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sur 17124 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Madame Bovary est véritablement une lecture exigeante. Non pas qu'il s'agisse d'un roman difficile à lire, bien au contraire : la langue de Flaubert coule comme un joli petit torrent de montagne, limpide, alerte et froid. C'est d'ailleurs cette apparente accessibilité qui rend Madame Bovary si exigeant selon moi. On croit à un roman d'amour, on le savoure comme une histoire telle qu'on en a déjà dévoré des tas…

Mais, à l'image de son auteur, où, sous des airs bonhomme, ventripotent et vaguement endormi se cache en réalité un critique acerbe, fin et redoutablement caustique ; si l'on prend la peine de réfléchir à l'essence même de ce livre, on s'aperçoit vite qu'il n'a rien d'un roman au sens divertissant du terme : c'est un brûlot, c'est un colis piégé dont on entend le tic-tac et dont on se demande quand il va vous exploser au visage.

Car Madame Bovary a eu un procès. On ne fait pas le procès d'une oeuvre innocente. Si l'on entreprend un procès pour un livre, c'est que les idées qu'il véhicule remettent en cause les fondements de la société dans laquelle il apparaît. Alors, questionnons-nous : en quoi Madame Bovary pouvait menacer l'ordre établi de 1856 ?

Première valeur battue en brèche : la maternité. Emma Bovary est une mauvaise mère. Elle subit sa maternité et se fiche de sa progéniture comme d'une guigne. En lisant le roman, on oublie souvent qu'on a affaire à une mère de famille. D'ailleurs, Emma aussi semble l'oublier. Pire encore, qui joue le rôle de mère véritable pour Berthe ? son père, le médecin Charles Bovary. Totalement impensable dans la société machiste de l'époque.

Deuxième totem rongé par les castors : la vie conjugale. Oui, il lui met une sacrée claque l'ami Gustave à la vie conjugale. Messieurs, mes bons messieurs, vous vous mariez ? vous croyez dormir tranquille sur vos deux oreilles et regarder votre ventre croître ? vous pensez avoir toujours bobonne à la maison pour vous dorloter, vous mettre en valeur, vous préparer la bouffe et le linge et puis un petit extra de temps en temps quand vous avez le bourgeon qui vous titille ? Eh bien c'est raté les cocos ! Emma Bovary vous secoue le prunier et vous fait tomber de votre piédestal : elle ne cuisine pas, ni ne fait rien d'utile dans la maison ; elle vous trouve incapable, moche, bête et assommant, elle ne vous laisse pas poser vos sales pattes sur elle et elle vous met des cornes grandes comme ça ! Blam ! la claque pour ces messieurs de 1856 !

Troisième pilier social fracturé d'un coup d'épaule : l'institution du mariage. C'est nul le mariage, nous dit Flaubert, c'est une machine à créer des frustrations, personne n'y trouve son compte. Vous y avez cru, les petites filles ? vous allez voir ! Vous y avez cru, les garçons ? attendez un peu quelques années ; on va rire ! Waouh ! Ça aussi, ça fait mal à entendre dans une société encore largement traditionaliste, qui n'a quitté la monarchie absolue que depuis une soixantaine d'années. (Il convient aussi de garder en mémoire qu'à l'époque, en France, après une brève période d'autorisation lors de la Révolution, le divorce était interdit depuis 1816 et qu'il fallut attendre 1884 pour qu'il soit à nouveau, ne serait-ce que légal, ce qui ne signifie pas, bien sûr, aisément obtenu pour les épouses qui le réclamaient.)

Quatrième principe foulé au pied : la religion. Vous voyez bien, nous dit Gustave Flaubert, c'est de la connerie la religion, ça ne vous aide en rien ; c'est tout au plus un cache misère et c'est, au mieux, un petit business intéressant quand vous en vivez en tant que cureton (ou les quelques grades au-dessus). L'auteur s'en donne à coeur joie : il organise un rendez-vous galant dans la sacro-sainte cathédrale de Rouen ; il ridiculise la dévotion passagère d'Emma ; il humilie le curé Bournisien en le ravalant au rang du minable pharmacien Homais ; il fait de la visite de la cathédrale un moment de pur mercantilisme, dans tout ce que le terme a de plus vil et pathétique.

