AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782368682128
Stellamaris (30/09/2015)
4.63/5   24 notes
Résumé :
« Je ne sais pas parler du bonheur.
N'est-il pas temps que j'apprenne ?
Un pas, puis deux dans la lumière...
Comme un enfant apprend à marcher. »

***************************************

1919-1920

De Schelesen à Prague...
Franz K. rencontre Julie W.
« Une jeune fille qui m'aime et que j'aime... »

(Pourrons-nous un jour simplement devenir mari et femme ?)
>Voir plus
Que lire après Heiraten (Noces)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
4,63

sur 24 notes
5
15 avis
4
5 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Ce livre représente pour moi un présent précieux et délicatement dédicacé de la part de son auteur. À ce titre il occupe une place particulière dans ma bibliothèque. Celle réservée à ces « alliés substanciels » comme les appelait René Char dans une belle formule reprise par Linda Lê dans Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau.

Je l'ai lu avec une lenteur certaine et avec le bonheur de me sentir la bienvenue dans cet univers poétique créé par la plume si fine de l'auteur. Dourvac'h aime, me semble-t-il, Julien Gracq. Aussi, je voudrais ici, citer un passage de En lisant, en écrivant (p. 168-169) pour exprimer ce sentiment chaleureux dont je fus enveloppée à la lecture de Heiraten et qui culmine avec la dédicace finale à la « douce Dominique » dont l'auteur a écrit (cf. son commentaire à ma citation) : « ultime (et intime) dédicace ».

L'auteur m'a surprise (très agréablement) par la qualité de son livre, fruit d'un dur labeur de recherche et conception artistique, répondant probablement et subtilement à ce « dur désir de durer » qu'engendre la force de l'amour, et je l'ai, à mon tour et à l'instar de ce que dit Julien Gracq, surpris dans « ses traces » :

« La lecture d'un ouvrage littéraire n'est pas seulement, d'un esprit dans un autre esprit, le transvasement d'un complexe organisé d'idées et d'images, ni le travail actif d'un sujet sur une collection de signes qu'il a à réanimer à sa manière de bout en bout, c'est aussi, tout au long d'une visite intégralement réglée, à l'itinéraire de laquelle il est nul moyen de changer une virgule, l'accueil au lecteur de quelqu'un : le concepteur et le constructeur, devenu le nu-propriétaire, qui vous fait du début à la fin les honneurs de son domaine, de la compagnie duquel il n'est pas question de se libérer. […] Si impersonnel qu'il se veuille, un livre de fiction est toujours une maison vide que tout, de pièce en pièce, dénonce comment encore quotidiennement, désinvoltement habité, du manteau accroché à la patère à la robe de chambre qui traîne sur le lit, et au désordre de la table de travail – et je suis toujours content quand j'ai l'impression de surprendre l'auteur sur ses traces toutes chaudes, et comme au saut du déménagement.»

Je garderai à l'esprit longtemps cette histoire qui est une si belle invitation à ne pas trahir les morts, mais aussi à relire l'oeuvre de Franz Kafka, à qui appartient la conclusion du livre : « Ma barque n'a pas de gouvernail, elle navigue au gré du vent qui souffle au fond des régions inférieures de la mort. » (Das Jäger Gracchus).

Un dernier mot pour dire à quel point j'ai apprécié l'idée de reprendre « [les] trois langues : autant de mélodies humaines reflétant la prodigieuse diversité culturelle de [l]'époque ».

Là où j'entends le plus la voix de l'auteur, me semble être à la page 62 :

« Travailler, travailler...
Mériter son pain.
Et puis ?
Exténué, évidement.
Comment vivre autrement ? ».

L'étude par les livres me semble être un travail que nous nous devons d'accomplir à l'image de ce qu'a entrepris Dourvac'h.


Commenter  J’apprécie          1484
Je viens tout juste de refermer ce livre et j'en reste sans voix. J'avais déjà été charmée par Grand Large, roman sur les affres de la vie dans lequel l'auteur arrivait comme par magie à insérer une prose poétique de toute beauté... Mais là, nous sommes dans une autre dimension.

