AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,69

sur 4439 notes
J'étais obligé de relire Annie Ernaux... Malgré un premier avis très mitigé, il m'était impossible de ne pas lire La Place.

D'abord parce que je me suis rendu compte que les conseils de ma professeur de sociologie (voir critique de la Honte, oui c'est une série à épisodes mon rapport à Ernaux) m'avaient peut-être aiguillé plutôt vers La Place comme ressemblant à mon parcours, ce qui expliquerait pourquoi je n'avais pas foncièrement compris ce qui m'était destiné dans La Honte. Ensuite parce que je donne au moins toujours deux chances à une auteure de m'alpaguer, et surtout quand c'est une lauréate Nobel. Alors Annie à nous deux...

En fait plutôt à nous trois, puisque le père d'Annie s'invite comme personnage principal du livre... Et même à nous quatre puisque le mien vient aussi pointer le bout de son nez, puisque je commence à comprendre que les conseils de l'époque visaient bien ce livre-ci. En effet, même si mon père n'a sans doute pas connu la pauvreté de celui d'Ernaux, même s'il ne s'est pas "trouvé" comme petit commerçant, il a eu en effet un parcours d'élévation sociale depuis le milieu de sa famille de corons des mines du Pas de Calais. Et il a vraiment souhaité que son fils continue la montée en réussissant ses études d'avocat pour franchir un nouveau pallier, comme celui qu'Annie atteint en devenant professeure d'université. Sauf que moi, je me suis empêché d'aller jusqu'au bout, pourtant très bien parti dans les études... et qu'en lisant Ernaux, je me demande s'il ne s'agit pas d'une sorte d'acte manqué destiné à ne pas avoir à renier mes propres origines.

En lisant certaines critiques d'Ernaux, j'ai pu voir que certains lui reprochaient sa dureté, ses jugements de ce père "inférieur socialement". A la lecture de ce livre, j'ai plutôt vu l'admiration d'une fille pour le parcours de son père, même s'il faut lire entre les lignes de cette écriture plate qu'elle revendique, mais qui me semble surtout destinée à éviter de voir surgir les émotions qui l'animent devant son histoire, effrayée par le courant dévastateur que cela emporterait en elle. La froideur est son mécanisme de défense, et j'ai senti du coup beaucoup de compassion pour elle. C'est finalement ce dédain bourgeois qu'on lui a inculqué qu'elle vient remettre en cause, regrettant de ne pouvoir voir ses parents et particulièrement son père avec la fierté qu'une fille aurait du avoir pour celui qui l'avait élevée, dans tous les sens du terme.

Je ne saurais jamais si en devenant avocat j'aurais eu plus de mal à accepter l'origine de mon père. Sa réussite personnelle est sans doute plus grande que celle du père d'Ernaux et aurait je l'espère empêché tout sentiment de supériorité. Je pense qu'au fond il a sans doute le regret que je n'ai pas abouti au rêve ultime de la réussite sociale... mais peut-être que je l'inciterais à lire Ernaux pour voir ce que nous avons gagné avec cet échec. Je suis totalement fier de mon père et des valeurs de travail, de solidarité, de bienveillance qu'il m'a inculqué... et qui font clairement de moi l'éducateur spécialisé que je suis devenu, sans doute plus soutenant qu'un avocat même si sans le prestige de la robe.
Commenter  J’apprécie          7422
C'est un « drôle » d'hommage qu'Annie Ernaux rend à son père. Je devrais plutôt un étrange hommage…
Ouvrier d'abord, puis à force d'efforts, d'économies, devenu petit commerçant, cet homme du peuple a en quelque sorte réussi puisque lui et sa petite famille, à savoir sa femme et sa fille, n'ont jamais manqué de rien.
Certes il ne lit pas de romans, ne va pas au musée, écoute la radio dans son petit café et s'il ne sourit jamais sur les photos, c'était un homme gai qui aimait rire, faire rire, chanter.
Il a conscience de ses lacunes en terme d'instruction et est mal à l'aise quand il doit côtoyer des personnes plutôt bourgeoises ou disposant d'un statut supérieur au sien. Mais enfin, qui n'a jamais ressenti parfois ce petit malaise de ne pas être à la hauteur de son interlocuteur.
J'ai été gênée par cette lecture.
Je l'ai déjà dit, je pensais à un hommage et je l'ai reçu comme un compte-rendu d'observations détachées faites par Annie enfant puis ado, avec un regard dénué de la moindre bienveillance, froid, avec même un sentiment de plus en plus affirmé de sa supériorité face à l'écart croissant qui s'installe entre elle instruite et lui qui ne l'est pas.
Et pourtant, entre les lignes, de temps en temps, il y a des réminiscences de bons moments passés avec cet homme foncièrement honnête, travailleur, joyeux.
Je ne sais plus trop quoi penser de ce texte car il faut quand même une sacrée honnêteté pour révéler ainsi des sentiments si peu amènes.
Enfin de sentiments. Non. Il n'y en a pas d'exprimés.
Commenter  J’apprécie          349
Dans ce très court roman autobiographique, nous découvrons de façon minimaliste la vie et la personnalité du père de l'auteure. Annie Ernaux choisit de nous parler de façon très objective et sans interprétation de ses souvenirs et de ses impressions, c'est ce qu'elle appelle l'écriture plate.

