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EAN : 9782715231900
160 pages
Le Mercure de France (03/03/2011)
4.54/5   13 notes
Résumé :
Quatrième de couverture :

"La mémoire de l'enfance irrévocablement perdue est aussi délicieuse qu'effrayante. Par exemple. Il y a quelques années, alors que je marchais sur un trottoir bondé, que j'allais travailler et que j'étais pressée, me voilà submergée par l'odeur de ma mère. Cette ineffable odeur - un parfum qu'autrefois elle se mettait dans le cou - suit la foule, me rattrape, puis soudain disparaît. L'impression qu'elle me manque est alors in... >Voir plus
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Le bandeau annonce : « effroyables délices enfantines » et c'est, je crois au sens figuré d'« extrême, excessif » qu'il faut comprendre l'adjectif « effroyable ».

Dans « L'anniversaire » point de chantilly sur le gâteau ou alors, une aérienne, lancinante et exquise mousse appelée si simplement « la vie est trop courte ». Christina Mirjol s'empare avec une extrême délicatesse de brillantes bribes et brisures du passé, et comme dans un magique siphon littéraire elle crée un texte sur cette « éprouvante » qui saisit la narratrice devant la gravité du temps qui passe. Un 14 novembre 1954 qui compte et qui comptera à jamais, mais un jour dont il ne reste, n'est-ce pas, que cette « puérile gaité à laquelle [on] répond le coeur tout en morceaux ». Un texte poétique (d'ailleurs le recueil comporte l'épigraphe suivante : « Oh ! Fagots de mes douze ans, où crépitez-vous maintenant ? » de Henri Michaux) sur un « désenchantement » et une « détresse », un « véritable tourment ». Avoir dix ans un 14 novembre 1954, c'est déjà être né(e) à une époque plus sombre. Ce texte me rappelle ces deux vers du « Dur désir de durer » de Paul Éluard : « Nous sommes corps à corps nous sommes terre à terre/ Nous naissons de partout nous sommes sans limites », même si comme il est écrit à la page 21 « quelque chose n'est plus là ; et ce qui était beau, si gracieux dans le monde, ne bouge plus ». Je suis heureuse, en tant que lectrice, d'avoir entendu, moi aussi « crépiter la pluie grise de novembre ».

Dans « La petite dent cassée de Bertrand », le petit gouffre guète à la descente du lit par un beau matin où la narratrice se rend soudain compte que « rien n'est plus irreprésentable qu'un manque » (p. 33). « Quarante ans » la sépare de … quelque chose qui la fait pleurer, elle qui ne pleure jamais.

Prenez donc, sans plus attendre, vous aussi « Le train d'Akira Kurosawa », et « laisse[z]-vous emporter » comme je l'ai fait.

Le vent, reviendra avec « Mon vélo » aussi, mais chut, je ne dois pas trop vous en dire sous peine de vous gâcher une lecture parfois déconcertante, mais où l'omniprésence de notre riche coeur enfantin fait entendre une musique printanière.

Dans « La Plume » on retrouve Henri Michaux. La boucle semble bouclée, car comme disait le poète « que la vie est bonne aux vivants ».

Un recueil de 9 nouvelles que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire.
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« Ainsi, chacun de nous peut blêmir de douleur à l'instant où il sourit ; la dure rareté des gouffres décuplant leurs effets. »

Les « petits gouffres », ce sont ces brèves réminiscences, à la fois délicieuses et douloureuses, qui, sous l'effet d'un son, d'une odeur, d'une saveur (Ah… la madeleine de Proust), d'une silhouette entraperçue, nous saisissent à la gorge puissamment avant de disparaître presque aussitôt, laissant dans leur sillage une étrange impression, mélange d'incrédulité et de perte.
« Une fois passée la phase d'euphorie délicieuse, c'est l'impression mortelle de la perte des mondes qui subsiste… »
Christina Mirjol attrape au vol ces fugitives impressions, ce que Proust qualifie d'« un peu de temps à l'état pur » puis, avec une délicatesse extrême, elle les couche sur le papier. En neuf nouvelles qui ressemblent à des poèmes en prose, passant du « je » au « il » ou « elle » avec grâce, elle nous confie ces instants qui ouvrent une brèche dans le présent, brèche dans laquelle elle s'engouffre telle Alice, tiraillée entre la curiosité et la crainte, pour se retrouver à quelques années ou décennies de là, dans le passé.

