Ah, ma pauvre Emma !
Je me suis résolu à écrire ce petit billet après avoir lu sur le site et ailleurs des critiques qui l'accablent : mauvaise mère, mauvaise épouse, frivole, peu intelligente, égoïste, dont certaines auraient pu être rédigées par le substitut Pinard.
Et pourtant...
Elle a lu de mauvais romans ? Mais quoi d'autre aurait-elle pu lire ? Une jeune fille appartenant à a petite bourgeoisie aurait-elle pu lire sans scandale, aurait-elle même été autorisée à lire autre chose sans scandale ? Aurait-elle pu lire
Balzac, Hugo,
Zola,
Maupassant, ou
Flaubert aussi d'ailleurs ?
Et d'ailleurs une femme devrait-elle lire tout court ? Les soins du ménage, l'éducation des enfants, que sais-je, devraient suffire à l'occuper. Encore, à la rigueur, quelques bonnes lectures conseillées par Monsieur le Curé...
Elle a sans doute eu tort d'épouser le pauvre Charles, de l'épouser par défaut et sans amour ; mais le mariage était la seule issue, le seul espoir d'évasion, pour une femme de son époque et de sa classe.
N'est pas
George Sand qui veut.
Et Charles, après tout..un médecin, il a fait quelques études, il y avait de l'espoir, et d'ailleurs elle le connaissait à peine. Peut-être que...Hélas, Charles n'était que Charles. Un brave homme, un homme estimable d'ailleurs, qui aimait sa femme, il a fait ce qu'il a pu.
C'est vrai qu'elle l'a bien mal traité, et il ne le méritait pas. Elle n'aurait certes pas du le tromper, c'est toujours un tort, et qui plus est avec des hommes indignes. Mais enfin n'aurait-il pu voir ce qui se passait, réagir, voir le milieu effrayant où il l'avait plongé.
Oui, le milieu effrayant, parce qu'Yonville explique, excuse beaucoup de choses. Yonville, Mesdames qui la condamnez, j'aurais voulu vous y voir ! Qui y-a-t-elle trouvé ?
On pense à Homais, bien sûr, mais Homais, malgré sa bêtise révoltante, n'est pas encore le pire.
Il y a ce salaud de Rodolphe, qui n'a pensé qu'à profiter d'elle, de son romantisme niais (niais, bien sûr, la pauvre Emma n'est pas un parangon d'intelligence, et sur le romantisme il y aurait beaucoup à dire) qu'il a bien su utiliser pour parvenir à ses fins, et qui l'a abandonné avec une lâcheté sans nom.
Il y a ce petit crétin de Léon, qui était peut-être sincère quand il lui parlait de son amour, mais pensait sûrement surtout à obtenir ce qu'il a obtenu, et qui, même s'il ne pouvait évidemment l'aider de la façon qu'elle demandait, n'a pas cherché à l'aider du tout.
Il y a bien sûr l'usurier, qui l'a laissé sciemment s'endetter au-delà de ses possibilités, lui a proposé un moyen de remboursement ignoble, qu'elle a refusé non sans noblesse et dignité.
Il y a le tapissier, qui la poussait à la dépense. Bon, encore, lui..c'était un commerçant, il a fait son métier de vendre, sans trop de scrupules certes, mais sans doute aurait-ce été trop lui demander d'en avoir.
Il y a quelqu'un à qui on pense rarement, c'est le bon abbé Bournizien, aussi bête, plus peut-être, qu'Homais. Lorsqu'Emma essaie de lui faire part de son désespoir, qui va bien au-delà du matériel, il ne comprend pas, il ne comprend rien, il la laisse à sa dépression. Parce que,et c'est une des clefs du personnage, Emma est profondément déprimée, le mot n'existait pas encore, mais la chose existait déjà, on l'appelait mélancolie, et quel autre milieu qu'Yonville eût été plus propre à nourrir cette maladie ? C'est bien à cause de cette dépression d'ailleurs que
Flaubert, qui souffrait de la même maladie, s'est exclamé « Madame Bovary,c'est moi ! ».
Et comment peut-on ne pas avoir avoir au moins pitié d'elle dans les terribles jours qui précèdent son suicide, lorsqu'elle cherche partout un secours qui lui sera refusé ?
On le lui reproche, d'ailleurs, son suicide. N'aurait-elle pas du vivre, pour son mari, au moins pour son enfant ? Evidemment, son enfant. Elle n'était pas faite pour être mère, elle n'est pas la seule, et beaucoup font bien pire à leur enfant que de l'abandonner en mourant.
Alors, ayons au moins une pensée émue pour elle