Si je vous dis "Kafka", vous me répondez La Métamorphose, le Procès ou le Château. Mais Dourvac'h, lui, vous dira instantanément : "Julie". Julie ? Une des oeuvres inconnues de Kafka ? On pourrait presque le voir ainsi. Mais il s'agit en réalité de Julie Wohryzek, une de ses fiancées. Vous l'aurez compris, nous avons là un texte nous relatant la relation entre les deux amoureux ; une relation sur fond de tuberculose puisque la rencontre des tourtereaux s'est faite au sanatorium.

En s'immisçant ainsi dans les pensées de l'écrivain, l'auteur met en relief tout ce qui le rongeait : la maladie tout d'abord, sa première maîtresse, l'amour passionné pour Julie et... l'amour pour les femmes. Nous faisons face à un être torturé. Qu'en aurait-il été si le mal qui phagocytait ses poumons n'avait pas été là ? Si les parents de Julie avaient bien voulu de ce mariage ? Si Milena n'était pas venue le détourner de son chemin ? Autant de questions qui restent en suspens...

Je persiste et je signe, l'écriture de Dourvac'h est magnifique, travaillée, d'une richesse confinant au sublime. Il y aura désormais, lorsque je lirai du Kafka, cet écrit magistral en filigrane... Un "avant" et un "après" Heiraten.

Chapeau bas à cet écrivain qui joue dans la cour des grands ainsi qu'à son éditeur, Michel Chevalier, des Editions Stellamaris, pour avoir eu le courage de publier un livre loin de toutes les sirènes commerciales. Et j'ajoute que celui-ci rend d'autant plus hommage à cette pépite littéraire qu'il est richement illustré sur papier glacé.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
Commenter  J’apprécie          822
Sanatorium de Riva (Tyrol) – 1913
Gerti et Franz. Kafka, 30 ans, rencontre la toute jeune Gerti, die Schweizerin, qui restera sa douce nostalgie, son idéal féminin. Elle adore les contes illustrés. Il ne lui dessine pas un mouton mais un chevalier, une princesse, un vieil elfe. Sa trace légère s'est perdue dans les limbes.

Pension climatique de Schelesen (Prague) – 1918
Julie et Franz. Kafka, 35 ans, rencontre la jolie Julie. Ils se promènent, se plaisent, roucoulent, se fiancent, rompent, se revoient, se quittent. Elle est gaie et fougueuse, elle adore les musiciens de Prague. Il est sombre et pensif, l'écriture le torture, il souffre de l'autorité intraitable de son père qui refuse le mariage.

Milena J. pourrait-elle être la cause de cette rupture définitive ?

Franz Kafka a laissé une nombreuse correspondance et ses manuscrits à son ami, Max Brod, avec mission répétée de tout détruire. L'ami n'obéit pas sans quoi nous n'aurions jamais connu le Château, le Procès, La colonie pénitentiaire, etc.

Heiraten (Noces) raconte de manière poétique, avec finesse et sensibilité, ces deux rencontres amoureuses. Alliant les dialogues imaginaires aux extraits de correspondance ou du Journal de Kafka, l'auteur nous entraîne sur les bords du lac de Garde, devant les énormes rochers sculptés de Vaclav Levy dans la forêt pragoise et dans les rues animées de la capitale tchèque.

L'alternance de l'allemand, du tchèque et du yiddish donne un rythme très réaliste à ces amours sincères mais entravées.

Le bonheur est toujours de courte durée pour Franz mais comme il aurait pu l'écrire : « Je ne sais pas parler du bonheur. N'est-il pas temps que j'apprenne ? »

Il a beaucoup appris mais sa nature fragile eut raison de son désir à 40 ans.

Les photos de ces belles dames, de Prague et de sa pension sous la neige, invitent à feuilleter ce joli livre et à en découvrir tous les petits trésors de ces vagues amoureuses comme on s'attarde avec nostalgie sur un album de jeunesse. Une courte biographie de chaque personnage complète ce tableau gracieux en demi-teintes.
Commenter  J’apprécie          5611
Ha! Quel magnifique ouvrage, aéré et aérien; une onde poétique vibrante de romantisme. J'ai A-DO-RE !

L'auteur peint avec des mots la rencontre de Franz Kafka et Julie Wohryzek, sa fiancée éphémère aux contours éternels. Égrainés de photographies et d'extraits du journal et de la correspondance de Franz Kafka, il fait fleurir ses amours, comme un bouton en forme de promesse.