Neuf nouvelles donc, autant d'instantanés s'efforçant de saisir l'insaisissable.

Il y a cette femme qui, par la grâce d'un parfum saisi au vol, ressent la présence de sa mère morte :
« Cette ineffable odeur — un parfum qu'autrefois elle se mettait dans le cou — suit la foule, me rattrape, puis soudain disparaît. L'impression qu'elle me manque est alors inexprimable. »
Passée l'extase, la perte encore et toujours.
Il y a cette autre femme, à moins que ce ne soit la même, qui, à l'occasion de l'anniversaire de sa petite-fille ou de son fils, peu importe, retrouve l'émoi de ses dix ans : « voici que les bougies qu'on avait empaquetées pour une éternité font vaciller des flammes refroidies depuis longtemps. » Ce jour-là, un dimanche, ses parents organisent un goûter auquel sont conviées ses camarades de classe. Mais un verre de trop, une remarque désobligeante et la jolie fête s'écroule comme un château de cartes :
« La vaisselle fracassée fait un bruit d'explosion, je me mets à trembler… Je tremble… je tremble encore. »
À la lecture de ce « je tremble… je tremble encore » j'ai pensé à Proust et à ses sanglots qui n'ont jamais cessé :
« Mais depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête l'oreille, les sanglots que j'eus la force de contenir devant mon père et qui n'éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n'ont jamais cessé. »
Et j'ai aussi pensé à Rousseau dont j'ai récemment chroniqué Les confessions. Dans l'un de ses rares et bouleversants moments de dévoilement, le vieil atrabilaire nous confie l'émotion toujours intacte que lui procure l'un de « ces petits airs » que lui chantait autrefois sa tante Suzon :
« Dirait-on que moi, vieux radoteur, rongé de soucis et de peines, je me surprends quelquefois à pleurer comme un enfant en marmottant ces petits airs d'une voix déjà cassée et tremblante? »

Les souvenirs et les êtres changent, mais la nostalgie, cette « souffrance délicate dans laquelle entre une jouissance chimérique » comme le résume joliment Patrick Dandrey, est immuable et éternelle. Christina Mirjol est de celles et ceux qui portent en eux leur enfance comme un trésor.
Christina Mirjol (@chris49) est membre de Babelio, mais je l'ignorais quand j'ai repéré son livre suite à la très belle chronique que lui a consacré @Lavieestunlongfleuvetranquille.

