Madame Bovary est l'un des livres qui m'a fait le plus aimer les livres, une oeuvre fondatrice de mon goût pour la lecture. On juge finalement toute oeuvre à l'aune de quelques ouvrages, qui sont pour nous la perfection en littérature.
Très haut dans mon petit panthéon personnel, il y a ce classique parmi les classiques, ce grand livre finalement tout simple, aussi beau, profond, et triste qu'accessible à tous, autant de son temps qu'intemporel et universel.
Emma Bovary ou le drame terrible de trop rêver sa vie, de se vouer au malheur en y emportant les siens parce que l'existence ne peut être que seulement cela, cette succession banale, commune de jours, ce manque terrible des grandes exaltations qui font palpiter les coeurs. Emma Bovary est cette grande amoureuse, cette femme en quête d'absolu, éprise de sublime et de beauté, coincée dans la vie banale d'une petite ville de province. Son mari est un homme gentil, attentionné, doux, amoureux d'elle, mais tellement insuffisant à ses yeux, tellement petit et étriqué, tellement loin de ses désirs. Elle rêvait tant d'autres choses, elle voulait tant connaître les folles passions, les emportements du coeur, le tourbillon des fêtes, les excès de la grande ville, l'intensité de l'existence telle qu'elle la lisait dans les livres, qu'elle les rêvait adolescente… La confrontation avec ce qu'est sa vie simple, quotidienne était devenue insupportable pour elle. Alors, elle s'est perdue.
Madame Bovary, c'est l'histoire de tout un chacun, une confrontation avec nous-mêmes : comment accepter que la vie ne soit pas comme nos rêves, comment confronter nos aspirations à notre destinée?
Ce sujet merveilleux et essentiel est proposé dans le cadre d'un roman naturaliste, qui décrit la vie de province d'une petite ville (Yonville en Normandie) avec ses haines et ses amitiés, ses conflits de clocher et ses petites avancées vers la modernité, un peu moquée par le grand écrivain. L'oeil y est acéré, toujours juste.
Egalement, il y a quelque chose comme un miracle dans ce récit où aucun mot ne semble en trop, où la précision quasi clinique des états d'âme, des paysages, des tenues, des lieux s'enchevêtrent merveilleusement avec le fil de l'histoire tragique et pathétique qui avance sous nos yeux vers sa terrible conclusion avec une efficacité prodigieuse.
Surtout, il y a cette langue, qui parfois confine au sublime. Ces passages de prose, plus beaux que les plus beaux poèmes. Simples encore, mais tellement profonds, tellement vrais et à la musicalité si merveilleuse. Certains des plus beaux aphorismes du monde sont dans
Madame Bovary, comme les plus belles mélodies.
Je ne résiste pas en guise de conclusion à proposer deux courts extraits qui symbolisent la perfection à laquelle j'ai tenté de rendre hommage dans ces quelques lignes.
“Emma ressemblait à toutes les maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l'éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage. Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique, la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions. Parce que des lèvres libertines ou vénales lui avaient murmuré des phrases pareilles, il ne croyait que faiblement à la candeur de celles-là ; on en devait rabattre, pensait-il, les discours exagérés cachant les affections médiocres ; – comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.”
‘'D'ailleurs, il allait devenir premier clerc ; c'était le moment d'être sérieux. Aussi renonçait-il à la flûte, aux sentiments exaltés, à l'imagination ; – car tout bourgeois, dans l'échauffement de sa jeunesse, ne fût-ce qu'un jour, une minute, s'est cru capable d'immenses passions, de hautes entreprises. le plus médiocre libertin a rêvé des sultanes ; chaque notaire porte en soi les débris d'un poète. Il s'ennuyait maintenant lorsque Emma, tout à coup, sanglotait sur sa poitrine ; et son coeur, comme les gens qui ne peuvent endurer qu'une certaine dose de musique, s'assoupissait d'indifférence au vacarme d'un amour dont il ne distinguait plus les délicatesses. Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de la possession qui en centuplent la joie.''
Tom la Patate
PS: pour les fans absolus de ce grand texte, je conseille de visiter le site www.bovary.fr qui recense les différentes versions du manuscrit de
Flaubert, avec ses corrections petit à petit pour arriver au chef-d'oeuvre que nous connaissons. Passionnant.
Complément de Jo la Frite sur cet ouvrage:
C'est également le plus beau roman que je n'ai jamais lu, tant dans l'écriture que dans la justesse des comportements humains. Il manque à mon sens un point important dans la critique de Tom la patate, c'est toute la vanité des personnages – excepté du mari – vanité qui nous pend tous au nez en tant qu'êtres sociaux. Cette idée de croire qu'il faut aimer de telle sorte, vivre telle vie, sortir à tel endroit, pour exister, pour vivre. Et la difficulté à certains moments de notre vie de sortir de ces schémas pour trouver sa vraie place. A mon sens, c'est cela qu'a réussi
Flaubert, nous faire comprendre que se créer un idéal de vie est la pire de façon de passer à côté des belles choses qui nous entourent.
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