leur relation va connaître des hauts et des bas, une relation passionnelle, charnelle, puissante et qui semble sans issue.
« …cette jalousie basse qui le rongeait et dont il ne taisait plus les irritations ni les rancoeurs, éclatant à tout propos contre l'un et l'autre. »
Fanny sait apaiser Jean car elle sait être tendre et charmante comme au premier jour :
« Et les caresses perverses si longtemps retenues, tous ces mots de délire que ses dents serrées arrêtaient au passage, elle les lâchaient à présent, s'étalait, se livrait dans son plein de courtisane amoureuse et savante, dans toute la gloire horrible de Sapho. »
Et Jean succombe encore et encore :
« Lui s'exaltait au charme troublant de ce beau corps si près du sien, de cette bouche fraîche au sang avivé par le grand air qui dérangeait les cheveux, les envolait au-dessus du front en délicats frissons à la mode parisienne. »
Ruptures et retours se succèdent avec toujours autant d'émotion. Jean ne peut rester insensible à l'attrait charnel de Fanny :
« Il se sent pris sous le peignoir ouvert où elle est nue, pénétré de cette odeur, de cette chaleur de chair de femme, bouleversé de ce baiser d'adieu qui lui laisse dans la bouche un goût de fièvre et de larmes. »
On remarque la finesse de l'observation de l'écrivain pour mettre en scène des personnages qu'il a côtoyés chaque jour. Daudet observe le réel avec une ironie amusée, avec sympathie et émotion. Il n'hésite pas à dépeindre les vilenies de la société, mais reste optimiste.
Le style de Daudet est toujours riche et poétique, léger et facile :
« le matin, avant de partir, Jean déjeunait dans leur petite salle à manger, la croisée ouverte sur cette large route pavée, mangée d'herbe, bordée de haies d'épine blanche aux parfums amers. C'est par là qu'il allait à la gare en dix minutes, longeant le parc bruissant et gazouillant ; et, quand il revenait, cette rumeur s'apaisait à mesure que l'ombre sortait des taillis sur la mousse du chemin vert empourpré de couchant, et que les appels des coucous à tous les coins du bois traversaient de trilles de rossignols dans les lierres. »
Daudet sait nous réconcilier avec la vie grâce à son réalisme et sa fantaisie.
On a dit de lui qu'il était un marchand de bonheur.
Un très beau roman.

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Le titre est trompeur. Car ce n'est pas le roman de Sapho, l'ancienne courtisane influente, muse des poètes et des sculpteurs, qui, dans la rime ou dans le bronze, ont célébré ses charmes, et surtout sa taille et son buste, connue pour les plaisirs donnés, y compris saphiques. Mais Sapho n'est pas une autre Nana, car le roman est celui de Fanny, prénom d'un personnage plus rangé.
Car Fanny rêve d'une vie bourgeoise, rangée, avec bon repas, chaussons au coin du feu, et relation stable. Elle-même a vieilli - et si cela ne se voit pas encore, elle le sent et elle le sait, et certains le savent pour elle. Alors, elle éblouit un jeune homme, bien joli et bien naïf. Et leur relation s'écrit et est prophétisée par la scène de l'escalier : il la porte par vanité, désir de l'impressionner, volonté aussi de se prouver à lui-même sa force, et en profite, le caresse, et elle finit par l'essouffler et l'épuiser.
Oui, Fanny devient une "vieille maîtresse" pour reprendre le titre de Barbey d'Aurevilly, et son amant lui fait une scène en découvrant que Fanny est Sapho, soit en comprenant qu'elle a eu un passé de boue et de débauche. Mais comme chez d'Aurevilly, ils sont liés et ne peuvent se séparer.
Comme souvent dans les romans du XIXème siècle mettant en scène des courtisanes (Dumas fils, Zola, d'Aurevilly, Balzac...), c'est le personnage féminin qui est plus intéressant que celui de son amant, car bien plus vivante. Jean n'arrive pas à trancher, il ne fait pas la différence entre ses sentiments et ses désirs, n'a pas résolu son complexe d'Oedipe également sûrement - reporté sur sa jeune tante. Au contraire, Fanny est intéressante car elle n'est pas la Narratrice, et on ne connaît jamais ses véritables sentiments. Elle rejoint plusieurs figures, de Manon Lescault à Marguerite Gautier, Esther aussi chez Balzac, celle de la courtisane repentie allant jusqu'au martyr pour celui qu'elle aime, et qui ne la mérite pas. Mais elle reste ambigüe, et plusieurs moments interrogent sur ses intentions. C'est ce mystère que j'ai particulièrement apprécié, ainsi que la description du milieu bohême.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
"Mon cher enfant, je t'écris encore tout tremblante du gros tourment que nous venons d'avoir : nos bessonnes disparues, parties de Castelet pendant tout un jour, une nuit et la matinée du lendemain !...