« Il n'aura donc suffi que du passage furtif de la brise sur ma joue ou du mince tremblement d'un seul cheveu de ma tête. Je le sens comme un rappel — intense, très intense — de la joie d'être enfant…L'effet pourtant retombe aussi vite que le vent ; il est déjà passé ; plus un souffle, plus un souffle… et tout en un instant redevient ce qu'il est… plus lourd, soudain plus lourd dans la rue qui se fige. »
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Neuf nouvelles, neuf moments, neuf souvenirs et des émotions à s'emparer de moi, sans violence aucune mais fermement, j'en suis envahie et j'en demande encore.
Il y a des plumes qui éveillent, bousculent, touchent ou frappent droit au coeur par une façon de faire parler le plus profond, le plus sensible, ce qu'on ne définit pas par un mot, ni même par mille, mais par un ressenti, quelque chose prend naissance à l'intérieur et y reste.
Des souvenirs qui reviennent comme ça sans frapper à la porte, sans être invités et qui bouleversent, ou font sourire, arrachent une perle aux yeux, ils peuvent même secouer, bien des fois. "Tout ce qui nous arrive, les choses qui nous arrivent, entraîne des petits cataclysmes, mêmes les choses minuscules on ne s'en méfie pas. Elles nous blessent, elles nous blessent, continuent de nous blesser, et sont aussi cruelles qu'elles étaient ordinaires au moment d'arriver ; ainsi sommes-nous la proie de tristesses dérisoires..."
Une nouvelle de Christina Mirjol est un lapse de temps qui prend juste quelques pages, elle s'attarde sur un passé qui revient souvent, et même s'il ne revient qu'une fois, il aime s'habiller en présent et d'un air tout naturel nous emmène avec force là bas où quelques portes s'étaient fermées.
Gouffres, inquiétudes profondes, c'était hier ?, ça se passe aujourd'hui ?, trous de mémoire, vertiges...
La plume, telle une dentellière touche le plus fin et le plus subtil, l'ineffable, un fil facétieux qui entraîne l'aiguille à tisser en pointillé l'obsédant retour des souvenirs d'autrefois, de l'enfance. le fil se casse parfois, s'entortille, se noue, hésite et revient sur le chemin, et continue à se souvenir ou à oublier...
L'anniversaire de ses dix ans, grand-mère pleure, s'en souvient,... et la dent cassée de Bertrand elle atterrit dans la mémoire comme ça sans crier gare, et y reste un moment avec son manque et son sourire,... et le Tréport ravive ce qui ne fut jamais...
Il y a la poésie et sa miraculeuse beauté, une fois touché par elle Pierre ne bégaye plus, sa flamme le chauffe, l'élance lui donne tout dont il avait besoin, personne n'y croit, ou presque, il reçoit le prix de la récitation.
Émotion devant la mort, et donc devant la vie, devant le vide et le plein, où chacun peut prendre la place de l'autre, s'identifier avec lui. Images d'un film, Rêves, d'Akira Kurosawa, surréalistes, éblouissantes, effroyables, tournent sans arrêt, grisent, font mal, et rappellent un passé et ses incompréhensions, et un présent douloureusement triste et réel.
Quel Noël pour la Plume, on lui a donné une poule (donnée pas offerte), et lui ne la mange pas, "Quel idiot! Maigre comme un vélo et il ne la mange pas. Il préfère la promener ! C'est de l'ingratitude... envers son patron." La Plume se tient à l'écart, il aime regarder le jeu de basket mais on lui dit "va-t'en... Qu'est-ce qu'il veut le raton ? s'amuse une voix de garçon pour faire rire la galerie. le garçon. Grand et bête. Il dit "raton" trois fois... Et il répète le mot. Ça fait rire. Bicot. Ses yeux clignotent. Il pense qu'il doit partir. Il part."
Les phrase, clepsydre sans arrêt et sans fatigue, se répètent comme une obsession, comme pour mieux reconstruire l'image et rendre le ressenti, lourd à porter, comme une mémoire "aussi délicieuse qu'effrayante." Elles se répètent, les phrases, peut-être pour éloigner l'hésitation d'un souvenir très ancien et dire à l'interlocuteur et à soi-même, que c'était bien vrai tout cela.
Souvenirs, petites lumières incertaines d'un passé certain, détresse, petites joies, maillons d'une longue histoire, nous survolent, planent un instant au-dessus de nos têtes, oiseaux sauvages sans cage, et nous laissent quelques bouts de ficelles de ce qui fut une histoire entière et vraie.
Merci Christina pour ce retour émouvant vers les petites lumières du passé.
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J'aime beaucoup l'univers de Christina Mirjol. J'aime la délicatesse de sa plume, son élégance et cette grande pudeur.
J'aime surtout sa poésie que ce soit dans « Les cris » dont une version augmentée va bientôt être éditée, et dans « Un homme ».

L'auteure a aussi une grande capacité à extraire des instantanés d'un court moment de vie. Où elle s'attarde ensuite à décrire avec une énorme sensibilité, un détail, un fait de vie, un mot entendu pendant son enfance, qui parait souvent insignifiant mais qui marquera une vie.

Et puis ce qui caractérise l'écriture du recueil, ce sont ses phrases courtes et souvent répétitives. Les mots sont martelés tout le long des récits, comme pour mieux nous imprégner de l'ambiance de l'histoire et comme pour mieux nous faire imaginer les scènes décrites.
*

« Les petits gouffres » est un recueil de neuf histoires racontant chacune un souvenir que les personnages aujourd'hui adultes croyaient avoir enfoui, et qui resurgit quelques décennies plus tard, à l'occasion d'un événement fortuit.
« Les petits gouffres » ce sont des griffures que nous avons parfois portées, chacune et chacun dans nos coeurs, en pensant qu'elles se seraient cicatrisées avec le temps.

