Le récit épique et terrible d'une haine mère-fille, paradoxalement drôle, subtilement ambigu, et plein de verve comme d'interrogations.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/11/30/note-de-lecture-
dans-ta-severe-fontaine-veronique-emmenegger/
Publié chez Antidata en août 2022, «
Dans ta sévère fontaine » est le huitième ouvrage de la Franco-Suisse Véronique Emmenegger. En 60 pages, cette novella redoutable nous offre le monologue ravageur d'une femme se souvenant avec une extrême précision de sa haine adolescente à l'égard de sa mère, et des raisons quotidiennes, géométriques, analytiques de cette haine. Renvoyant le canonique «
Vipère au poing » (1948) d'
Hervé Bazin quasiment au rang de bluette sans conséquence, le déchaînement, sans presque reprendre son souffle (que manifestent plusieurs choix typographiques rusés), d'un monologue à la fois résolument narratif (même si les péripéties évoquées sont mêlées au coeur d'une trame temporelle qui n'exclut ni les flash-backs ni les flash-forwards), tissé de détestation et de ressentiment, déploie une formidable exagération épique, qui réussit le petit mais réel miracle de transformer la tragédie authentique qui se déploie sous nos yeux en une vraie possibilité de comique subtil, créé comme malgré les protagonistes, par la verve et par le verbe ici mis en oeuvre.
Entre l'aveuglement innocent du «
Petite table, sois mise ! » d'
Anne Serre et la tendre ironie imaginative du «
Cabane » de
Millie Duyé, cette incision dans le secret plus ou moins bien gardé d'une cellule familiale hautement dysfonctionnelle évoque pourtant, en filigrane habile, la terrible question de la crédibilité de la parole enfantine face aux sévices et aux abus venant de (très) proches. Sous la violence superbe de la diatribe et sous l'inventivité langagière féroce de la revanche, les points d'interrogation que relevait
Wu Ming 1 dans son récent «
Q comme Qomplot », à propos du rôle joué par cette parole-là et son orientation, pilotée ou non, dans un certain nombre de phénomènes conspirationnistes, sont bien présents, et plongent avec une redoutable habileté la lectrice ou le lecteur dans les affres possibles de la croyance ou du rejet du récit – en donnant aux sourires que l'on ne peut s'empêcher d'esquisser une saveur ambiguë et cruciale, celle des psychoses aux ramifications inattendues (surtout lorsque se dévoile peu à peu le moment d'où l'on. du grand art de la forme courte, puissante et ramassée sous son double couvert de vraie-fausse légèreté et de terreur pure.
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