"C'est dimanche, à l'heure du déjeuner, qu'on s'est aperçu que les petites manquaient. Je les avais faites belles pour la messe de huit heures où le consul devait les conduire, puis je ne m'en étais plus occupée, retenue auprès de la mère, plus nerveuse que d'habitude, comme sentant le malheur qui rôdait autour de nous. Tu sais qu'elle a toujours eu ça depuis sa maladie, de prévoir ce qui doit arriver ; et moins elle peut bouger, plus sa tête travaille.
"Ta mère dans sa chambre heureusement, tu nous vois tous à la salle, attendant les petites ; on les appelle par le clos, le berger souffle avec sa grosse coquille à ramener les brebis, puis Césaire d'un côté, moi d'un autre, Rousseline, Tardive, nous voilà tous à galoper dans Castelet et, chaque fois, en nous rencontrant : "Eh bien ? - Rien vu. " A la fin on n'osait plus demander ; le coeur battant, on allait au puits, au bas des hautes fenêtres du grenier... Quelle journée !.... et il me fallait monter à tout moment près de ta mère, sourire d'un air tranquille, expliquer l'absence des petites en disant que je les avais envoyées passer le dimanche chez leur tante de Villamuris. Elle avait paru le croire ; mais tard dans la soirée, pendant que je la veillais, guettant derrière la vitre les lumières qui couraient dans la plaine et sur le Rhône à la recherche des enfants, je l'entendis qui pleurait doucement dans son lit ; et comme je l'interrogeais : "Je pleure pour quelque chose qu'on me cache, mais que j'ai deviné tout de même...", me répondit-elle de cette voix de petite fille qui lui est revenue à force de souffrance ; et sans plus nous parler, nous nous inquiétons toutes deux, à part dans notre chagrin...
"Enfin, mon cher enfant, pour ne pas faire durer cette pénible histoire, le lundi matin nos petites nous furent ramenées par les ouvriers que ton oncle occupe dans l'île et qui les avaient trouvées sur un tas de sarments, pâles de froid et de faim après cette nuit en plein air, au milieu de l'eau. Et voici ce qu'elles nous ont conté dans l'innocence de leurs petits coeurs. Depuis longtemps l'idée les tourmentait de faire comme leurs patronnes Marthe et Marie dont elle avaient lu l'histoire, de s'en aller dans un bateau sans voiles, ni rames, ni provisions d'aucune sorte, répandre l'Evangile sur le premier rivage où les pousserait le souffle de Dieu. Dimanche donc, après la messe, détachant une barque à la pêcherie et s'agenouillant au fond comme les saintes femmes, tandis que le courant les emportait, elles s'en sont allées doucement échouer dans les roseaux de la Piboulette, malgré les grandes eaux de la saison, les coups de vent, les révouluns... Oui, le bon Dieu les gardait et c'est lui qui nous les a rendues, les jolies ! ayant un peu fripé leurs guimpes du dimanche et gâté la dorure de leurs paroissiens. On n'a pas eu la force de les gronder, seulement de grands baisers à bras ouverts ; mais nous sommes tous restés malades de la peur que nous avons eue.
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Mme Hettéma, très grave, déballant le jambon, blâmait fort cette façon de laisser des jeunes filles courir les bois en liberté. "Vous me direz que c'est le genre anglais, et que celle-ci a été élevée à Londres..., mais c'est égal, ça n'est vraiment pas convenable.
- Non, mais très commode pour les aventures !
- Oh ! Fanny...
- Pardon, j'oubliais... Monsieur croit aux innocentes...
- Voyons, si l'on déjeunait..." fit Hettéma qui commençait à s'effrayer. Mais il fallait qu'elle lâchât tout ce qu'elle savait ds jeunes filles du monde. Elle avait de belles histoires là-dessus..., les couvents, les pensionnats, c'était du propre... Elles sortaient de là épuisées, flétries, avec le dégoût de l'homme ; pas même capables de faire des enfants. "Et c'est alors qu'on vous les donne, tas de jobards... Une ingénue ! ... Comme s'il y avait des ingénues ; comme si, du monde ou pas du monde, toutes les filles ne savaient pas, de naissance de quoi il retourne... Moi, d'abord, à douze ans, je n'avais plus rien à apprendre... vous non plus, n'est-ce pas Olympe ?