Comme cette vieille dame qui se souvient de l'anniversaire de ses dix ans. Qui aurait dû rester un de ses plus beaux souvenirs. Dix ans vous pensez bien ! Mais les choses ne se sont pas passées comme elle l'avait souhaité.
La dame se remémorait aussi les mots qu'on lui disait étant adolescence, des mots blessants pour une jeune fille de dix ans.
Par cette première histoire, l'auteure a fait resurgir mes souvenirs de garçon élevé dans une fratrie de filles. J'entends encore ces mêmes mots que mes parents et mes grands-parents disaient et rabâchaient inconsciemment à mes trois soeurs, qui était presque du même âge que la jeune fille qui fêtait son anniversaire.
Je me suis cru revenir dans les années 1967 !
*

Avec « la petite dent cassée de Bertrand » ou « Trois pommes sur une assiette, et une clé », Christina Mirjol avec adresse, saupoudre de bonne humeur et d'une certaine légèreté ses nouvelles. Elle adoucit et dédramatise ainsi des situations qui ne prêtent parfois pas à sourire.

J'ai beaucoup apprécié la touche d'humour et de tendresse que l'auteure a choisi de mettre dans ses nouvelles « le frigo » et dans « le premier prix de poésie ».
« le frigo » est écrit avec beaucoup d'attendrissement.
Nous sommes en 1959 et les premiers appareils frigorifiques arrivent en France. La marque « Frigidaire » va révolutionner la vie des familles françaises et deviendra indispensable pour le confort des foyers.
Dans une classe, Mme Escoffino interroge ses élèves. Et il y a cette jeune fille, qui d'habitude « sèche » à toutes les questions, qui cette-fois-ci, sait…


J'ai beaucoup aimé « le premier prix de poésie ».
Ce sont les souvenirs d'un barman qui a tout vu, oui ! Et tout entendu.
Un homme est entré dans son bar. Il a commandé une limonade et a demandé où étaient les toilettes. Oui cela s'est passé comme ça !
Comme l'homme tardait à revenir le barman s'est inquiété.
L'homme s'appelait Pierre et il avait des problèmes depuis son plus jeune âge. Mais dans ce bar il y eu comme un miracle. le barman l'assure. Il a même dit qu'il ignorait que la poésie pouvait avoir des vertus thérapeutiques.
*

La dernière histoire « La plume », nous donne matière à une plus profonde réflexion.
Le souvenir de déroule en 1954. Une jeune fille regarde tous les jours passer un drôle de « paroissien » celui que tout le monde nomme « Bicot » et se moque de lui.
-Dis papa, c'est une insulte "Bicot" ?
-Non ce n'est pas méchant cela veut dire bique, cabri, chevreau.
-Certains disent « crouille », est-ce un gros mot ?
-Oui c'est une grosse insulte !

A cette époque, les « Dupont Lajoie » avaient tout un vocabulaire usuel, grossier et insultant pour désigner l'immigré arabe, ou italien ou polonais. Et peu de monde s'en offusquait.
*

« Les petits gouffres », c'est une multitude de personnages ordinaires qui revivent leurs souvenirs, parfois au gout amer, parfois avec plein de nostalgie. Des personnages qui sous la belle plume de Christina Mirjol, se métamorphosent en des êtres extraordinaires vibrants de vie et de sensibilité.


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9 récits, avec dedans, autour, partout, le parfum désuet de l'enfance, du passé qui s'accroche à nos pas, à nos âmes et qui, à la faveur d'une odeur, d'un regard, d'un paysage revient.
Une nostalgie s'empare de nous, enfin, il faut pour cela ressentir le poids de l'enfance, avoir gardé en soi, plus que son souvenir pour y être sensible. Oui Christina Mirjol, dans ses écrits m'a plongé dans la mienne, a ravivé le souvenir de cet être que j'ai été. En la lisant j'ai revu ma propre fenêtre de laquelle j'observais tout au loin, derrière les pommiers, la lueur d'un maison, alors seule, isolée. J'ai ressenti le vent glacial des lendemains de Noël, celui là même qui aiguisait le Ventoux et peignait ses pentes d'un bleu pâle. J'ai plongé ainsi dans ce gouffre pour y rencontrer les délices des secrets enfouis. C'était un doux voyage, une caresse de plume sans doute, bercée par les parfums oubliés que portait ma propre mère, éclairé par ces bougies d'anniversaire qui signalent "que l'enfant ne vieillit pas, il pousse."
un beau moment de lecture...
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
MON VÉLO

