Ce Matin, je poursuis mon périple algérien. Après les clés retrouvées de benjamin Stora, je me retrouve dans
Souvenirs d'Algérie Heureuse de
Jean-Philippe Brette, connu ici sous le pseudo de Dourvach.
Lui n'est pas né en Algérie, mais a eu la chance d'y faire un service civique en tant que médecin, en Haute Kabylie, à Bordj, entre 1982 et 1984.
Le texte qu'il nous propose, - jusque dans la typographie et la composition - est à l'image du choc qu'il a connu en arrivant en Algérie. Choc de culture, choc de paysage, choc tout court, regrets mêlés de nostalgie, sentiment d'abandon et de retrouvailles, blessure ouverte et jamais refermée.
« Quel est le Pays?
Celui qu'on perd, peu à peu ?..
Celui qu'on retrouvera, un jour?..
Celui qu'on n'attendait pas:
L'embaumé personnel
« Ensoleillé des après-midi en terrasse »,
Nostalgique,
Hors-colonial... .
Un qui ne fait pas de bruit. »
Pays que l'on ne quitte jamais sans pleurer en l'imaginant devenir différent de celui que l'on a connu, les amis livrés à on ne sait quelle galère :
« Première ville rencontrée de nuit. 1982.
Bordj a-t-elle changé depuis?
Près de dix ans après...
Probable.
Les allumés du FIS y ont fait leur apparition, discrète ou bruyante, théâtrale! Barbes au carré, chemises de nuit boutonnées jusqu' au cou. Bistouquettes tristes qu'on imagine là-derrière. Et grande misère, psychologique, physiologique, spirituelle, affective et sexuelle: «la totale» des intégristes! Désintégrés, comme étrangers à eux-mêmes. « Atypiques en leur propre pays» : ce qu'on espère... Chefs et disciples, porteurs de « kâmis» (camisoles !). Lueur pois-chiche derrière les yeux. Carencés vitaminiques. Front supranational et connerie exportable. »
Et Lounès ?, le copain algérien, celui qui l'a guidé dans son séjour, qu'est-il devenu, sa femme Malika, fan de Hocine Aït-Ahmed (le fringant leader du FFS – décédé en 2015- NDLR - ) est-elle contrainte à porter le voile ?
« Bordj est une ville bleue.
Comme El Oued est le jaune et l'or des sables qui parcourent
ses rues, l'envahissent d'aurores »
Et cette couleur bleue, Jean-Philippe la retrouve chez les habitants, ceux-là qui, parce qu'il est français, paradoxe des paradoxes, payent son addition au restaurant :
« Ici la patrie du sourire... de l'addition réglée pour vous, de l'une des tables voisines: au restaurant, des inconnus, partis depuis longtemps, qui mangeaient en silence... Voisins de table; pas un mot. Que leur ai-je fait? »
Et le petit vieux qui ne lui fait pas payer les clous qu'il vient d'acheter :
« Client: rôle accessoire au théâtre marchand. Voilà qu'il ne veut pas me faire payer ses clous! Il a juste une envie de parler, de ses cousins de France, de la France... Incompréhensible! Me parler de la France... et à moi: il n'a que moi sous la main! »
D'étonnements en surprises, devant cette société d'hommes, usée,
où les femmes se cachent pour apparaître sans voile :
« Prenons la rue des jeunes filles. La rue parallèle, abritée. Elles y viennent seules et sans voile, d'un point à l'autre... Elles ressentent le soleil. Infirmières, accoucheuses, élèves, lycéennes. Elles passent ici; à quelques maisons de la grand-rue aux hommes. Loin des trente-et-mille paires de regards terribles. Ici est un monde différent. Un endroit calme, protégé... Loin des regards. de leurs regards... Les hommes évitent cette rue. »
…où tout respire l'ennui :
Plantés là, silencieux, les yeux fixes. Tous bien groupés, hommes et femmes. Alanguis, juste troublés par la chasse aux insectes. « Médecine hommes », « Médecine femmes» : sortis de leurs «pavillons »...
…où les femmes sont inaccessibles :
« Melha a l'intelligence de ses yeux et la finesse qui sort de ses mains. Longs doigts promis à des mains inconnues: ces mariages arrangés qu'on ne peut que retarder... Un temps. Un long temps... Elle a cette force. Sûre d'elle, en tout cas! »
« Melha-aux-mille-malices, Melha l'agile, tant.. aimée de ses collègues! Et Patrice le- timide. le désirant. Subjugué. A côté. Pourquoi n' a-t-il rien tenté... »
Les jours succèdent aux jours, alternant la découverte du pays, à vélo, les visites, les malades, les incompréhensions, l'amitié vaine, la peur, l'étonnement permanent, tout est prétexte à découverte tant ce pays et ses habitants sont loin de nous.
« Bureau de métal. Table d'examen trop haute, que les vieilles, toutes drapées de blanc, escaladent comme leurs montagnes...Couleur de suaire des murs. »
« La terrasse encore baignée par le soleil. Mille soirs défilent. Mille soirs, qui ne font rien d'autre, ici: apparaître, disparaître... . Se suivre sur les fils d'or du crépuscule. Chaque soir. Ces mêmes lumières. Les mêmes fêtes. Toujours. La magie de l'or sur les arbres entoure ce village-là. Timezrit... . »
« Pièce sinistre. Des heures vont s'y succéder: entre table d'examen, chaise et gratteries de papier, à ce bureau... Diagnostic-tic à consigner sur le cahier, ou à dicter à Omar ou Nissa s'ils ont le temps. Infirmier, infirmière, et traducteurs aussi.. .Et l'ordonnance - « triple exemplaire» : « Un pour Dieu, un pour l'administration, et un pour le malade! », dit Hamidane. En attendant, il range toutes celles des deux premiers types dans un carton, en vrac... Les met de côté: au cas où... _ Superstitieux. Il n'ose pas jeter! Et : ça pèse, ça s'empile... Ça commence à envahir son cagibi! » Mais il reste stoïque. Intraitable. « Conscience tranquille ».
Et puis vient le retour et la nostalgie du souvenir :
« La vie de Patrice: je ne l'ai pas « partagée», bien sûr... Nous cohabitions (en bons mozabites) : un an et demi, sans homosexualité refoulée particulière... Temps de l'Algérie. Politesse. Sans heurts. Puis habitudes ou amitié? On s'y mit à chaque « vacances»... reconstituant, au retour, la tribu miniature, estivale: Patrice seul, la Déesse et moi, et d'autres amis... Remâchant de l'Algérie-souvenir, sur des routes de montagne, nos vélos trop chargés, suant à l'heure de midi... Evocation en situation. Routes et sentiers déserts. Nature enchevêtrée. France du sauvage! Rendez-vous annuel et congés regroupés... Aventures. Amitié trop sereine... »
Une vision très personnelle de l'Algérie qui « mérite le détour », on y trouve l'essentiel de ce pays, ses paysages, sa géographie, ses habitants livrés à eux-mêmes et fliqués par un pouvoir absurde et insidieux.
J'y ai retrouvé certains peurs, inexplicables, de mon enfance…
Et comme
Jean-Philippe Brette cite
Isabelle Eberhardt
« Il y avait des myrtes verts et des lauriers roses étoilés au bord des oueds paisibles, à travers les jardins de figuiers et les oliveraies grises… Les fougères diaphanes jetaient leur brume légère sur les coulées de sang des rochers éventrés, près des cascades de perles, et les torrents roulaient, joyeux au soleil, ou hurlaient dans l'effroi des nuits d'hiver. »
Isabelle Eberhardt –
Pages d'Islam -
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