Entre hameçons et poissons nageurs, entre terroirs secrets et rivières banales, entre fritures occasionnelles et remises à l'eau salvatrices, une étonnante et malicieuse bouffée d'oxygène poétique pour nos branchies encrassées.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/28/note-de-lecture-lenfant-poisson-chat-christophe-esnault/
Lorsqu'il ne compose pas des vidéos, musiques et chansons aussi barrées que réjouissantes avec son compère
Lionel Fondeville (dont je vous parlerai très prochainement sur ce blog de «
La péremption ») au sein du Manque (on parlera sans doute bientôt aussi, ici, de leur «
Mollo sur la win » récemment écrit en commun),
Christophe Esnault nous offre depuis plusieurs années une poésie exploratoire qui parcourt régulièrement de nouveaux univers alternant plongées affolantes et fausses pistes élégantes, de la tentative de résolution d'une équation amoureuse de «
Isabelle à m'en disloquer » (2011) aux courriers enflammés de «
Correspondance avec l'ennemi » (2015), des insensés hommages surréalistes de «
Mythologie personnelle » (2016) aux chevauchées d'antilopes urbaines de « Ville ou jouir » (2020), en passant par les rusées introspections de «
Poète né » (2020) ou l'hommage absolu au ratage multiformes, sous le signe de
Georges Hyvernaud, de l'ample «
Mordre l'essentiel » (2018).
Et puis il y a ce «
L'enfant poisson-chat », paru chez publie.net en novembre 2020 : l'apprentissage précoce, familial et garnementesque de la pêche, sous ses formes réputées (presque) nobles comme sous ses formes les plus arrachées et braconnantes, transformé en une petite et dense saga poétique, intime, sportive, naturelle et sans effets ajoutés.
Marquée du sceau secret d'une célèbre marque finlandaise de poissons nageurs et autres leurres, qui ne sera jamais citée (on sait par d'autres travaux que les noms commerciaux de la société de consommation, quels que soient leurs terrains d'évolution, ont valeur de chiffon rouge potentiel pour l'auteur : « Heureusement il y a Findus !'), cette guerre des boutons intérieure et à plus d'un titre larvée se joue dans les mares, les étangs, les ruisseaux, les rivières et les réservoirs d'une France liquide – qui n'est pas celle pourtant de
Pierre Patrolin ou de Michel Jullien – dissimulée sous les surfaces. Quelques excursions carrément plus lointaines seront incidemment au programme, mais le décor général, entre enfance, adolescence et bouffées plus rares d'âge adulte, est bien celui d'un pays rural ou largement péri-urbain, avec un air dominant de Mayenne et de Maine-et-Loire, de Sarthe et d'Eure-et-Loir. le terroir est ainsi sans doute moins prestigieux en apparence que le Montana, les techniques utilisées ne s'inclinent pas, loin s'en faut, devant la reine pêche à la mouche désormais popularisée par trois générations de nature writing et de nature filming nord-américaines (au milieu desquelles on notera non pas une rivière mais une malicieuse contribution autrichienne, celle de
Paulus Hochgatterer en 2003), mais l'élan vital, technique et joueur, véhiculé par ces successions ramassées de brefs vers libres, ne cède rien à quiconque.
Du coup de filet maladroit d'enfants opérant naturellement en douce aux seaux tombant des porte-bagages, des chats à deux jambes dérobant les réserves de vifs aux cuillères accrochées aux branches qu'il est hors de question d'abandonner, de l'asticot suspect dans la salade du curé à la canne cassée d'un décrochage trop sec du poignet, chaque étape technique ou non d'un parcours souvent initiatique et potentiellement sans fin, chaque anecdote savoureuse, chaque émoi ressenti (parce que s'il y a la pêche, toujours et partout, il y aussi l'envie qui taraude de découvrir les filles et les femmes, de les embrasser et plus si affinités), chaque complicité établie vers des azimuts improbables est matière à récit et à poésie.
Avec son verbe élancé et argenté, dansant et virevoltant, sachant même être boueux ou huileux lorsque nécessaire,
Christophe Esnault nous prouve en souriant que chaque point d'eau, même bien loin des montagnes sauvages, secrète sa propre « Indian Creek » pour qui le veut et le rêve – et nous fait le cadeau rare, dans un milieu ô combien inattendu, d'affirmer discrètement que nous ne sommes peut-être pas toujours voués, malgré tout, à consommer et à être des truites d'élevage nourries aux granulés.
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