Cinquième dogme atomisé : la supériorité de l'élite sociale. Dès le bal chez les de la Vaubyessard, on sent que l'aristocratie est une faribole, passés la livrée et les brillants, on s'y ennuie aussi bien qu'ailleurs et les belles manières ne sont rien qu'un code, un vernis luisant, qui craque et tombe en pièces à la première occasion pour laisser voir le bois pourris qu'il est censé dissimuler.

L'aristocratie, au sens du XVIIIème siècle, périclite à vitesse grand V dans le monde de 1856, aussi vite que s'élève la bourgeoisie de l'argent, toute pareille à la précédente, avec le bon goût en moins. Ce n'est pas un hasard si Flaubert amène son héroïne à devenir la maîtresse d'abord d'un châtelain puis d'un bourgeois en devenir : le constat est le même, et, sans que l'affaire fût conclue, en comprend bien que le vicomte sur lequel elle était tombée en pâmoison au bal Vaubyessard lui aurait de toute façon réservé le même sort que ses deux amants ultérieurs.

Sixième idée pendue haut et court : le mythe du progrès. Que cela soit au niveau du comice agricole, au niveau médical ou, plus particulièrement par l'entremise du pharmacien Homais, Gustave Flaubert règle son compte à cette utopie, à ce rêve creux. le monde de 1856, embarqué en pleine révolution industrielle, croyait dur comme fer au progrès, un peu comme aujourd'hui, on voudrait nous faire croire que les OGM et les smartphones sont le vivant visage du progrès universel.

Septième poncif mis au crochet : l'ascension sociale. Et dans celui-ci, il n'est pas exclu que l'auteur se donne des claques à lui-même. En effet, Emma est une paysanne, dans le fond. Une paysanne qui voudrait se donner des airs de duchesse. Elle est pathétique et risible, elle est comme un papillon attiré par une lampe à incandescence, elle veut tout ce qui brille, elle se sent très supérieure aux villageois qui l'entourent et pourtant, elle est minable. Ses amants sont minables, son mari est minable, son voisin le pharmacien Homais est minable mais tous veulent faire illusion, tous aspirent un peu à la gloire, même si c'est une gloriole de pacotille.

Ce que me semble fustiger l'auteur ici, c'est le péché d'orgueil qui consiste à croire, à nous considérer nous-mêmes comme des êtres extraordinaires, qui sont sous-évalués, qui ne sont pas à leur place là où ils sont et qui mériteraient de sauter deux ou trois cases dans l'échelle sociale. Finalement, les seuls qui ne soient pas pathétiques dans ce roman sont ceux qui ne cherchent pas à gravir les échelons. C'est le cas, par exemple, du père d'Emma, qui sait qu'il est et qu'il ne sera jamais autre chose qu'un paysan, même s'il a pu, au cours du temps, acquérir un peu d'aisance financière.

On pourrait continuer encore dans ce registre, mais on comprend bien, je pense, que c'est carrément tout le système sur lequel repose le Second Empire que Gustave Flaubert remet en question. On sent aussi poindre quelque chose comme l'évolution nécessaire et indispensable de la condition de la femme à ce stade de développement sociétal qu'atteint le milieu du XIXème siècle dans les sociétés les plus « modernes » de l'époque (Royaume-Uni, France, États-Unis, Allemagne — même si l'Allemagne, stricto sensu, n'existe pas encore, la Prusse & consort sont déjà assimilables à un ensemble quasi homogène).