"Je ne sais pas parler du bonheur.
N'est-il pas temps que j'apprenne ?
Un pas, puis deux dans la lumière...
Comme un enfant apprend à marcher."

Ce n'est ni une biographie, ni une fiction, c'est les deux à la fois! Basé sur les écrits de Kafka, il s'agit d'une évocation de l'amour et ses tourments. Amours reviviscents, amours impossibles, amours tendrement romantiques, Kafka est attiré par Julie comme un papillon est attiré vers la lumière. Elle incarne la vie, la fraicheur, l'insouciance, la gaité. Tout son contraire, lui, dont l'âme est si tourmentée par la maladie et la mort.

"Tu parviens à me faire rire de moi avec toi - de mon brouet de petits malheurs, clairs et réjouissants pour toi, opaques et désespérants pour moi..."

C'est aux portes de la pension Stüdl que nait leur histoire et commence l'histoire.

"Poussant la lourde grille de la pension: comme j'aime son joli grincement! Un chant dans la neige.
Si près des yeux, sa double rangée de flèches.
Écailles de métal peint sous la pulpe des doigts - rouille émeraude qu'on aime caresser longtemps, comme le dos d'un lézard immobile.
Est-elle là? (...)"

La suite est tout aussi délectable...
Dans ce sanatorium dédié au repos et à la convalescence, qui semble protégé par un cocon neigeux, entouré d'une forêt d'ombre et de lumière, au sein de laquelle les "Diables de Levy" sommeillent, leurs amours s'épanouiront délicatement. Mais le retour à Prague est aussi celui du douloureux réveil, de la réalité qui balaie tout sur son passage, de l'omniprésence du père, de la peur de s'engager peut être. C'est également celui de la réminiscence de ses amours avec Gerti Wasner. La forêt enneigée qui nimbe son amour pour Julie finit par se fondre dans les lacs aux eaux dormantes de celui pour Gerti. Kafka apparait comme un amoureux de l'amour qui puise dans ses amours la force de vivre et d'échapper à la réalité.

"Douceur et mélancolie de l'amour. Son sourire s'adressant à moi dans la barque. C'était le moment le plus beau. Toujours désirer mourir, et surnager encore, cela seul est l'amour. " Franz K., Journal, 22 octobre 1913.

Ce livre original dans sa forme, inclassable dans son contenu, est superbe, comme une esquisse au fusain aussi légère qu'ombragée, comme un chant mélodieux au coeur de la nuit. Si vous aimez les belles écritures harmonieuses, ciselées et délicieusement poétiques qui chantent l'amour, vous l'aimerez aussi. Si en plus, vous êtes curieux de l'homme que pouvait être Franz Kafka, ce livre est définitivement pour vous! Un ouvrage trop court au nectar délicieusement gouteux, avec un petit gout irrésistible de "reviens-y". Sublime ! Une très très belle découverte.
Commenter  J’apprécie          5022

En feuilletant le petit livre de mon ami Dourvac'h je fus agréablement surpris d'y trouver une photo de Max Brod (1884-1968), "l'ami indéfectible de Franz Kafka", comme spécifie l'auteur. Je me souviens d'avoir, dans un moment d'idéalisme juvénile, souffert à cause de mon Français rudimentaire, sur son ouvrage "Franz Kafka : Souvenirs et documents" de 377 pages. Je suis allé consulter ma liste de livres lus et j'ai été sidéré par la date : le 7 février 1964, j'avais 17 ans. Bien que je n'étais pas assez mûr pour apprécier ce livre à sa juste valeur, il m'avait impressionné et c'est de là que date ma grande admiration pour Franz Kafka. Mais j'ai eu le bon sens d'attendre un peu avant de m'attaquer à son "Le Proces" , "La métamorphose" et "Le Château".

Lors de ma première visite à Prague, en 1970, une amie tchèque m'a amené, à ma demande, à la tombe de ce géant de la littérature et de sa famille. J'ai aussi pu admirer la plaque commémorative, juste en face de cette tombe, à la mémoire de Max Brod, qui lui a été enterré en Israël.

Cet ouvrage a reçu 15 critiques favorables sur Babelio et après les chroniques superbes de LydiaB et de mon amie ClaireG il n'y a pas grand-chose que je puisse ajouter de sensé.

