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3,61

sur 2303 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Bon soyons clairs, je ne pouvais pas rester sur les Trois contes de Flaubert (1877) en n'ayant lu que la Légende de Saint Julien l"Hospitalier que j'avais adoré, je me disais que j'y reviendrai bien un jour sans trop tarder. Eh ben je vais éventer un secret (mal gardé j'en conviens), @mh17 adore Flaubert et les russes, j'ai l'impression au passage qu'elle garde sa modestie pour les japonais dont elle est aujourd'hui sur babelio le première lectrice avec quantité de billets admirables et dûment bordés que seule mon ignorance ne me permet pas d'en dire davantage. Il me semble qu'elle m'a repris en me confiant que Flaubert et les russes, sa préférence valait pour les classiques.

Une coîncidence a voulu que dans la foulée je tombe en librairie sur l'édition isolée d'un Coeur simple chez Folio classique, (*) emprunté aux Trois contes dudit grand classique français. Eh hop c'est dans le sac .. C'est mon clin d'oeil du jour pour Marie-Hélène qui vaut bien une messe ! en japonais peut-être !..

(*) Ben oui, pour 2 euros, on ne peut pas avoir les 3 d'un coup !
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Hérodias/Gustave Flaubert
Repris par son rêve d'Orient, comme dans salammbô, Flaubert découvre sur une sculpture du tympan de la cathédrale de Rouen, Salomé, princesse juive, fille d'Hérodiade, dansant de façon lascive devant Hérode Antipas probablement son vrai père, tandis que non loin de là le bourreau est sur le point de décapiter le Baptiste dont la tête a été demandée par Salomé pour faire plaisir à sa mère. Cette scène l'inspire profondément et après des recherches historiques et bibliographiques intenses, il écrit ce récit qui sera publié en 1877.
Férocité et luxure sont au menu de ce conte dont l'action se déroule sur les rives de la Mer Morte, et auquel participent Juifs, Romains et Arabes. En quelques pages, Flaubert nous restitue une ambiance et une histoire en un condensé au style flamboyant notamment dans la scène du festin offert par Antipas au cours duquel est évoqué pour la première fois le nom de Jésus.
« Les panneaux de la tribune d'or se déployèrent tout à coup ; et la splendeur des cierges, entre les esclaves et les festons d'anémone, Hérodias apparut, coiffée d'une mitre assyrienne qu'une mentonnière attachait à son front ; ses cheveux en spirales s'épandaient sur un péplos d'écarlate, fendu dans la longueur des manches. Deux monstres en pierre, pareils à ceux du trésor des Atrides, se dressant contre la porte, elle ressemblait à Cybèle accotée des ses lions ; et du haut de la balustrade qui dominait Antipas, avec une patère à la main, elle cria :Longue vie à César ! »
L'arrivée de Salomé dans la salle du festin est aussi un moment d'anthologie :
« Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait les arcs de ses yeux, les calcédoines de ses oreilles, la blancheur de sa peau. Un carré de soie gorge-de-pigeon, en couvrant ses épaules, tenait aux reins par une ceinture d'orfèvrerie. Ses caleçons noirs étaient semés de mandragores, et d'une manière indolente elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri…Puis elle se mit à danser…Ses attitudes exprimaient des soupirs, et toute sa personne une telle langueur qu'on ne savait pas si elle pleurait un dieu, ou se mourait dans sa caresse. Les paupières entrecloses, elle se tortillait la taille, balançait son ventre avec des ondulations de houle, faisait trembler ses deux seins, et son visage demeurait immobile…Puis ce fut l'emportement de l'amour qui veut être assouvi… »
C'est là que charmé, Antipas lui dit qu'il est prêt à lui offrir tout ce qu'elle veut. Elle répond en souriant et d'une petite voie enjôleuse : « la tête de Iokanaan ! »
Un chef d'oeuvre de concision et de style.
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C'est presque à la fin de sa vie, et déjà très fatigué, que Flaubert "tente" l'écriture de trois contes, ne sachant pas s'il est encore capable d'écrire convenablement. Lui, le génial Flaubert, qui doute de son art. En quelques mois il réalise ce petit chef-d'oeuvre, qui devient un des plus grands classiques parmi les contes.