Emma Bovary, c'est en quelque sorte la version fictive d'Annie Ernaux. Une femme qui n'est plus à sa place dans le monde dont elle est issue et qui ne trouve pas sa place, ni dans le monde qui l'a accueillie, ni dans celui qu'elle convoite en son for intérieur. Elle est toujours en décalage entre ce qu'on attend d'elle ou avec ce qu'elle attend des autres. Son malheur aura sûrement été d'être un peu trop jolie, de s'être un peu trop fait remarquer. Si elle avait été moins belle, d'un physique plus ordinaire, elle n'aurait attiré le regard de personne en particulier et n'aurait débusqué qu'un paysan des environs. Elle serait restée à sa place et on n'en aurait pas parlé. Mais cette vie dans l'intervalle, entre deux mondes, d'un point de vue de la hiérarchie sociale et entre deux mondes également, d'un point de vue de l'évolution de l'époque, entre Ancien Régime et Troisième République est un enfer.

Ce que je vois dans ce roman, contrairement à ce que j'ai pu lire ou entendre ici ou là, ce n'est pas du tout le portrait d'une femme, mais la peinture d'une catégorie de personnes ; ce n'est pas du tout, selon moi, un roman sur l'ennui mais sur le décalage (social, sociétal, culturel, affectif, etc.). de même, ce que j'en retiens, ce n'est pas le terme devenu fameux de « bovarysme » et qui caractériserait les gens qui passent leur temps à rêver leur vie plutôt qu'à la vivre (l'héroïne d'Une Vie de Maupassant me semble mieux répondre à la représentation commune du « bovarysme »). Non, ce que j'en retiens, c'est la critique sociale, farouche, implacable, celle qui consiste, rien que dans le titre, à définir une personne uniquement par son lien marital (un thème que reprendra Virginia Woolf dans son roman au titre ô combien similaire, Mrs Dalloway). J'en retiens la critique de la pratique sociale « bien pensante » qui consiste à enfermer une catégorie de personnes (les femmes en l'occurrence) dans un rôle monolithique absolument suffocant, ravalées presque au rang de meuble. Et, par conséquent, j'y vois une véritable invitation pour la société à se réformer. (Ce qui attendait Emma, si elle acceptait de se plier aux exigences sociales, c'était la vie de Mme Homais. Était-ce plus enviable ? était-ce plus vivable ?)

En somme, un roman très profond, une manière de double avertissement : pour les femmes, d'abord, qui, si elles ne jurent que par les lumières de la ville et les colifichets qu'un Lheureux voudra toujours leur vendre, seront immanquablement les oies blanches qu'on prendra plaisir à gaver pour mieux leur saisir le foie devenu gras. Ensuite, pour les hommes (qui sont les seuls à l'époque à avoir une véritable profession), l'avertissement que le monde nouveau qui se dessine n'est qu'un leurre, on reste ce qu'on est : Bovary était gauche et médiocre au collège, il sera gauche et médiocre en tant que médecin, il sera gauche et médiocre en qualité de mari. Idem pour Léon. (Thème qui sera au coeur de Bouvard et Pécuchet.)

Mais je vois aussi un autre avertissement, plus fort, plus puissant, plus universel dans Madame Bovary, celui-là même que ceux qui l'ont conduit devant les tribunaux ont dû percevoir. Il s'agit de l'avertissement social : le monde change — et change même très vite — si bien que les valeurs ancestrales ne sont plus adaptées dans le monde de 1856 et ceux qui ne voudront pas le voir seront écrasés, roulés, brisés par l'époque exactement comme Charles Bovary qui n'a rien vu venir, qui est peut-être, dans le fond un brave gars, mais qui a une guerre de retard, qui est un fossile du vieil ordre rural et qui n'a pas compris que quelque chose avait fondamentalement changé dans les rapports humains entre 1780 et 1850.

Donc, effectivement, si vous lisez Madame Bovary comme un roman de divertissement, vous risquez fort d'être déçus. C'est un roman froid et humide comme la Normandie dans laquelle il a poussé (je me permets cette image parce que je suis Normande, mais venant de quelqu'un qui serait issu d'une autre région, je porterais plainte devant la LICRA pour anti-normandisme climatique caractérisé). Un roman qui n'a rien de spontané, car chaque phrase a été pesée, biseautée, préparée, façonnée, remaniée jusqu'à obtenir une perfection guindée qui n'est pas sans m'évoquer Jean-Auguste-Dominique Ingres en peinture.

