La séquence prégénérique nous invite à suivre les investigations de
John Taylor, missionné par Walker, dans une centrale électrique frappée par une série de sabotages et de meurtres. Rapidement, le lien est fait avec l'assassinat d'une vieille amie de notre (anti)héros. Evidemment Simon R. Green oblige, tout va mal se finir par ce que ne devait surtout pas arriver : une grosse exploz… Allez hop, générique d'ouverture !
https://www.youtube.com/watch?v=iVQ3qae_2YE
Nous retrouvons ensuite notre détective du Nightside qui rase les murs en évitant soigneusement Walker, le John Steed loyal mauvais faisant office de shérif local, et qui broie du noir au Horla tandis que Cathy Barrett, sa secrétaire adolescente déjantée, et Destinée, le super-héros travesti du Nightside monopolisent le dancefloor… Il est alors engagé par Charles Chabron pour enquêter sur la série de suicides qui accompagne la nouvelle carrière de sa fille. En effet la chanteuse Rossignol (en français dans le texte, alter ego urban fantasy d'
Edith Piaf matinée de pépé en détresse de film/roman noir), a radicalement changé de registre depuis le rachat de son contrat par les époux Cavendish, véritables archétypes de patrons voyous. Effectivement, elle ne chante plus que chansons archi tristes, genre Depech Mode en mode déprime… Il y a donc quelque chose de pourri au royaume merveilleux du show business, et notre détective va se faire une joie de cuisiner stars, choristes, musiciens, gardes du corps, managers, roadies, groupies, journalistes et cie. La dissection de ce petit monde est fort réjouissante. On a même droit par un détour haut en couleurs de la salle de rédaction du Night Times... ^^
Après les événements traumatisants qu'ils on vécu dans les tomes 1 et 2, Eddie le Rasoir et Suzie la Mitraille prennent du repos bien mérité. Ils sont remplacé par Dead Boy, le justicier zombi adolescent qui sort du même moule qu'Eddie le Rasoir (sauf qu'il joue plus des poings et des sortilèges que du couteau) et Julien le Magnifique, super-héros victorien naguère victime d'un bannissement temporel de la part de ses ennemis jurés...
Mais pour les lecteurs expérimentés, il existe un autre niveau de lecture pour le coup assez couillu mine de rien :
Simon R. Green ne cache absolument pas tout le mal qu'il pense de la pensée unique aristocratique et capitaliste qui régit son pays, et ici les grandes figures romanesques anglaises sont à la fois les adversaires et les victimes du libéralisme et du néolibéralisme.
Tout commence par l'assassinat de Melinda Crépuscule et Hélios Winchester, les Roméo et Juliette du Nightside, par un chef d'entreprise qui semble tout droit sortir de la Vie est belle de Frank Capra. Ce dernier ne jure que par son compte en banque et le statut social qu'il apporte, quitte à tuer son meilleur ami le jour de ses noces, les maudire pour l'éternité, violer sa sépulture et utiliser son cadavre à des fins expérimentales d'abord, mercantiles ensuite. Des remords ? Oui, ne pas l'avoir fait plus tôt histoire de gagner encore plus de pognon…
Ensuite on nous raconte l'histoire de Julien le Magnifique, héros justicier de l'époque victorienne, 66% Sherlock Holmes, 33% Docteur Jekyll, victime du couple de super-vilains formé par Mr et Mme Masque qui l'ont banni dans le Nightside du futur.
Fort de leur victoire sur leur ennemi juré, ceux-ci glissent tout naturellement du monde du crime au monde des affaires bien plus lucratif et bien moins risqué, avec la bénédiction du grand capital. Il s'agit de James Moriarty et Irène Adler qui ont passé un pacte faustien à la Dorian Gray avec l'argent roi : ce n'est pas leur portrait qui est le dépositaire de leur vie et leur jeunesse mais leur entreprise. Tant que l'argent coule à flot dans leur boîte qui croit et prospère, ils disposent de la vie et la jeunesse éternelle. Et évidemment tous les coups sont permis pour faire du business…
Est-ce un hasard s'ils prennent pour pseudo le nom de l'une des plus grandes familles aristocratiques anglaises. Pas du tout ! On sent la grosse critique de toutes les valeurs mercantiles des élites britanniques, d'ailleurs les super-vilains se présentent eux-mêmes comme les symboles vivants du capitalisme né à l'ère victorienne… Et tandis que Julien le Magnifique prend la tête du 4e pouvoir pour mieux partir en croisade pour la justice et la vérité, bref Justice Forever, ces incarnations du capitalisme d'affaires et de connivences continuent de ruiner en toute quiétude partenaires, employés, fournisseurs, petites gens diverses et variés, bref Pognon Forever.