Un coeur simple est l'histoire de Félicité, qui reste fidèle toute sa vie à sa maîtresse, Madame Aubain, après une brève histoire d'amour décevante. Elle donne tout son bon coeur aux enfants de sa maîtresse, Paul et Virginie et s'inquiète en même temps de son propre neveu, qui trouvera la mort, comme Virginie. Ces deux pertes cruelles rapprochent les deux vieilles femmes. Avec le temps, Félicité devient sourde, et tout se passe alors dans une atmophère ouatée et silencieuse, tandis qu'un magnifique perroquet vert est donné à la servante. Elle l'aime tant qu'elle le fait empailler quand il meurt et le garde près d'elle jusqu'à ce que l'heure de la mort sonne pour elle également, tout en l'assimilant à Jésus Christ au moment suprême.L'écriture flaubertienne, simple en apparence, est d'une justesse émouvante, et le récit se lit dans une grande émotion. Tout est douceur, exemplarité, et les dernières lignes du conte, dans leur apparente naïveté, élèvent l'âme.

Le second conte, la Légende de St Julien l'hospitalier, est tiré d'un récit hagiographique, et nous plonge au temps du Moyen-Age. Je ne raconterai pas l'histoire, elle est trop mystérieuse et magnifique (Un cerf apprend à Julien qu'il assassinera un jour son père et sa mère, et celui-ci décide de fuir pour échapper à cette prédiction) - mais je dirai simplement que sa construction est absolument géniale, le style d'une pureté rarement égalée, les images bouleversantes, et l'intrigue - car il y en a une - ou le suspens, nous tient en haleine jusqu'au bout. Un petit bijou, où le merveilleux et le mystique s'interpénètrent. Un de mes contes favoris.

Quant à Hérodias (la nièce et l'amante d'Hérode), c'est l'histoire de Saint Jean Baptiste, qui dénonce l'inceste et qui annonce la venue du Messie, et qui se verra la tête coupée, selon le récit biblique, en récompense de la danse de Salomé, devant le Tétrarque. Un récit babylonien, pour ainsi dire, comparable à Salambbô, pour ses descriptions incomparables, foisonnantes, qui sont la marque même du génie de Flaubert.

Trois petits contes que l'on relit souvent, et dont certaines phrases se gravent à jamais dans notre mémoire, par leur beauté tantôt simple, tantôt grandiose.
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Ces trois contes m'ont tellement plu que je ne cesse de les relire. A chaque fois j'y puise quelque chose de nouveau et bienfaisant. le style en est direct et d'apparence simple, pourtant il est terriblement efficace. Bien que les sujets tournent autour de la religion, de la sainteté ou du pardon, aucune grandiloquence, juste une simplicité qui va droit au but.

Un livre trop court pour figurer dans ma liste de seulement 6 titres pour une île déserte, dommage.