Mais malgré le côté très artificiel de l'écriture de Flaubert, quel bonheur de lire une langue pareille : on évoque souvent sa maîtrise de la musicalité dans sa prose — chose que je ne remets absolument pas en cause même si je la trouve un peu froide à mon goût. En revanche, je suis particulièrement admirative de son art de la ponctuation : ça a l'air facile, vu de loin, la ponctuation ; cela passe inaperçu, on a parfois le sentiment qu'on pourrait s'en passer ou que c'est simplement dicté par les règles de l'évidence. Or, il n'en est absolument rien. C'est très technique, très subtil et ce n'est pas souvent qu'on en voit de la si belle.

Donc, au risque de vous paraître incurablement débile, si vous ne vous sentiez aucun goût pour les classiques, le XIXème, Flaubert et la Bovary, à titre de curiosité intellectuelle, j'aurais tendance à vous conseiller cette lecture, au moins pour sa ponctuation, car j'ai lu, une fois, il y a très longtemps, dans une revue horticole, que c'est à ses bordures que l'on juge de la qualité d'une pelouse. Si l'argument vous paraît faible, songez encore que ceci ne représente que l'avis d'une Normande pas à sa place (encore une, après Annie Ernaux et Emma Bovary, ça commence à faire beaucoup), c'est-à-dire très peu de chose.
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Gustave Flaubert consacra plus de quatre ans à écrire "Madame Bovary" : voilà sans doute l'origine de la construction parfaite qui en fait, encore de nos jours, un des romans les plus lus et les plus étudiés. Quatre ans pendant lesquels Flaubert eut le temps de faire corps avec son personnage, au point de lancer le fameux : "Madame Bovary, c'est moi !", mais aussi de se préparer au scandale qu'allait déclencher sa publication en 1857.

C'est en effet un sacré pavé que lance Flaubert dans la mare bien-pensante de l'époque ! Il montre qu'une femme peut avoir d'autres aspirations que ses devoirs d'épouse et de mère, ose décrire l'infidélité féminine et brise le tabou du suicide, en ce temps où la dépression portait le nom de mélancolie.

Quel cynisme d'avoir intitulé son livre Madame Bovary et non Emma ! Il est vrai que Jane Austen avait déjà utilisé ce prénom pour son roman publié en 1815, et ce n'est certainement pas un hasard si l'héroïne de Flaubert se prénomme ainsi. Choisir "Madame Bovary" c'est rappeler combien la jeune Emma Rouault, nourrie de littérature sentimentale, est prise au piège de son terne mariage avec le médecin de campagne Charles Bovary. Son époux et sa vie sociale sont si différents des illusions forgées au fil de ses lectures que même la naissance de sa fille Berthe ne peut endiguer sa déception. Son ennui est rendu palpable par les longues descriptions que comporte le récit, comme un lent étirement du temps. D'exaltation en désespoir, mais toujours insatisfaite, sous les yeux d'un mari qui ne voit rien, Emma prend des amants - qui l'abandonneront - et s'étourdit de toilettes toujours plus onéreuses, au point de s'endetter de manière irrémédiable...

A l'image d'Emma Bovary, mais aussi de l'écrivain ou de l'artiste en général, plus le rêve d'idéal est élevé, plus décevante est la confrontation avec les réalités de l'existence. Pour ceux qui ne savent pas s'en accommoder, la vie n'est que peine et frustration. Et il ne faut pas attendre de compassion de la société, comme l'illustre cette fable amorale où les méchants (le pharmacien qui vend le poison à Emma, le boutiquier qui l'a ruinée) ne sont pas inquiétés et où les innocents (comme la petite Berthe) voient leur vie brisée sans espoir de réparation.
Du grand art !
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Au couvent, dans les livres, la jeune Emma s'enivre
Coule en elle le sirop trompeur d'amours sublimes
le prince charmant normand s'est changé en crapaud
Le pauvre Charles s'avère un mari bien pataud


Alors Emma s'ennuie, Emma s'invente des vies
Survient le beau Rodolphe, amour de pacotille
Puis le jeune Léon au vulgaire romantisme

