Lu en v.o. Senora de rojo sobre fondo gris
25 ans apres “
Cinq heures avec Mario”, en 1991, Delibes publie un autre portrait de femme. Tres different. le revers de la medaille. La “dame en rouge” est une femme forte, bien que delicate. Une intellectuelle qui a introduit le narrateur, un peintre, a
Proust, Musil ou
Robbe-Grillet, mais qui se meut avec aisance dans toutes les classes sociales. le coeur dans la main, elle aide et secourt tous ceux qui l'approchent, avec un altruisme serein.
En fait c'est l'hommage de Delibes a sa femme, decedee suite a un cancer en 1974. C'est la mise en pages de son admiration et de son amour, un amour encore vif quand il l'ecrit, une admiration que l'absence amplifie. A peine deguise sous les traits d'un peintre qui a perdu toute inspiration apres la perte, qui s'est mis a boire, qui sombre, Delibes confesse sa propre detresse. Il raconte, a sa fille qui vient de sortir de prison, les annees de maladie de sa mere, son courage, sa serenite face aux epreuves, confortant les autres autour d'elle face a la fatalite.
Dans cette confession Delibes imbrique des details, des trames secondaires, qui ont ete reelles et qu'il ne maquille qu'en changeant des noms ou des lieux. Ainsi
la jalousie du narrateur envers un vieux peintre de ses amis qui avait fait le portrait de sa femme, captant, mieux que lui n'aurait jamais reussi a faire, sa sereine feminite, son elegance detendue. Et on sent que Delibes a ete un peu jaloux d'Eduardo Garcia Benito, le vrai peintre devant lequel a pose sa femme, Angeles, pour le tableau dont il a emprunte le titre et qui a toujours pare, eclaire son bureau (j'ai ajoute une photo de lui devant le tableau).
Ainsi les mots qu'il met dans la bouche d'un ami: “una mujer que con su sola presencia aligeraba la pesadumbre de vivir”, “une femme qu'avec sa seule presence allegeait le poids, la morosite de la vie”. Ce sont des mots qu'a vraiment prononce le philosophe et academicien
Julian Marias, pere de l'ecrivain
Javier Marias, dans son discours de reception de Delibes a l'Academie espagnole, en 1974, juste apres la mort de sa femme .
Ainsi le fait que la fille du narrateur, sortant de prison en 1975, n'aie pu etre temoin des dernieres annees de la maladie de sa mere ni etre presente a ses obseques, ce qui le force a tout raconter, ce qui lui permet de se raconter. L'alibi litteraire de Delibes. En 1972 furent arretes et emprisonnes tous les dirigeants et activistes du syndicat “Comisiones Obreras”, “Commissions Ouvrieres", accuses de collision avec le parti communiste a l'etranger. Ils attendirent un an leur proces, un des derniers grands proces politiques du franquisme, le “Proces 1001”, ou un tribunal d'ordre public les condamna a des peines de 12 a 20 ans de prison. Heureusement pour eux, a la mort de Franco en 1975 le nouveau roi signa immediatement leur amnistie. Delibes joue de ces dates pour faire revenir la fille du narrateur a la maison un an apres la mort de sa mere et il en profite pour claironner tout le mal qu'il pense de ce genre de proces. Chez Delibes cela sonne tres credible: a l'epoque il avait lui-meme ete force de quitter le poste de redacteur en chef du journal “El Norte de Castilla”, suite a des pressions politiques et a des menaces reelles de violence. Et de toutes facons ce n'est qu'une recidive: dans nombreux de ses livres il avait deja denonce les iniquites du systeme franquiste, fulmine contre les bassesses de sa propre societe.
En fin de compte c'est un livre triste. C'est un hymne a sa femme et une celebration des souvenirs d'une vie pleine d'amour, mais aussi une ritournelle de peine, la peine de vivre, la douleur, d'un homme esseule, perdu sans la femme qui l'accompagnait.
Comme toujours chez Delibes, c'est bien ecrit. Tout en douceur. Mais je ne range pas ce livre parmi ses meilleurs. Alors je vais me repeter: si vous n'etes pas comme moi un inconditionnel fan de cet auteur, lisez plutot
Les Saints Innocents.