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Fille de pauvres paysans normands, Félicité après quelques engagements malheureux comme fille de ferme a trouvé un certain équilibre et une certaine sécurité chez Madame Aubain où elle sert de domestique depuis si longtemps qu'elle semble faire partie des meubles. Elle s'attache à la fille de sa patronne, mais après son décès, reporte toute son affection sur un joli perroquet… Fils d'un grand seigneur, Julien est promis à un bel avenir. Mais, à force de chasser et de tuer des animaux, il prend tellement le goût du sang qu'il prend un malin plaisir à pratiquer de véritables carnages avant d'en arriver à tuer père et mère sur un coup de folie. Pour expier son forfait, il part sur les chemins, pieds nus, tout juste revêtu d'une robe de bure. Il finit par s'installer sur la rive d'un fleuve et par se dévouer comme passeur bénévole… En Galilée, le tétrarque Hérode Antipas craignant pour son pouvoir, a fait arrêter et jeter dans un cul de basse fosse Ioakannan, prophète connu sous le nom de Jean le Baptiste. Ce petit potentat local est sous la coupe de son épouse Hérodias qui déteste le prédicateur. Et voilà que se présente le Consul Vitellius qu'il a convié à un grand banquet dont il espère beaucoup…
« Trois contes » est un recueil de textes relativement courts et bien rythmés qui pourraient représenter la quintessence de l'oeuvre et des thèmes de Flaubert. On y retrouve son goût de l'histoire ancienne, des légendes, de la mythologie et de la vie des petites gens. Son style inimitable, peut-être un brin trop descriptif et trop attaché au détail et à la précision, mais si plein de charme et d'efficacité narrative. Tout comme Balzac, Maupassant ou Zola, Flaubert transcende les époques, il est intemporel et même au-delà du temps et des modes. le lecteur pourra toujours trouver un immense plaisir en lisant des nouvelles si bien écrites et en particulier la première « Un coeur simple » pour la personnalité attachante de Félicité, la très dévouée servante…
Lien : http://www.bernardviallet.fr
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Encore un souvenir scolaire concernant ce livre : une lecture, en fin de cours, de "La légende de Saint Julien l'Hospitalier". Je me souviens, qu'à l'époque (au siècle dernier, dirons-nous), ce récit m'avait marqué par le mélange de mystère et de merveilleux dans lequel il baignait. J'ignorais alors qu'il faisait partie d'un triptyque intitulé "Trois contes" publié par Flaubert en 1877, qui constitue en fait sa dernière oeuvre romanesque publiée de son vivant, puisqu'il est mort en 1880.
Le recueil réunit trois contes ou nouvelles assez différentes d'inspiration : une nouvelle contemporaine "Un coeur simple", une légende médiévale "La légende de Saint Julien l'Hospitalier", et enfin une évocation biblique "Hérodias".
"Un coeur simple", relate la vie de dévouement de Félicité, une fille de province placée chez madame Aubain, une bourgeoise, mère de deux enfants, Paul et Virginie. Elle passe toute sa vie dans cette maison et dans cette famille qui devient la sienne. Elle participe aux joies et aux douleurs (la mort de Virginie, puis celle de son neveu Victor, et enfin celle de Madame Aubain) et reporte toute son affection sur Loulou, un perroquet que lui a laissé Madame Aubain, mais Loulou meurt aussi, et sur les conseils de sa maîtresse, Félicité le fait empailler. Quand elle meurt à la fin de la nouvelle, elle s'imagine que c'est Loulou qui l'emporte au ciel...
"La légende de Saint Julien l'Hospitalier" renoue avec les contes du Moyen-Age où un christianisme naïf se mêle au merveilleux : Julien, fils d'un petit seigneur local, grand chasseur devant l'Eternel, reçoit un jour la prédiction par un cerf qu'il avait massacré avec sa biche et son faon, qu'il allait tuer son père et sa mère. Pour échapper à cette funeste prophétie, il part au loin, se marie, et ne pense plus au terrible présage. Un soir alors qu'il est à la chasse, deux vieillards se présentent au château et se présentent comme les parents de Julien. L'épouse de ce dernier, ravie, les invite, les fait manger et leur propose sa propre chambre pour se reposer. Julien rentre de la chasse, bredouille et plein de rage. Voyant des formes dans le lit de sa femme il les poignarde tous les deux. Prenant conscience de son erreur, il quitte le château et part mendier sur les routes. Devenu passeur au bord d'un fleuve, il transporte un jour un lépreux en guenilles à qui il donne tout ce qu'il a, jusqu'à la chaleur de son corps. C'est alors que le lépreux se transforme en une merveilleuse clarté (Jésus-Christ) et l'entraîne au ciel avec lui
"Hérodias" reprend l'épisode biblique de la mort de Jean-Baptiste (appelé ici Iaokannan). Hérode Antipas a épousé sa nièce et belle-soeur Hérodias, ce qui amène Iaokannan à l'accuser d'inceste. Par l'intermédiaire de sa fille Salomé qui exécute une danse que nous qualifierons de lascive (en étant gentil), elle finit par obtenir la tête du prophète, qu'elle se fait servir sur un plateau.
Ces "Trois contes" représentent peut-être l'apogée de Flaubert en ce qui concerne la qualité de l'écriture : travaillée à l'extrême, d'une grande précision, elle colle à merveille au propos, tour à tour familière, poétique, dramatique, à la limite du fantastique, sensuelle, d'une grande puissance d'évocation.
Dernière oeuvre romanesque de l'auteur les "Trois contes" font un peu aussi figure de testament, dans la mesure où tous trois rappellent d'autres grandes réalisations : "Un coeur simple", par sa peinture de moeurs provinciales rappelle "Madame Bovary", La "Légende de Saint Julien l'Hospitalier" nous remet en mémoire la "Tentation de Saint Antoine", par son alliance insolite entre merveilleux et imaginaire chrétien, enfin "Hérodias" renoue avec les fulgurances antiques de "salammbô".
Pour moi un des meilleurs "Flaubert", égal à "Madame Bovary", et supérieur à 'L'éducation sentimentale" ou à "salammbô"...
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Je reconnais que je ne suis pas parvenu à goûter pleinement Hérodias : la nouvelle réclame peut-être une culture que je ne possède pas. J'avais beau connaître l'histoire de Jean-Baptiste, je sentais que Flaubert y développait des considérations qui ne résonnaient pas.
Mais, Un coeur simple et La légende de St Julien l'hospitalier m'ont époustouflé : de beauté mais plus encore de densité. Flaubert, en quelques pages, parvient comme dans ses grands romans à saisir l'essence des lieux et des âmes qui les habitent. Ils ne se privent même pas de nous laisser traîner sur quelques lignes de descriptions qui sont de véritables dentelles d'ornement.