- ... turellement..." dit Mme Hettéma avec un haussement d'épaules ; mais le sort du déjeuner la préoccupait surtout, en entendant Gaussin, qui se montait, déclarer qu'il y avait jeunes filles et jeunes filles, et qu'on trouverait encore dans les familles...
"Ah ! oui, la famille, ripostait sa maîtresse d'un air de mépris, parlons-en... ; surtout de la tienne.
- Tais-toi... Je te défends...
- Bourgeois !
- Drôlesse ! Heureusement, ça va finir... Je n'en ai plus pour longtemps à vivre avec toi...
- Va, va, file, c'est moi qui serai contente..."
Ils s'injuriaient en pleine figure, devant la curiosité mauvaise de l'enfant à plat ventre dans l'herbe, quand une effroyable sonnerie de trompe, centuplée en écho par l'étang, les masses étagées du bois, couvrit tout à coup leur querelle.
"En avez-vous assez ?... En voulez-vous encore ?" et rouge, le cou gonflé, le gros Hettéma, n'ayant trouvé que ce moyen de les faire taire, attendait l'embouchure aux lèvres, le pavillon menaçant.
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Jean acheva de se décontenancer, au froid accueil de la maîtresse de maison, furieuse qu'on l'eût fait attendre, et à l'aspect extraordinaire des vieilles parques auxquelles Rosa le présentait de sa voix de charretier. Trois "élégantes", comme se désignent entre elles les grandes cocottes, trois antiques roulures comptant parmi les gloires du second empire, aux noms aussi fameux que celui d'un grand poète ou d'un général à victoire, Wilkie Cob, Sombreuse, Clara Desfous.
Elégantes, certes elles l'étaient toujours, attifées à la mode nouvelle, aux couleurs du printemps, délicieusement chiffonnées de la collerette aux bottines ; mais si fanées, fardées, retapées ! Sombreuse, sans cils, les yeux morts, la lèvre détendue, tâtonnant autour de son assiette, de sa fourchette, de son verre ; la Desfous, énorme, couperosée, une boule d'eau chaude aux pieds, étalant sur la nappe ses pauvres doigts goutteux et tordus, aux bagues étincelantes, aussi difficiles, compliquées à entrer et à sortir que les anneaux d'une question romaine. Et Cob, toute mince, avec une taille jeunette qui faisait plus hideuse, sa tête décharnée de clown malade sous une crinière d'étoupes jaunes. Celle-là, ruinée, saisie, était allée tenter un dernier coup à Monte-Carlo et en revenait sans un sou, enragée d'amour pour un beau croupier qui n'avait pas voulu d'elle ; Rosa, l'ayant recueillie, la nourrissait, s'en faisait gloire.
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Pudeur, réserve, à quoi bon ? Les hommes sont tous pareils, enragés de vice et de corruption, ce petit-là comme les autres. Les appâter avec ce qu’ils aiment, c’est encore le meilleur moyen de les tenir. Et ce qu’elle savait, ces dépravations du plaisir qu’on lui avait inoculées, Jean les apprenait à son tour pour les passer à d’autres.
Ainsi le poison va, se propage, brûlure de corps et d'âme, semblable à ces flambeaux dont parle le poète latin, et qui couraient de main en main par le stade.
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Dans leur chambre, à côté d'un beau portrait de Fanny par James Tissot, une épave des anciennes splendeurs de la fille, il y avait un paysage du Midi, tout noir et blanc, grossièrement rendu sous le soleil par un photographe de campagne.
Une côte rocheuse escaladée de vignes, étayée de muretins de pierre, puis en haut, derrière des files de cyprès contre le vent du nord, et s'accotant à un petit bois de pins et de myrtes aux clairs reflets, la grande maison blanche, moitié ferme et moitié château, large perron, toiture italienne, portes écussonnées, que continuaient les murailles rousses du mas provençal, les perchoirs pour les paons, la crèche aux troupeaux, la baie noire des hangars ouverts sur le luisant des charrues et des herses. La ruine d'anciens remparts, une tour énorme, déchiquetée sur un ciel sans nuage, dominait le tout, avec quelques toits et le clocher roman de Châteauneuf-des-Papes où les Gaussin d'Armandy avaient habité de tout temps.
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