Le journaliste et ancien rédacteur en chef de Best
Francis Dordor part de loin pour débuter son « Disquaires- une histoire », des premières machines à reproduire du son au XIXème siècle à l'invention du disque vinyle noir, des premiers magasins où on trouve des disques, marchands de meubles ou d'électroménagers le plus souvent, jusqu'aux disquaires proprement dits. L'interview érudite du collectionneur-blogueur-chercheur Thomas Henry qui illustre ce chapitre est un incontournable du livre.
Pour tenir ces boutiques, une nouvelle profession se crée, disquaire. le métier attire toute une foule de passionnés, dont une foule de lycéens et d'étudiants.
Francis Dordor privilégie assez souvent la parole des protagonistes plutôt que la sienne. Ce sont les disquaires eux-mêmes, ou leurs clients, qui parlent de Music Action, Open Market, Clémentine, etc, boutiques parisiennes disparues depuis des lustres mais dont le souvenir est vivace. Des pionniers mélomanes, rois de la nouveauté et de l'import.
Parmi ces disquaires, quelques occasionnels sont devenus célèbres,
Elton John collectionneur invétéré et réputé,
David Bowie et Étienne Daho pendant quelques mois chacun, ou encore Lenny Kaye dont l'interview est passionnante : son intérêt pour le doo-wop, la conception de la compilation « Nuggets », la rencontre avec
Patti Smith au magasin où il travaillait, etc.
L'histoire de New Rose (boutique et labels) sur une trentaine de pages a particulièrement retenu mon attention puisque j'ai fréquenté la boutique de la rue Pierre Sarrazin durant plusieurs années.
Il n'y a pas que Paris dans ce livre, heureusement. Rouen, Nancy, Caen, Nantes, ont leur place. Au Havre, grosse étape du livre, le disquaire s'appelle
Philippe Garnier, l'auteur de l'indispensable « Coins Coupés », qui deviendra plus tard un genre de tour-opérateur aux USA pour les disquaires français qui y font leurs emplettes.
À Rennes, on voit la naissance de Marquis de
Sade avec Franck Darcel, le passage du vinyle au cd chez Rennes Musique et les conséquences de l'arrivée des Fnac et Virgin (quelques pages leurs sont consacrées), puis d'internet. Une longue interview d'Étienne Daho vient compléter cette étape dans laquelle il évoque sa passion précoce pour la musique et son passage comme vendeur chez un disquaire.
Une escapade londonienne est l'occasion de croiser Geoff Travis et Nigel House de Rough Trade, Larry Debay de Bizarre, et d'évoquer une fois de plus le chambardement du punk.
Les musiciens ne sont pas oubliés : Les Olivensteins à Caen, Kas Product à Nancy, Miossec à Brest, tous ont croisé le chemin d'un disquaire qui leur a mis le pied à l'étrier ou chez qui ils ont fait la bonne rencontre. Les Thugs, fidèles au Do it yourself, ouvriront eux-mêmes avec quelques autres leur propre boutique. Quant à
Iggy Pop, il n'est pas interviewé, mais on en apprend un peu plus sur son « Metallic KO ».
« Disquaires » c'est tout ça avec en plus un panorama des disquaires français actuels, la relance du disque vinyle grâce au Disquaire Day, des interviews d'un des fondateurs de Third Man Records et du furieux collectionneur qu'est
Pierre Lescure, sans oublier les pochettes et encore pas mal d'autres choses.
La mise en page évoque plus celle d'un magazine que d'un livre. C'est aéré et vivant, les chapitres sont découpés en séquences avec interviews in extenso ou découpées en tranches, historique du sujet, des illustrations en noir & blanc pertinentes en quantité raisonnable, etc, etc.
Ce gros bouquin agréable à lire vient combler un vide ; l'histoire d'une profession qu'on a peut-être enterré un peu trop vite.
P.S : Je n'attendais pas grand-chose de ce livre, c'est la raison pour laquelle je ne l'ai pas acheté à sa sortie, c'est un article paru chez Chroniques Soniques (merci à eux) qui m'a incité à l'acheter, et je ne le regrette pas.