La question des raisons de la chute de l'empire romain a été maintes fois posée, l'ouvrage le plus célèbre étant sans doute celui de Gibbons au XVIIIe siècle. Mais l'histoire a de nouveaux outils à sa disposition, de nouveaux moyens d'analyse, et aussi de nouveaux paradigmes, qui découlent en partie de notre vision du monde.
Kyle Harper appuie donc son interprétation sur des données climatiques et épidémiologiques, et les croise avec des données démographiques, économiques sans oublier le politique et le factuel. Mais les décisions des grands hommes, le sort d'une bataille, ne sont pas forcément les facteurs les plus importants dans son interprétation.
Une des hypothèses de
Kyle Harper est que « l'essor de l'Empire romain a été le catalyseur – mais aussi la conséquence – d'une efflorescence économique », celle-ci ayant été permise notamment par un « optimum climatique » (250/150). Un climat favorable, plus chaud et humide, qui a permis une production céréalière entre autres, à même de nourrir une population plus nombreuse. Mais ces conditions favorables n'ont duré qu'un temps, et « un petit âge de glace » s'est installé entre 450 et 750, période où
Kyle Harper situe la fin de l'empire romain, accordant une grande importance au règne de Justinien.
Mais à la question du climat s'est superposé la question des épidémies. Trois grandes épidémies ont dévasté l'empire : la peste antonine (autour de 165, il s'agissait sans doute de variole) la peste de Cyprien (entre 249-265, maladie moins définie, peut-être la grippe) et enfin la plus terrible entre toutes, la peste de Justinien (la peste véritable, dont la première vague est arrivée vers 541-543, mais qui a connu des recrudescences jusqu'en 749, balayant tout sur son passage). Ces diverses épidémies déciment les populations de manière terrible. Mais une forme de résilience apparaît, et l'empire saura se relever des deux premières, la troisième, qui semble avoir emporté la moitié de la population de l'empire, associée aux changements climatiques aura été fatale.
Mais le livre de
Kyle Harper ne s'intéresse pas qu'aux questions environnementales, qui expliqueraient tout. Sa vision de l'empire romain associe les institutions, les individus, les structures sociales, les phénomènes économiques, religieux, mais c'est relié à l'environnement, surtout le climat et les épidémies. Pour montrer à quel point tout cela est imbriqué, l'auteur insiste sur la circulation des maladies rendue possible par la circulation des hommes et des marchandises. La peste ou les autres maladies arrivent avec les navires marchands, les endroits isolés sont épargnés. L'empire romain a permis une sorte de mondialisation, d'enrichissement grâce à l'exploitation des ressources naturels optimisée au maximum avec les moyens de l'époque, et de circulation de biens produits. Mais cela a provoqué aussi l'émergence et la circulation des maladies. La construction d'énormes greniers à blé, qui permettaient de nourrir les populations, d'offrir une sorte de sécurité alimentaire, a eu comme corollaire l'explosion de la population des rats, qui ont prospéré dans ces vastes dépôts de nourriture. Et donc l'explosion de la peste. L'action des hommes, des choix sociétaux ont eu un impact sur l'environnement, qui à son tour a eu des conséquences sur les hommes.
Un angle d'approche intéressant et complémentaire à des études plus classiques, événementielles ou sociétales.