La réflexion sur l'identité est au centre de chacun des textes de Faye et ces neuf nouvelles n'échappent pas aux obsessions de l'auteur. Les personnages sont confrontés ici à l'ailleurs qu'ils portent en eux. Inévitablement leur réel flanche. Ils se retrouvent seuls. Faye séduit à chaque fois, même si on aimerait qu'il oublie les conventions du fantastique pour nous emmener encore plus loin.
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Mais qu’étaient ces autres papiers dans la poche ? D’anciennes listes de courses que j’avais omis de jeter ? J’en pris un au hasard, reconnus mon écriture et lus ces sentences sans appel : « Rebut, déchet ! Raclure, enflure ! » Je reconnus sans peine l’encre noire et l’épais tracé du stylo que j’avais acheté avant de prendre le train du retour. « Blaireau, rond-de-cuir de la littérature ! Distributeur de flatteries ! » Quand donc avais-je pu griffonner de tels mots ? Le deuxième fragment portait des injures du même tonneau : « Je te maudis, toi et tout ce que tu as publié depuis ta naissance ! Péroreur ! Tu jactes mille fois mieux que tu ne gribouilles, crayonneux ! » Ces alignements de véhémences ne me faisaient pas sourire un instant.
Je rentrai chez moi avec une vive appréhension et rôdai d’un air suspicieux autour de la femme de ménage qui rangeait le linge repassé.
« Balbina !, beuglai-je soudain. Avez-vous fait mes poches ?
– Monsieur ?
– Mes poches, avant de laver tout ça, pour vérifier si je n’aurais pas oublié, cela m’arrive souvent, un stylo, l’encre est indélébile, ensuite.
– Si, Monsieur, j’ai fait les poches, comme d’habitude. Vous avez perdu quelque chose ?
– Deux ou trois papiers sur lesquels j’aurais griffonné une liste de courses ou des numéros de téléphone… Vous n’avez rien…
– Rien. Sinon, je l’aurais posé sur votre bureau.
De retour en ville après un long séjour en cure thermale j’effectuais de bon matin une promenade pour reprendre contact avec ces rues et vitrines qui m’avaient tant manqué, pendant l’été. Chemin faisant, je glissai une main dans ma poche droite pour m’assurer que je n’avais pas oublié le petit carnet à couverture orange dans lequel, au gré de mes pensées, je consignais négligemment d’excellents mots d’auteur, qui, dès leur publication, feraient tomber à genoux, et en pâmoison, mes lectrices stupéfiées par un tel degré de génie. Je l’effleurai avec ce sentiment de quiétude qui me gagnait chaque fois que je l’avais en main.
Le romancier et essayiste Eric Faye sera au Belvédère du Rayon Vert de Cerbère du 11 septembre au 9 octobre, pour une « résidence duelle transfrontalière ».
Organisées par les Rencontres cinématographiques internationales Cerbère-Collioure, ces résidences interrogent la notion de frontière en invitant concomitamment deux écrivains ou écrivaines, l'un(e) de langue française à Cerbère et l'autre de langue espagnole ou catalane à Portbou – Yolanda Gonzalez cette année.
Crédit de la vidéo : « Rencontres cinématographiques de Cerbère-Collioure ».