Sauf peut-être que ce document, puisqu'il s'agit d'un document, m'a plu. Il est par ailleurs richement illustré avec des photos de Julie Wohryzek, un amour de Kafka dont il a brossé un portrait flatteur dans une lettre à Max Brod, née à Prague en 1891 et morte à Auschwitz en 1944, et de la très jeune Gerti Wasner de Lübeck avec qui il a eu une liaison éphémère. À propos de cette Gerti, Kafka a écrit : "Pour la première fois j'ai compris une fille chrétienne et j'ai vécu pratiquement complètement sous son influence".

Ce qui m'a un peu étonné c'est de ne point y rencontrer une photo de Milena Jesenska, née également à Prague en 1896 et une autre victime des nazis, morte à Ravensbrück en 1944. Kafka et elle ne se sont rencontrés que 2 fois, mais comme Milena ne voulait pas divorcer de son mari, Kafka a mis fin à cette liaison. Elle a traduit plusieurs nouvelles du grand maître tchèque et j'ai lu d'elle "Vivre" que je peux vous recommander.

La rencontre de ces 2 amours brefs de Kafka, mort à 40 ans de tuberculose, est présentée de façon admirable : romanesque et littéraire. Certains passages vous prennent à la gorge, surtout si l'on tient compte de l'endroit, des sanatoriums, et du sort tragique des personnages.

Que penser du passage suivant (à la page 92) : "Nous ne pouvons nous marier parce que je suis si malade...Nous ne pouvons nous marier car tu deviendrais si malade... Nous ne pouvons nous marier parce que j'ai si peur de mourir..."

C'est triste de penser ce qu'un des plus grands écrivains du siècle dernier aurait pu nous laisser encore comme oeuvres merveilleuses, si une défaillance pulmonaire n'en avait pas décidé autrement !

C'est tout le mérite de Dourvac'h et des Éditions Stellamaris de Brest d'avoir rendu un hommage admirable à l'immortel Franz Kafka. J'espère que cet ouvrage contribuera à un regain d'intérêt pour cet auteur parmi les jeunes lectrices et lecteurs.
Commenter  J’apprécie          443

Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
J'aime si fort ma chambre dans la petite maison d'Ottla : de l'espace et du silence. Un silence idéal pour renouer le fil. Le fil de quoi ? Celui de mon existence qui se perdait... La ville et mon existence : ici enfin devenues lointaines... Pourtant, la ville me manque. Certains matins, je reste hébété de silence. L'automne est si bref en Bohême. L'hiver est si long, mais quelle importance ? Je lis beaucoup le soir. Mes manuscrits ne me quittent pas non plus... Je scrute leurs boursouflures. Il m'arrive, heureusement, d'écrire à Max : à n'importe quel moment de la journée, souvent dans la chambre de ma soeur (J'oublie vite les barreaux aux fenêtres ou les murs décrépis). Mais je suis trop irrégulier, même avec Max ! Mes frénésies de correspondance, ma soif de preuves d'amitié... J'évite d'écrire le soir : la lumière si faible fatigue mes yeux. Le jaune du papier finit par vous tourner la tête. Et puis, mission d'économiser les bougies. Au fond, bien peu écrit ici. Trop tranquille ? Laissé des choses insignifiantes s'aligner sur le papier. Stérilité. Ma chambre au nord. Le printemps en train de m'éveiller.

(Chapitre XIII : "CHEVAUX DE ZÜRAU ")
Commenter  J’apprécie          230
J'aimais ta lumière d'enfance.
Ta petite main claire et ronde si près de la mienne, ton silence... Nos longues échappées solitaires sur le lac.
Qu'es-tu devenue, chère G. ?
Etais-tu donc tant malade que cela ? Pourras-tu un jour – par belle et simple amitié – me donner signe de ta vie ?
J'aimais laisser glisser entre mes doigts tes fines mèches blondes ; te souviendras-tu toujours de notre long baiser contre l'arbre au soleil ? Un bouleau dont l'écorce brille pour toujours contre l'ombre émeraude : entre ma bouche et lui, les lèvres d'une jeune fille de dix-huit ans...

["Heiraten (Noces)", Chapitre XIX : « GERTI », éditions Stellamaris (Brest), 2015 — page 102]
Commenter  J’apprécie          313
L'oratoire est glacial ; un auvent et trois murets qui protègent de la bise (on l'entend qui fait chanter les rameaux, là-haut). Il y a un banc minuscule dans le renfoncement : le curé doit s'y reposer de temps en temps — reprendre sa respiration et soulager ses lourdes jambes.