Résumons : les alter egos des héros de l'Angleterre éternelle luttent contre un modèle économique et sociale délétère, et on explique que le malheur est arrivé parce que les élites ont préférés accueillir en leur sein des homines crevarices plutôt que des gens de bien, qui du coup s'échinent en vain. Nous sommes donc en présence d'un brûlot contre les crevures qui vivent uniquement par et pour l'argent. Et quelle est la pire punition pour ces connards là ? la pauvreté… Ce n'est pas moi qui le dit mais Simon / John / Julien / Sherlock / Jekyll ! C'est donc un réquisitoire contre les thèses libérales d'Adam Smith : les libertés individuelles seraient consubstantielles aux libertés économiques qui se résument à la libre entreprise, au libre commerce et à la libre concurrence (aussi appelée la libre filouterie, ou « le renard libre dans le poulailler libre »), mais quand on parle des libertés, les vraies, que répondent leurs thuriféraires : « nous parlons argent, on en n'a rien à foutre des gens ! »
Quand on lit entre les lignes, on sent donc le gars vénère qui en a gros sur la patate…
Les liens entre Melinda Crépuscule, Hélios Winchester, et la Cie Prométhée, les liens entre les époux Masques et les époux Cavendish,
John Taylor qui pour mettre la main sur Sylvia Succube retrouve Dead Boy juste avant l'assaut de la nécropole… Evidemment les ficelles sont un assez grosses pour amener acteurs et lecteurs là où l'auteur veut sévir, c'est-à-dire sa désormais traditionnelle galerie des horreurs : l'attaque du tulpa, la poursuite de voitures carnivores, le nettoyage de la morgue envahie par des créatures lovecraftiennes, la confrontation avec la soeur cachée cannibale de la Jacqueline Ess des Livres de sang de
Clive Barker, le retour des Equarisseurs, l'affrontement final avec le Comte Entropie, maître des probabilités, de la chance et de la malchance… (Un personnage finalement tragique qui m'aura presque fait verser une larme, et que j'aurai aimé revoir par la suite.)
On retrouve également des répétitions qui vont piquer les yeux des lecteurs avec un peu de bouteille : c'est tellement gros que ni l'auteur ni ses correcteurs n'ont pu passer à côté, ainsi l'épisode 3 démarre par une des meilleures vannes du tome 2… Deuxième degré inside, comique de répétition, volonté de bien monter qu'on est dans un serial, easter eggs pour commissaires littéraires ? Je n'en sais fichtrement rien ! Et après tout on s'en fout, l'auteur n'a aucune intention d'égaler
Mary Shelley, Bram Stocker, H.-G. Wells, ou
Sir Arthur Conan Doyle. On est dans le « Supernatural Badness » : c'est cool, c'est fun et cela se lit à 100 à l'heure tant le livre de 250 pages est une succession de scènes d'action qui s'enchaînent à un rythme presque effréné avec ces rafales de vannes qui fusent à presque toutes les pages. On glisse avec une facilité déconcertante des scènes humoristiques aux scènes horrifiques, voire tragiques, car tous les trucs et astuces du roman feuilleton dixneuvièmiste sont transposés dans un univers d'urban fantasy qui emprunte autant à l'humour de
Terry Pratchett qu'à l'horreur de
Clive Barker, deux piliers de la littérature anglaise.
Simon R. Green est quand même un écrivain SFFF incroyable avec son imagination débordante !
Et l'ombre de Celle-qui-ne-faut-pas-nommer plane toujours sur
John Taylor, donc vivement la suite ! Mais en VO, car comme toute bonne série qui se respecte, celle-ci a été arrêtée par son éditeur français. Bienvenu en France, le pays développé où le marché du livre est le moins développé pour les raisons que l'on sait…
PS :
Séquence prégénérique, poursuite en voitures gadgétisées, grand discours des méchants concernant leurs plans devant le héros censément réduit à l'impuissance…Tout cela nous rappelle au bon souvenir de la saga James Bond.
Cela tombe bien puisque l'auteur s'est investi dans un détournement de 007 avec son cycle "Histoire secrète" !