A-t-elle seulement vécu ou n'était-ce qu'un songe ?
Bal à La Vaubeyssard , vapeurs artificielles
Voyages de l'adultère au creux de L'Hirondelle
Fariboles achetées au si tentant Lheureux
Et miroir fallacieux d'une beauté d'adieu

Emma et ses dettes à payer
son ennui à combler
ses amants à quitter

Emma n'en finit plus pour nous d'agoniser
le poison distillé laisse un goût bien amer
Et le lecteur s'englue dans ce monde de fiel
Où les espoirs se brisent au mur désenchanté

L'ennui bourgeois a triomphé.

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As tu lu Madame Bovary? La honte me montait au visage et piteusement je répondais non ... Voilà je peux enfin dire OUI je l'ai lu et voulez vous connaître mon sentiment? je suis ravie de l'avoir découvert aussi tardivement car sûr , soit je me serais ennuyée -pour parler joli- soit je serais complètement passée à côté de cette oeuvre magistrale!
La Normandie , les années 1850, une jeune femme écartelée entre son origine sociale- fille de fermier- et des aspirations à vivre dans une société plus évoluée- petite noblesse, bourgeoisie aisée-se voit épouser un "brave" garçon Charles Bovary, médecin à Tostes .Elle y croit au début, mais la vie conjugale de l'époque n'a vraiment rien à voir avec ses aspirations à l' amour façon Walter Scott, clair de lune, déclarations passionnées, élans du coeur, connivence intellectuelle... Et puis ce microcosme de Tostes l'étouffe, Alors elle arrive à convaincre son "brave" Charles de quitter Tostes et d'aller s'installer à Yonville. Et à nouveau c'est le même tableau,, toujours les mêmes têtes , ces femmes passant leur temps à s'espionner, à cancaner , infréquentables mais a t 'elle le choix? La vie s'organise autour de la place, Mr Homais, l'apothicaire, toujours à la limite d' exercice illégal de la médecine, débarque dans leur vie avec femme et enfants .Heureusement il y a Léon, le clerc de notaire,musique, littérature,ils auraient pu ...mais non ! Par contre quand aux comices agricoles le beau Rodolphe apparait ....
Le reste de l'histoire... amour, adultère, trahison, dettes, suicide.... mais Flaubert ne s'arrête pas à cela, c'est le portrait précis de tout un monde qu'il nous dresse , effectivement son roman pouvait passer pour subversif dans cette société de la seconde république, il y attaque sans complaisance la religion, la vie conjugale , le modernisme et les progrès d'une science qui essayent par tous les moyens de s'imposer.
Une lecture exigeante mais comme l'a si bien notée Nastasia-B dans sa critique quelle écriture, quel art de la ponctuation! Alors n'hésitez plus, partir pour un voyage en Normandie ,au milieu du 19ème ,avec Gustave Flaubert ma foi quel honneur!
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Un ressenti sur Madame Bovary que j'ai lu il y a des éons.
C'est avant tout l'histoire d'une jeune femme romanesque du dix-neuvième siècle.
Après avoir quitté le pensionat , elle va se marier et croit échapper à la monotonie de sa vie, elle rêve d'amour, de passion comme dans ses romans.
Elle va épouser un médecin qui l'aime. Cette union va lui apporter un certain rang dans la société mais ce dernier n'a pas d'ambition. Où sont les preux chevaliers de ses romans ? C'est un homme bien médiocre à ses yeux.
Et l'amour, le grand frisson ? La vie est bien ennuyeuse et monotone dans la campagne normande. Alors elle prendra un amant pour se donner l'impression d'exister. Son histoire finira mal.
Avec le portrait d'Emma, Gustave Flaubert nous offre de très belles pages. J'ai toujours éprouvé beaucoup de compassion pour cette héroïne qui voulait bien plus qu'être une simple femme de médecin et connaîtra moult désillusions.
Deux citations qui résument bien Emma :
Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord et l'ennui, araignée silencieuse filait sa toile dans l'ombre à tous les coins de son coeur.
Tout ce qui l'entourait immédiatement, campagne ennuyeuse, petits bourgeois imbéciles, médiocrité de l'existence, lui semblait une exception dans le monde, un hasard particulier où elle se trouvait prise, tandis qu'au-delà s'étendait à perte de vue l'immense pays des félicités et des passions. Elle confondait dans son désir, les sensualités du luxe avec les joies du coeur, l'élégance des habitudes et les délicatesses du sentiment.
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Le moins que l'on puisse dire, c'est que Flaubert, ici, nous offre une belle contextualisation de la médiocrité. Pas un seul personnage ne brille par sa sagacité, mais tous brillent par leur incapacité à percevoir réellement la cause d'agitation de leurs congénères. le summum étant Emma Bovary, seulement fixée sur les palpitations de son coeur, qui ne peuvent être déclenchées que par la passion amoureuse romanesque.