Lisant ces Trois contes, j'ai rapidement eu envie d'essayer de comprendre quel était leur principe d'unité. J'ai pensé d'abord à une tentative de réponse à la grande question philosophique de « ce qui qui nous rend humain » par une réflexion sur notre rapport au monde animal (apprivoisé par Félicité, chassé par Julien). Mais Hérodias (décidément) m'a fait comprendre que je faisais fausse route. Arpentant les pages de cette dernière, avec difficulté donc, peut-être trop concentré sur ma quête pour entendre pleinement Flaubert, j'ai alors cru percevoir que la figure trinitaire, quoique transformée, de Dieu surplombait ces trois contes : le père, à travers les deux parents, dans La légende de Saint Julien l'hospitalier ; le fils, mais en l'espèce une fille, dans Hérodias ; et le Saint Esprit, ici incarné en perroquet plutôt qu'en colombe, dans Un coeur simple.
J'ai voulu en avoir le coeur net, et j'ai cherché à m'éclairer sur le choix de la réunion de ces Trois contes en un seul volume. Et j'ai découvert que cette hypothèse existait déjà, mais qu'elle était peut-être la moins pertinente, à tout le moins la plus critiquée… pauvre de moi, médiocre analyste, mais heureux lecteur.

Je vous salue Flaubert, plein de grâce. Et implore votre miséricorde pour être un si piètre admirateur.
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J'ai laissé passer plus d'un mois entre la lecture de cette oeuvre et la rédaction de cette note. Je craignais d'être trop imprégnée, influencée par les savantes et magistrales explications de texte que l'on m'a servie et que j'ai dû assimiler et considérer comme exhaustives et supérieures. J'ai préféré m'en détacher avant, m'en extraire pour me permettre de repenser l'oeuvre, de la redécouvrir à nouveau mentalement, et sous mon regard personnel.

Flaubert a assurément rehaussé l'écriture, l'a élevée au rang des tâches hautement compliquées à accomplir, laborieuses et patientes. Il faut sans doute une lecture attentive et concentrée pour s'en rendre tout à fait compte. Il écrit au millimètre, choisit ses mots avec une minutie incroyable, compose une musique du verbe, pointilleuse et à la partition extrêmement complexe. le rendu final, pourtant, fait l'effet d'une fluidité toute naturelle, gommant instantanément toutes les ratures des multiples brouillons. C'est un virtuose, comme seuls le sont ceux qui parviennent à faire oublier au lecteur les nombreux agacements, éreintements et insomnies que leur a causé la composition. Il ne reste que le beau, le fluide, le mélodieux et le grandiose. le labeur pénible est l'envers du décor, enfoui et dissimulé, épongé comme les suées de l'écrivain une fois qu'il est enfin satisfait de son texte. Il m'a fallu du temps pour deviner ce combat, pour déceler le champ de bataille sur lequel Flaubert s'est épuisé à la rédaction de chacune de ses oeuvres. C'est que, pour le deviner rien qu'un peu, il faut un oeil suffisamment entraîné, et il faut s'être rien qu'un peu battu soi-même avec les mots. C'est d'ailleurs affreusement triste, quand on y songe, comme des années de travail sont insoupçonnées, niées, négligées par un consommateur qui lira l'oeuvre en quelques jours sans seulement imaginer les souffrances dont elle a pu être la cause. Parfois, un seul paragraphe, une seule phrase, une seule tournure lue avec négligence aura été source d'angoisse et de difficulté durant des jours. Ou des nuits. Voilà en quoi je distingue un véritable artiste. Une oeuvre n'en n'est une que si elle est le fruit d'un travail pénible. Autrement, c'est un divertissement. Jamais une oeuvre ne peut être enfantée sans douleur.

