La place faisait partie des livres qui étaient sur la liste des textes que je présentais au Bac de français il y a un peu plus de 20 ans... Entre temps,
Annie Ernaux a été récompensée du
Prix Nobel, et pourtant il me semblait que j'avais trouvé ce roman creux. Alors lorsque je l'ai trouvé dans une boîte à livres prêt de chez moi je me suis dit que c'était l'occasion de retenter l'expérience.
Avec deux décennies de recul, je comprends pourquoi certaines personnes ont apprécié ce récit qui relève plus du témoignage que de la littérature en réalité.
Ce court roman s'ouvre sur la réussite de la narratrice à l'agrégation de Lettres (concours toujours prestigieux à l'époque alors j'imagine à l'époque..), puis vient l'annonce qui bouleverse cet instant de consécration : son père est décédé. C'est alors l'occasion pour la narratrice/romancière de revenir sur son enfance et surtout de nous faire un portrait de son père et de son milieu social.
Son père était un homme modeste et travailleur, passé de simple ouvrier agricole à ouvrier dans l'industrie puis propriétaire d'une petite épicerie, "un homme honnête (...) qui n'a jamais de tort à personne". Mais ça n'était pas "quelqu'un" (d'important) comme on pouvait l'entendre en France jusque dans
les années 1950.
Loin de l'idéalisation de l'homme pauvre ou d'une certaine complaisance qu'on pouvait lire chez des auteurs comme Mauriac ou
Proust qui ont davantage et mieux dépeint les milieux privilégiés dont ils étaient issus. Comme le formule
Annie Ernaux :
"L'éternel retour des saisons, les joies simples et le silence des champs. Mon père travaillait la terre des autres, il n'en a pas vu la beauté, la splendeur de la Terre-Mère et autres mythes lui ont échappé".
"Quand je lis
Proust ou Mauriac, je ne crois pas qu'ils évoquent le temps où mon père était enfant. Son cadre à lui c'est le Moyen Âge."
Elle qui a pu s'extraire de son milieu grâce à l'école évoque ses souvenirs contradictoires entre bonheur et sentiment de honte ou d'humiliation de venir d'un milieu qui manque de classe et de culture.
Cette seconde lecture n'a pas été plus agréable que la première, si ce n'est que je comprends qu'elle a plu plaire, rassurer ou avoir une dimension madeleine de
Proust pour des nostalgiques de cette France (d'avant les bouleversements des années 1960-1970) . Je comprends aussi que ce roman peut attendrir et rassurer à une époque où la France cherche ses repères et son identité entre ultra-nationalismes ("réac'") et ultra-déconstructivisme ("woke") et ne sait plus ce qui fait sa singularité à l'heure où les minorités, descendants de "colonisés", femmes violentées qui ne veulent plus que leur sort soit banalisé,... C'est aussi un hommage à ces "petites gens" (qui parlaient encore les patois régionaux) qui se serrent la ceinture à l'heure où les patrons des grandes entreprises font des bénéfices record et expliquent aux "petits" qu'ils doivent se serrer la ceinture et se désintéressent des faillites d'artisans car eux profitent de tous les travers de la mondialisation.
Seulement voilà, l'autofiction, c'est loin d'être ce que je préfère, je ne vois toujours pas l'intérêt de cette "écriture blanche" et cet ensemble assez plat n'a pas de valeur sociologique (de témoignage oui, d'accord).