Une histoire qui aurait pu m'être aussi ennuyeuse que le ressenti d'Emma sur une vie routinière, mais ce ne fût pas le cas. Gustave Flaubert ajoute à toutes les situations qu'il met en scène, une dimension tristement absurde, alors qu'elles devraient être profondes ou émotionnellement fortes. Il dénigre finement.
Procédé qui n'a pas manqué de me faire lire ce roman avec un bel appétit.
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Qu'il est bon de se replonger dans un tel classique ! C'est à la fois se remémorer une époque, un contexte d'écriture (et de lecture), se rapprocher de quelques analyses critiques et toujours se réapproprier une oeuvre et s'émerveiller devant son actualité…

Flaubert a été élevé dans une ambiance suffisamment mélancolique, triste et pessimiste pour y puiser par la suite des sources d'inspiration. Ses prédispositions observatrices et méticuleuses datent aussi de son enfance proche du milieu médical où évoluait son père. Plus tard, c'est dans la solitude de sa maladie nerveuse qu'il va travailler méthodiquement à l'écriture de ses romans, dont Madame Bovary qu'il mettra plus de quatre ans à écrire. C'est ce roman et surtout le procès intenté « pour offense à la morale publique et à la religion » qui a rendu Flaubert célèbre. Même s'il a été acquitté, on lui a reproché d'aller bien trop au delà du dicible admis à son époque sur des thématique comme le corps, la maladie, la sexualité ou la mort.
Faut-il rappeler que Flaubert s'est inspiré d'un fait divers bourgeois et provincial, d'une histoire vraie, celle de l'épouse infidèle d'un médecin qui se serait empoisonnée et dont le mari, inconsolable, serait mort de chagrin ? Ses personnages seraient, à peu de choses près, les portraits très ressemblants des vrais protagonistes… d'où, pour ses contemporains, une impression de réalité accrue. le roman paraît d'abord dans La Revue de Paris en 1856 puis en librairie l'année suivante.

Ce qui frappe dans ce roman, c'est la finesse de l'analyse psychologique au travers de ses manifestations perceptibles de l'extérieur. Flaubert donne l'impression de ne pas faire intervenir son jugement personnel ; il expose des faits, se pose en narrateur omniscient, en écrivain qui s'est réellement mis dans la peau de ses personnages, qui les a fait vivre de l'intérieur sans les juger. L'écriture flaubertienne veut coller à la pensée : Flaubert a énormément retravaillé son style, toujours en recherche d'une manière plus absolue de dire les choses, de faire fusionner le fond et la forme, le mot et l'idée ; les sentiments, les paroles, les attitudes font vrai et sonnent juste : Bovary est médiocre, Homais est un prétentieux doté d'une profonde bêtise, Léon est une caricature de héros romantique très timide… Même les personnages secondaires présentent cette recherche de vérité ; je pense à la nourrice de la fillette des Bovary, par exemple, décrite dans sa maison modeste… Flaubert ne représente pas les choses comme elles sont objectivement, mais plutôt comme les perçoivent ses personnages. Ainsi, par exemple, les détails de la scène du bal chez le marquis sont vus à travers le prisme du regard d'Emma…
Dans une représentation de la vie réelle, la dérision et l'ironie sont constamment présentes, tout comme le tragique et le drame, dans une alternance de rire et de larmes, de bons et de mauvais moments.

