Ah s'il m'a fait souffrir mon nez depuis le moment sublime et mystérieux dans le ventre de ma mère quand il a été dessiné par sa respiration.
Ah si on l'a insulté mon nez. S'il en a pris des coups dans le nez mon nez, des coups directs et des coups indirects.
Tout le monde me dit que mon nez est de travers. Qu'il est tordu. Moi quand je regarde mon nez dans le miroir je le vois tout droit. Bon j'admets qu'il est grand mon nez, mais ça c'est inévitable. C'est historique. Même ma mère n'y pouvait rien. C'était pré-déterminé par des siècles et des siècles d'insultes, de souffrances et d'humiliations, que ma race a dû se prendre dans le nez. Un nez Juif, c'est une tragédie.
Il se peut cependant que mon nez est grand et tordu comme ça afin de protéger le reste de mon corps. C'est lui mon nez qui souffre pour moi. C'est lui qui prend tout dans le nez. Mais lui mon nez eh bien il s'en fout qu'on l'insulte en l'appelant toutes sortes de noms dérogatoires comme Pif ou Blair ou Piment ou Tarin ou Tarbouif ou Bourrin ou Schnaze ou même Pifomètre. Ou tout ce qu'on veut.
Mon nez il est costaud, he can take it. Mon nez, pour moi, c'est un monument topologique à la mémoire de ceux qui sont morts à cause de leur nez.
Savez-vous pourquoi les gens ont peur de regarder leurs cicatrices? Et encore plus, peur de les toucher? C'est parce que c'est l'endroit de notre corps où notre âme s'est débattue pour sortir, mais on l'a repoussée dedans et recousu la fente où elle avait essayé de s'échapper.
Un retour dans le débarras - Raymond Federman .Séquence réalisée en 2002 pour l'émission "Mic Mac" sur Arte, à l'occasion de la nouvelle édition de "La Voix dans le débarras" parue aux Impressions Nouvelles et de la publication de "Chut !" aux éditions Leo Scheer Raymond Federman avait accepté de retourner avec Benoît Peeters à Montrouge, dans la maison de son enfance, où toute sa famille fut arrêtée lors de la Rafle du Vel d'Hiv http://www.lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/voix-dans-le-debarras/