Personnellement je n'y ai trouvé ni le jugement ni la condescendance que d'autres ont pu y lire. Aucun reproche mais une description sincère. Et j'ai été, au contraire, touchée par la façon dont sa mémoire a enregistré mille détails et souvenirs de la figure paternelle.
Le seul avec lequel je la trouve critique, et probablement à juste titre, c'est son mari, qui ne se déplace jamais lors de ses visites familiales, sauf pour l'enterrement de son père. J'ai eu l'impression qu'elle lui reprochait, sans jamais le dire vraiment, cette distance avec sa famille, qu'elle attribue à leur origines sociales différentes.

J'ai trouvé particulièrement touchante la scène de la visite à la bibliothèque. Il me semble qu'elle nous montre que son père cherchait à s'intéresser à ses centres d'intérêt à elle, mais qu'il était repoussé par un milieu intellectuel qui n'était pas le sien et au milieu duquel il se sentait mal à l'aise.

J'ai retrouvé dans ce livre, le même sentiment d'amour mêlé de regret que j'avais ressenti en lisant (il y a bien longtemps) "Le livre de ma mère" d'Albert Cohen.

Finalement, je ne sais pas si le transfuge de classe est la seule explication au sentiment de distance avec sa famille, n'y a-t-il pas toujours une forme d'incompréhension, plus ou moins marquée entre les générations? Liées aux bouleversements sociétaux et politiques, et aux modes de vie qui ont énormément évolués en quelques décennies…?
Commenter  J’apprécie          170
Le père de la romancière vient de décéder. Elle souhaite alors écrire un roman en mettant son père en héros. Elle n'y arrive pas. Cet essai-roman biographique est l'occasion pour elle de remettre en contexte la vie familiale dans laquelle elle est née et remettre en situation "la place" qu'occupait son père.
Retour en Normandie en début de siècle avec un tour d'horizon des grand-parents, vivant dans un milieu ouvrier. le père d'Annie Ernaux devient commerçant une fois mariée à sa mère. le capitalisme passe par-là, affaiblissant leur commerce d'à point, voyant germer des supermarchés. le milieu modeste dans lequel vit la petite Annie lui fait rêver de nouveaux horizons. Elle voit ses parents s'aimer sans tendresse, comprenant bien plus tard les sous-entendus coquins qu'ils se lançaient. Son père, homme de la terre, totalement hermétique à l'art & à la littérature, ne comprend pas la volonté de sa fille de s'immerger dans les livres. "Travailler" ne correspond pas à lire & disserter. le travail se fait avec les mains. Homme de la campagne, il aime à s'occuper non-stop, être dans un jardin, faire un potager.