Et c’est bien d’être surpris par la tombée du soir, faire semblant de ne pas voir que la route devient sombre, braver les assaillants, les phénomènes de l’ombre. Comment les rencontrer autrement que très loin du chemin de la maison et des réverbères du village ? Et au cours des promenades, quelle volupté on a de suspendre son voyage pendant de longues minutes, étendus dans la nature sous un chêne ou un hêtre, ou un très grand tilleul, regarder depuis le sol les limites de l’arbre, allongés sur ses racines, étourdis de sa hauteur, du tumulte de ses branches, de l’indolence des feuilles livrées au secouement ; à force de regarder l’intense flot des pépites dans le soleil des feuilles, on parie qu’on tombera au fond du gouffre bleu, oh ! tomber, tomber, on ne résiste pas à ce vœu étourdissant !
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Ce n'est plus cet homme-là, répète le barman.
Ou plutôt, non, non. Ce n'est pas ce que je veux dire, s'emmêle le barman. Je ne veux pas dire ça. Ce n'est pas ça.
Pas ça.
Non, non, s'énerve-t-il, ce n'est pas ça. Du tout.
C'est autre chose. Enfin...
Evidemment que oui, que c'est lui, c'est cet homme, se reprend le barman, et c'est bien cet homme-là, c'est le même, oui, le même. Même visage et même homme... Evidemment que oui, le même homme, oui, le même... En fait... le même enfant.
Et il était là debout, dans cet étroit couloir, aussi perdu et seul que dans le fond d'une cour... ou même, rectifie-t-il, presque dans un sanglot, qu'au fond d'un cagibi. Un homme de cette taille! Il chausse du quarante-quatre. Des chaussures genre Prada. Habillé presque mieux qu'un directeur de banque. Aussi perdu, dit-il, ça n'avait pas de sens. Il avait avalé sa moitié de limonade, puis il s'était enquis de savoir où se trouvait la porte des lavabos, puis, il y était allé! Mais après? Mais ensuite? Que s'était-il passé?
Je l'ai pris par la main, rapporte le barman, j'ai fait ça, j'ai fait ça, et quand il le raconte, sa voix mal assurée se décroche et se brise ; et puis il se reprend, s'excuse, enfin, poursuit, je l'ai pris par la main, je l'ai sorti de là.
Et il s'est laissé faire.
Un enfant de quarante ans, rapporte le barman, et voilà qu'il me suit; et voilà que je le ramène dans la lumière du jour et de mon petit bar, même si, enfin, je sais, c'est un petit café, on ne peut plus modeste, on ne peut moins moderne, pas bien placé, c'est vrai, mais tout de même, dit-il, en plein soleil et gai. C'est à ce moment-là, c'est inimaginable, ce que tisse la vie sans qu'on s'en aperçoive, c'est la vie, c'est la vie, s'enflamme le barman, et c'est cette vie, mon Dieu, qui est inimaginable, et ça se passe ici, dans mon café, dit-il, qui ne connaît rien d'autre qu'une clientèle de passage....
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Dix ans.
Tout ce qui nous arrive, les choses qui nous arrivent, entraine des petits cataclysmes, même les choses minuscules on ne s'en méfie pas. Elles nous blessent, elles nous blessent, continuent de nous blesser, et sont aussi cruelles qu'elles étaient ordinaires au moment d'arriver ; ainsi sommes-nous la proie de tristesses dérisoires...
(Incipit)
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J'avais lancé ma balle pour m'en débarrasser - parce qu'elle était usée - et celle-ci, sans le savoir, roulait dans le jardin comme pour que je l'attrape.
Elle roulait si bêtement ! (...)
Quelle imbécile ! pensais-je. Parce que je l'ai jetée ! Je n'en veux plus, voilà ! Je l'évince de mes jeux. Je le fais comme une brute. Et je ris.
Je l'avais donc jetée, abandonnée au froid à côté des feuilles mortes à son propre pourrissement.
Or, la petite balle s'enfonçait doucement dans la terre du jardin. Et elle ne bougeait plus. Elle ne voulait plus rien. Simplement s'enfoncer...
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C'est ça ! Je n'y peux rien. Mon corps est grand. Il est bête. Il ne sait plus courir, ni grimper, ni sauter, ni jouer à la marelle. Mes bras sont tellement bêtes qu'ils ne me servent à rien. Puisque tu as des bras, prends-moi ça, dit ma mère, et je le laisse tomber.
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