On peut tout de même reprocher à Flaubert cette écriture un peu trop affectée, certes assez sobre mais parfois tant étudiée qu'elle en devient un peu artificielle, voire surfaite. Mais je chipote, et c'est indétectable pour la plupart des lecteurs. C'est que j'ai tellement eu à coeur de m'arrêter sur ce qui recherche énergiquement la perfection que j'en ai vu le revers de la médaille : une épuration, une élégance et une harmonie telles que toute spontanéité en est bannie, qu'aucun élan d'écriture n'est autorisé. C'est le fruit d'une haute maîtrise, d'une maniaquerie de contrôle presque, de sorte qu'on le lit comme l'on entre dans une maison bien trop propre, aseptisée. On est ébloui, admiratif, c'est indéniable. Cependant, on ne peut que se sentir un peu mal à l'aise, saisis par le manque de vie que dégage cet intérieur impersonnel. J'ai beaucoup lu Flaubert, et longtemps j'ai cherché en moi-même ce qui n'allait pas chez moi, ou chez lui mais pour moi. Je n'ai jamais rien eu à lui reprocher et cependant ses oeuvres m'ont toujours laissée dans un état autre que celui de l'admiration pure. J'ai enfin trouvé. Tout est si méticuleusement ordonné et apprêté qu'on ne distingue plus rien, qu'aucune formule vaut plus qu'une autre, et qu'il y manque un peu de vie. C'est paradoxal et injuste évidemment de lui reprocher un trop grand professionnalisme, mais je ne serais pas honnête si je ne le mentionnais pas.

Un Coeur Simple, le premier des trois contes, est admirable de fond et de forme. C'est une nouvelle plus qu'un conte, d'ailleurs, mais il me semble avoir lu que Flaubert se refusait à faire la distinction. À tort, à mon avis. Cela ressemble à un concentré de Madame Bovary. La description d'une vie sans intérêt aucun et pourtant avec une exactitude et une justesse indiscutables. Cette nouvelle, écrite peu avant sa mort, est à mi-chemin, je dirais, entre l'auteur lui-même et ce qui vient après lui, en l'occurrence Maupassant. Je ne le cite pas au hasard. « Une vie » en reprend les principes, en un peu plus long seulement. Et je me demande lequel des deux a insufflé cette continuité - cette amélioration - du réalisme professionnel et méthodique. S'il est logique de penser que Maupassant a non copié mais amélioré largement la façon, j'ai envie de croire que cette dernière oeuvre achevée de Flaubert n'a rien d'un hasard. Elle ressemble à un testament, regroupant en un seul ouvrage ses trois procédés de prédilection, en concentré, comme pour l'exemple. Elle offre une sorte de modèle d'exemplarité à qui aurait voulu s'en imprégner.