— Assieds-toi, Franz, et laisse-moi m'asseoir ensuite...
— Le banc est minuscule !
— Qu'est-ce que ça fait ? Je serai bien sur tes genoux.
— La nuit t'encourage, Julie...

Quelque chose s’est rompu en moi : Prague s’éloigne. Les collines sous la nuit d’ici ont soudain cette présence que je ne leur ai jamais vue. Et toi, notre petite mère aux griffes, enfin tu t’effaces, avec tes brouillards, ton fleuve malade, ton grouillement écœurant de métropole…

Par un mouvement naturel, Julie vient de s’asseoir en travers de mes cuisses, si légère malgré son poids de vêtements humides. Elle me fait face et me regarde de haut. Son front luit. Ses yeux sont embués. Intimidé, j’éclaircis ma voix :

— Ne regrettes-tu pas Prague en ce moment ? Nous pourrions nous réfugier dans un café de nuit… Nous ne grelotterions pas ainsi…
— Je n’ai plus froid… et tu es là, ça me suffit ! Berce-moi…
— Te bercer ? Tu n’es plus une enfant…

Pourtant, je fais aller son joli corps qui prend appui contre le mien : d’un balancement régulier comme si j’étais l’océan.

["Heiraten" (Noces), Chapitre VI : « JULIE SE LIVRE », éditions Stellamaris (Brest), 2015 — pages 26-27]
Commenter  J’apprécie          112
Sorti juste avant la nuit, espérant périr de froid par ici; arrivé devant les Diables, tout essoufflé et suant de ma montée, j'ai voulu partager le regard creux des démons de la roche blanche: j'ai tourné avec eux mes regards vers la Pension, à l'ouest, là où un pâle soleil se couchait derrière la nuit des arbres; je t'ai imaginée, ou plutôt je t'ai vue sur le balcon, silencieuse... J'ai su que cela n'était pas possible: la Pension était invisible, les troncs d'arbres si denses par devant. T'avoir devinée derrière ces sapins sombres m'a donné envie de redescendre...
La mort attendra bien encore un moment.
Commenter  J’apprécie          270
Je reste étendu : tel un gisant, emmitouflé sur le fauteuil de rotin... Le soleil vient sur ma joue. Elle s'assied près de moi. Elle a posé son manteau à peine fermé par-dessus une robe sombre que je ne lui connais pas. Je pense : une robe des départs...
— ... ça n'est pas prudent, Franz !
— Qu'est-ce qui n'est pas prudent, Julie ?
— Et bien, d'être ici... Olga m'a dit qu'elle t'a surpris plusieurs fois à laisser ta fenêtre ouverte alors qu'il gèle toutes les nuits...
— Cela me guérit...
— ... te guérit ?
— De mes peurs. D'être enfermé... Je sais que la Nature nous guérit !

Elle me touche la main. La prend tendrement. Longuement. La porte à sa joue. Comme un talisman — objet sacré et toujours bienveillant. Un simple objet de chair.

— J'aime tes mains.

Tes joues rougissent. Tes yeux brillent. Le froid vif. Noires balustrades de bois du grand balcon qui nous retient. Petit théâtre grand ouvert sur l'hiver : si tu pouvais nous retenir ! Nous figer ici, tels des statues de gemme... Moi allongé, toi à mon chevet... Nos mains réunies. Ta tresse à moitié dénouée oscille sous le vent des collines sombres d'en face. La lumière en devient espiègle.

Je voudrais, je voudrais...
— Voudrais-tu connaître mon rêve ?
— Pourquoi pas ?
— Nous étions là-haut, à nouveau...
— Là-haut ?

Son front se tourne vers les Diables invisibles...

— Tu sais bien...

(Chapitre IX : RÊVES AU BALCON, page 48)
Commenter  J’apprécie          112

Videos de Dourvac'h (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de  Dourvac'h
A propos du récit "Heiraten" (éditions Stellamaris, 2015), une courte interview [4' 30''] de son auteur dans le cadre du Salon du Livre "Mirenpages", Place des Couverts à MIREPOIX (Ariège), juillet 2022.
autres livres classés : tuberculoseVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (55) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1220 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..