Le vocabulaire simple, les phrases épurées, Annie Ernaux expose des situations de vie du quotidien, permettant au lecteur de se faire des photographies de l'instant particulièrement précises. Un amour simple, une vie comme une autre, l'auteure est confrontée entre deux mondes (son origine & celui qu'elle a choisi en quittant la Normandie). Un entre-deux dans lequel elle ne sait pas où se situer. D'une vie simple (au sens étymologique du mot), elle en écrit un portrait réaliste. Un ravissement pour le lecteur.
Commenter  J’apprécie          50
J'ai tenté le diable en lisant deux livres d'Annie Ernaux d'affilée. Mal m'en a pris car je n'ai pas du tout aimé La Place.
Elle raconte le décès de son père mais en nous livrant un détail intime qui n'avait pas besoin d'être écrit... Je m'en fous de savoir si tu avais déjà ou non vu le sexe de ton père avant sa mort. Puis le détail sordide : sa mère continue de travailler au bar alors que le corps de son père repose en haut.
C'est du voyeurisme à tous les étages et pour le coup j'ai ressenti de la colère vis-à-vis d'Annie Ernaux. Je fais partie du camp où elle a honte de ses parents, ne leur fais pas d'éloge, méprise la classe ouvrière avec ce ton froid qui nous met mal à l'aise.
Je ne sais pas si je continuerai à la lire mais c'est sûr que ça sera dans quelques temps...
Commenter  J’apprécie          145
Dans "La place", Annie Ernaux nous raconte, de son écriture plate, l'histoire de son père. de ses origines, les grands-parents, son parcours professionnels, sa famille, son quotidien, tout cela au travers de subtils détails. Les épaules tombantes, le patois normand, le crachat dans la cour, les "il y avait plus malheureux que nous" ou encore "il fallait bien vivre malgré tout".

Ces détails, pourtant subtils, qui sont les marqueurs qui trahissent la classe sociale du père. Cette catégorie sociale "inférieure", ces "petites gens" dont la vie n'intéresse.

Un ouvrage délicat, saisissant, juste, dans lequel Annie Ernaux déploie ce genre si caractéristique à son oeuvre, un mélange d'autofiction, de sociologie et d'histoire.

"Peut-être sa plus grande fierté, ou même la justification de son existence : que j'appartienne au monde qui l'avait dédaigné."
Commenter  J’apprécie          80
Je l'aime bien ! À mon avis, c'est un livre vraiment profond. Les personnages dans cette histoire m'ont rendue émotionnelle. de plus, pour moi, les personnages et leurs luttes semblaient réaliste. J'ai eu du mal à lâcher le livre ! À cause de ça, j'ai beaucoup réfléchi.
Commenter  J’apprécie          00
Je n'avais jamais lu Annie Ernaux. Ce livre trouvé dans une boite à livres a été l'occasion. C'est un beau portrait d'un père qui voit sa fille prendre des chemins qu'il ne maitrise pas. Très soucieux d'être à sa place (la fameuse "place"), il ne sait pas comment se comporter et elle-même, grandissant, vieillissant s'interroge. Pas de reproche, juste cette impression que le passage entre deux mondes est possible, mais que chacun a peur de ce qu'il pourrait y trouver. La curiosité ou la connaissance de l'autre, c'est déjà beaucoup.
Commenter  J’apprécie          30
Bien que j'aie savouré l'écriture neutre et réservée qui illustre admirablement la désunion et la distance émotionnelle qui peuvent régner entre un parent et son enfant, j'ai eu du mal à accepter un tel choix d'événements qui semble vouloir rendre compte de l'insuffisance des individus issus de classe populaire sous couvert d'objectivité. Je me suis reconnue dans la perception d'Annie Ernaux et je salue le style choisi, mais j'ai aussi éprouvé de la peine pour son père qui a peut-être été bien plus aux yeux du monde qu'un être honteux de sa classe sociale : puisqu'il s'agit d'un hommage , je déplore la forme sous laquelle il a été exposé. Avis mitigé et incertain, car il est délicat voire inique de fonder une opinion sur un récit qui rend compte d'une expérience familiale subjective et dont on ne sait pas tout.
Commenter  J’apprécie          70
Un immense roman malgré sa brièveté.
Un hommage rendu à son père comme une excuse pour la distanciation sociale que l'auteur s'est infligée en entrant dans un milieu bourgeois après ses études.
Récit sur l'amour paternel et la grandeur d'âme d'une famille cantonnée dans sa classe ouvrière et qui n'a que la gentillesse à offrir à défaut de bagage culturel.
Quand le lien à nos origines familiales s'est distendu au gré d'une progression sociale, on en ressent comme un malaise d'usurpation avec ceux des étages supérieurs et de trahison envers ceux du rez-de-chaussée...
C'est le sens du message de "La place" : immergés dans chacun de ces milieux, on se sent de nulle part et on l'a perdue, cette place.
Commenter  J’apprécie          260




Lecteurs (11587) Voir plus



Quiz Voir plus

La place (Annie Ernaux)

De quel roman la narratrice doit-elle expliquer un passage pour les épreuves pratiques du Capes ?

Le Père Goriot
Madame Bovary

15 questions
170 lecteurs ont répondu
Thème : La place de Annie ErnauxCréer un quiz sur ce livre

{* *}