Comme Emma, son héroïne, Flaubert a connu une adolescence exaltée par la littérature romantique, héritier du René de Chateaubriand ou de l'Antony de Dumas, grand admirateur de Victor Hugo, il va mêler son réalisme de sensiblerie, de tendresse et d'enthousiasme même si c'est pour faire une peinture sans concessions des élans et des illusions de ses personnages et de lui-même à travers eux.
Madame Bovary est d'abord et avant tout un roman réaliste, un étude clinique des personnages et une satire du romantisme. Ainsi, Emma voudrait vivre dans la passion et l'ivresse décrites dans les livres qu'elle a lus en cachette au couvent même si elle a du mal à s'en faire clairement une idée. Si elle avait été élevée en ville, elle aurait peut-être acquis une certaine ouverture d'esprit, mais Emma est une fille de la campagne et elle subit l'influence de son milieu : si elle est à ce point malheureuse, c'est parce qu'elle a reçu une éducation trop bourgeoise pour sa condition paysanne et qu'elle aspire à une ascension sociale que ses origines ne lui permettront jamais d'atteindre.
Elle devient romantique dans le mauvais sens du terme, romantique à outrance : avec elle le romantisme devient une perversion, davantage nourrie de presse féminine et de mauvais romans que d'oeuvres littéraires. La satire de Flaubert s'organise autour de poncifs ridicules : promenade au clair de lune, leçons de piano fictives, rêve d'enlèvement…
Emma sera enfin victime d'une forme de déterminisme et suivra une pente descendante et sans issue de l'ennui au mensonge, des dettes à la négligence de sa famille, de l'infidélité au suicide, dans un enchainement naturel et fatal.
Mais il ne s'agit pas ici seulement de stigmatiser le romantisme féminin : le bovarysme est un travers mixte, qui peut aussi toucher les hommes : chacun peut être victime de ses illusions et de ses rêves. Flaubert a d'ailleurs reconnu que le personnage d'Emma lui ressemble beaucoup, sorte de double de son auteur : comme Flaubert, elle souffre d'une grande sensibilité nerveuse, est toujours insatisfaite. Elle est souvent décrite avec des postures masculines : elle fume, monte à cheval… Mais la ressemblance s'arrête là : Flaubert a su sublimer son romantisme par son art tandis que son personnage s'est autodétruit, restant esclave d'un romantisme mal compris.
Emma Bovary est devenue un type universel, presque mythique.

Personnellement, malgré le titre éponyme, je ne peux m'empêcher de remarquer que le personnage d'Emma est encadré par la figure de son mari dont elle constitue seulement une partie de la vie et de l'histoire ; en effet, Charles a donné son nom à Emma, et il ouvre et clôt le roman puisque les quatre premiers chapitres sont consacrés à sa présentation tandis que les trois derniers décrivent son chagrin et sa mort.
De plus, le récit donne l'impression que le narrateur a bien connu Charles Bovary. C'est ce personnage qui donne une forme d'humanité au roman. Emma demeure antipathique car comme Flaubert, son auteur, le lecteur prend de la distance vis-à-vis d'elle.
Et si Charles Bovary était le seul véritable héros romantique de ce roman ? Il est bien le seul à mourir d'amour même s'il a été ridiculisé la plupart du temps. À sa manière, bien que pitoyable, il revêt une dimension tragique et sublime dans sa sincérité, dans les choix et les sacrifices qu'il fait, dans la préparation des funérailles d'Emma, dans la manière dont il accorde son pardon à Rodolphe... Il meurt en tenant une mèche de cheveux d'Emma dans la main.