Un Coeur Simple est, à premier vue, le récit d'une sorte de gaspillage idiot, d'une abnégation stupide et non récompensée. C'est le dévouement d'une servante un peu trop sotte pour agir, se laissant simplement mener et éprouver par la vie lourde et cruelle, qui ne fait que l'affliger. Vivant pour sa maîtresse et les enfants de celle-ci, elle en a oublié sa propre existence, et l'a comme remisée, placée au second plan pour ne pas dire tout à fait oubliée. C'est le récit de la faiblesse naturelle, celle qui ne se débat nullement et qui accepte sa condition sans même y réfléchir. C'est la philosophie de l'esclave, qui ne goûte de délices que dans les miettes laissées par les maîtres. Félicité n'est pas attachante, ça non. Elle est stupide. Elle vit comme un petit animal de compagnie, faisant la fête à son maître en espérant que celui-ci lui filera un os, ne le respectant non pas par admiration, mais parce qu'il est né animal de compagnie et ne saurait comment s'émanciper de cette soumission. C'est d'ailleurs plus naturel que consenti : en animal, elle ne se figure même pas qu'une autre vie est possible. Elle se sent entièrement la propriété de ses maîtres, et se laisserait crever de faim si elle était chassée de la maison, n'ayant jamais goûté la moindre autonomie et n'aspirant à aucune forme de liberté. J'ignore même si elle peut inspirer de la pitié. C'est qu'elle est de la race de ceux qui ne savent vivre que de cette façon, et l'on ne peut pas lui souhaiter autre chose, sentant comme elle y échouerait. D'ailleurs, est-elle vraiment malheureuse ? Les événements tragiques l'émeuvent un temps, et puis son attention et son amour se reportent sur autre chose. Elle oublie les épreuves, qui glissent un peu sur elle et ne la brisent jamais tout à fait. N'ayant plus personne de vivant à aimer, à la fin, elle reporte toute son affection sur un perroquet empaillé.

La Légende de Saint Julien l'Hospitalier est probablement le seul conte - au sens où on l'entend - de l'oeuvre. Et aussi le moins bon. N'importe, ça tient du fait que les deux autres sont éclatants de perfection. C'est un conte médiéval pour lequel Flaubert s'est inspiré d'un vitrail de la cathédrale de Rouen. Et l'idée seule me plaît. Sans doute que chaque tableau, chaque sculpture , chaque vitrail a sa propre musique et sa propre histoire écrite. Il ne reste à l'artiste qu'a la composer. Et c'est à mon avis faire preuve du plus grand respect que d'admirer l'art en créant de l'art. On sort ainsi du rôle de simple contemplateur, de consommateur ahuri et si minuscule devant l'immensité de ce que l'on découvre. Il y a deux manières nobles de rendre hommage à l'art : le rémunérer à sa juste valeur ou en faire une matière neuve à la création. le reste, c'est à dire le compliment ou le culte béat, est à laisser aux piètres amateurs.

La légende commence à la façon d'un conte de fée : un bel enfant en santé, des parents aimants et bons, et un splendide château pour décor. Cet univers sera chamboulé lorsque le jeune Julien prendra goût à la cruauté de tuer une souris, et paradoxalement dans une église tandis qu'il priait. Cette mise à mort sera la première d'une longue série, et le jeune garçon devient, en grandissant, une sorte de monstre sanguinaire, transformant ses parties de chasse en orgies de sang et de cadavres. Cette obsession pour la violence, cette sauvagerie (il abandonne peu à peu ses instruments de chasse pour tuer à mains nues ou tout comme, et presque nu), cette brutalité bestiale, cette soif de la mise à mort, à laquelle il a goûté une fois et dont il ne peut plus se passer, est délicieuse. Flaubert décrit fort habilement la jouissance addictive qu'offre la puissance, la férocité, le droit de vie et de mort sur l'autre, même si l'autre n'est qu'un animal. L'euphorie que procure la violence sans retenue, sans honte, le délire meurtrier, l'exacerbation de ses instincts naturels, est presque sexuelle. Julien chasse quasi nu et sans inhibition, comme un mâle instinctif féconde. C'est un conte, avec son lot de mysticisme et de fatalisme à la manière des tragédies. Ainsi, Julien fuira ses parents afin de ne point les tuer. Finalement, il les tuera quand même, bien malgré lui. Viendra alors le temps de la rédemption, qui lui vaudra l'appellation De Saint. La fin est superbe aussi. Nu comme lorsqu'il tuait des cerfs par centaines dans la forêt, il étreint un lépreux dans son lit de manière presque sensuelle. Et c'est cette étreinte qui lui fera apparaître l'esprit saint comme une récompense. Comment ne pas songer alors, et c'est certes impertinent, à un orgasme foudroyant ?