L'histoire d'Emma Bovary est toujours très actuelle car, même si les moeurs ont évolué, il arrive que l'on rêve d'une autre vie, qu'on souhaite être quelqu'un d'autre et il existera toujours un décalage entre le rêve et la réalité. Les problématiques autour du couple mal assorti et de l'infidélité parlent toujours aux lecteurs d'aujourd'hui même si la destinée de la femme peut s'accomplir hors du mariage et si les modalités de séparation sont grandement facilitées.
De même, la surconsommation et l'endettement sont des attitudes compulsives de plus en plus présentes dans nos sociétés. Quant au suicide, il reste le dernier recours et laisse désemparés ceux qui y sont confrontés.
Enfin, il faut bien avouer que le rapport aux modèles véhiculés par les médias ou les réseaux sociaux rappelle étrangement la pathologie décrite à partir d'Emma Bovary par Jules de Gaultier, sous le nom de bovarysme, dans un essai de 1892, comme un excès d'identification et d'empathie touchant les lecteurs de romans. Simplement, de nos jours, ce phénomène dépasse le domaine littéraire et touche autant les hommes que les femmes.
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Voilà une oeuvre classique que son exploitation scolaire dessert un peu, bien qu'il soit nécessaire de la faire lire à l'école, puisqu'elle est ... classique (à savoir, formatrice, indispensable à la maturation des esprits et des plumes). Comme beaucoup de grands romans du XIX°s, la première lecture (surtout sous contrainte) peut sembler pénible et ennuyeuse, comme d'ailleurs les années de création que le roman coûta à son auteur. En fait, c'est la seconde, voire la troisième lecture, qui vont révéler toutes les qualités comiques du roman, toute la satire du romantisme qui enjolive l'affreux monde comme il va, toute la drôlerie de l'entreprise. Mais pour arriver à ce plaisir comique de la relecture, il aura fallu en passer par la première lecture et ses souffrances. Mais qui a dit que le beau se gagne sans effort ?

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Ne serait-il pas bien décalé ce roman de Flaubert aujourd'hui où l'adultère n'existe plus en tant que tel et ne s'appelle jamais ainsi? Les passions et pulsions humaines n'ont guère changé, elles naissent et s'affichent beaucoup plus vite à l'ère du tout connecté. Ainsi, Emma pourrait de nos jours trouver toutes sortes d'amants sur la toile mais ne finirait sans doute pas mieux que dans l'oeuvre de Flaubert. La richesse de ce roman me semble être dans la progression, lente mais sûre, inéluctable du devenir des personnages. Emma croit trouver l'amour ou sortir de l'ennui dans les bras de Rodolphe, vainement.
En fait, on dirait qu'elle ne se supporte plus elle-même ce qui la fait aller pas à pas vers son destin. Le style de Flaubert entretient ce rythme lent avec savoir-faire, descriptions, images, analyses des sentiments. Il n'oublie pas de faire planer le contexte de l'époque: petite bourgeoisie, religion, discrétion avortée. Il réussit donc à la fois un roman d'amour et de société parfaitement conçu, équilibré, développé avec grand soin.
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Comment faire une critique de « madame Bovary » ? Trop de belles plumes, de beaux penseurs, de bons analystes s'y sont appliqués. Je vais juste tenter d'exposer les deux raisons qui ont fait de ma lecture un enchantement.

L'écriture d'abord qui n'a pas vieilli : les descriptions riches minutieuses des personnages, des humeurs, des moeurs, de l'habillement, du mobilier sont un émerveillement. Ce style de Flaubert peut rebuter le lecteur actuel à la sensibilité affadie, habitué qu'il est aux flots torrentueux continus d'informations superficielles. Pourtant se plonger dans la lecture de Flaubert est un véritable et apaisant raffinement pour peu que l'on accepte de lâcher prise et qu'on se laisse bercer par un flot plus calme.

Mais surtout, j'ai vu là une illustration de la lutte de l'envie et du contentement.
Certes il n'y a pas de vainqueur : ni l'insatiable Emma, ni le satisfait Charles ne sortent vivants de l'affaire.
L'une aura vécu en imbécile malheureuse et l'autre en imbécile heureux.
Et quitte à choisir......
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Thème : Madame Bovary de Gustave FlaubertCréer un quiz sur ce livre

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