Hérodias, dès les premières lignes, rappelle scrupuleusement salammbô. C'est le plus complexe des trois contes et j'ai dû le lire deux fois. Entre deux, j'ai lu les passages des évangiles concernant Saint Jean Baptiste. Et je pense que l'on ne peut en saisir toutes les subtilités sans en avoir pris connaissance. Hérodias est merveilleusement bien écrit. C'est un récit exotique et sensuel, qui raconte l'orient aussi bien à travers les festins que la cruauté. C'est un concentré de salammbô. Une femme, encore, est au centre de ce récit, entourée d'hommes avides de pouvoir ou apeurés par la vengeance divine. Cette fois, la femme triomphera de l'homme, et même des Dieux. Et par ses seuls charmes. Une danse envoûtante, magnifiquement érotique et évocatrice lui suffira à obtenir la tête d'un homme. C'est en taquinant ses sens qu'elle obtiendra du tétrarque ce qu'elle désire et qu'il refuse de lui donner. le tétrarque, puissant et impassible, dominateur comme le veut son rang, ne sera que faiblesse face au corps de la femme qui s'agite devant lui. Excité, envoûté, n'étant plus qu'un corps d'homme incapable de réfléchir, il promettra à la danseuse de lui offrir tout ce qu'elle voudra, et ne pourra se dérober, même lorsqu'elle exigera que la tête d'un prophète lui soit apportée sur un plateau. Stupide homme, qui depuis la nuit des temps te crois puissant, alors qu'une femme décide pour toi et te mène à sa guise, en enfant que tu es.

Face à ses trois récits, je m'incline bien bas évidemment, et puis je relève aussitôt la tête. Devant un maître, certains restent plantés là, bouches ouvertes, béats d'admiration, mais seules les mouches alors peuvent être par eux gobées. D'autres au contraire se redressent, attrapent un stylo et prennent des notes. Je veux être de ceux qui prennent des notes.
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Merveilleux Gustave Flaubert qui concentre en trois contes sa puissance d'évocation tant dans la peinture intimiste que dans la légende ou l'histoire biblique. Évidemment avec son style qui le range sur le podium des plus grands écrivains français. Faites-vous plaisir, ne le lisez pas normalement, lisez-le à voix haute, déclamez-le, et tout son art se révèlera encore mieux… C'est ce qu'il faisait lui-même !
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Dernière oeuvre publiée par Flaubert de son vivant. Parus d'abord individuellement en feuilleton puis assemblés et édités chez Charpentier (comme tous les bons auteurs de l'époque), en 1877, ces contes sont trop méconnus du grand public.
Habitué des romans longs, descriptifs et documentés, Flaubert nous surprend ici par la brièveté et la fulgurance de ces petits écrits. Il est frappant, pour le lecteur, d'y retrouver les thèmes des grands romans de l'auteur : "un coeur simple" rappelle "Mme Bovary", " la légende de St Julien l'Hospitalier", " la tentation de St Antoine" et " Hérodias" fait écho à "salammbô".
Sans doute est-ce normal car Flaubert "traine" ces récits depuis plus de 30 ans sur son bureau et les écrit concomitamment à ses romans, éprouvant la difficulté des contraintes propres aux nouvelles, contes et autres formes brèves.
Ils apparaissent logiquement comme un condensé, votre un testament littéraire.
Dans leur style resserré, ces contes ont une puissance évocatoire incontestable. L'écriture y est nette, chirurgicale et dénote d'avec son style coulant habituel.
St Julien, d'inspiration religieuse (la légende dorée) et mythologique (Oedipe) est d'obédience fantastique et pourrait concurrencer Maupassant ou Gautier. On retrouvera ce mysticisme et l'expression du fatum tragique chez St Antoine.
Un coeur simple reprend l'exercice cher à l'auteur du portrait psychologique de femme dans son environnement de vie, préfigurant les points d'ancrage du naturalisme zolien, déjà en germe dans Bovary, à savoir le déterminisme, l'hérédité et la psychologie.
Enfin Hérodias, religieux également et pétri d'exotisme, rappelle l'atmosphère saturée d'orientalisme des tableaux de Moreau et des écrits De Nerval. le fantastique erotico-morbide qui émane de ce conte est très impressif et se déploiera magistralement dans salammbô.
Ce mélange de récits courts donne, à qui nourrit encore des rancoeurs scolaires à l'encontre de Flaubert, un nouveau souffle, débarrassé de l'ennui, de la bêtise et du pessimisme qui sont sa marque de fabrique romanesque.
Flaubert offre ici au lecteur, dynamisme, espoir et humanité, et celle fait du bien! A (re)lire!
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