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EAN : 9791036000874
416 pages
L’Atalante (17/03/2022)
3.69/5   13 notes
Résumé :
« Il amena peu à peu son idée des portraits d’enfants de la Révolution, première génération d’une race qui ferait la fierté de la nation mais dont beaucoup vivaient dans l’abandon, réduits aux pires extrémités, ici même, à Paris, certainement des milliers d’une invisible armée, qu’on craignait parce qu’on ignorait tout ou presque de son mode de subsistance ; mais lui, Sade, se faisait fort de détecter ses us et coutumes pour le compte des lecteurs que cela passionne... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Après la trilogie du Grand Siècle chez Mnémos et Frankestein 1918 chez L'Atalante, Johan Heliot récidive avec Les Enfants de la Terreur, un one-shot uchronique particulièrement appétissant où l'on croise Le Marquis de Sade et Robespierre alors qu'un certain Corse commence à gravir les échelons du pouvoir. de nouveau publié chez L'Atalante, Johan Heliot poursuit donc à explorer l'Histoire avec un grand H tout en imaginant des chemins de traverses qui aiguisent la curiosité du lecteur.

Allons enfants de la Patrie !
Après un détour par la Première Guerre Mondiale, Johan Heliot s'attarde sur un autre moment sanglant de l'Histoire de France avec… la Terreur !
L'Hexagone n'a plus de roi et un certain Robespierre règne en maître absolu à la tête d'un Comité de Salut Public impitoyable. le calendrier et les unités de mesures sont renversés et remplacés si bien que ce n'est pas le 27 juillet 1794 que l'on tente d'arrêter Robespierre mais bien le 9 thermidor de l'an II.
Et si dans notre réalité le chef de file des Montagnards trouve une fin rapide et expéditive dès le lendemain, il en va tout autrement dans le roman imaginé par Johan Heliot. Grâce à un illustre (et sulfureux) écrivain de l'époque, un certain Louis Donatien Alphonse François de Sade ou, plus simplement, Le Marquis de Sade, des secours parviennent à Robespierre qui, une fois délivré des mains des insurgés, reprend la situation en main en durcissant encore un régime pourtant déjà particulièrement redoutable.
Dans Les Enfants de la Terreur, on suit deux personnages : d'un côté Le Marquis de Sade sous le sobriquet plus simple et humble de Louis, de l'autre Charles Geneviève d'Éon de Beaumont, espion travesti qui revient alors de Londres dans un Paris métamorphosé. C'est en effet par la peinture de la Capitale que l'auteur tire d'abord son épingle du jeu. Excellent dans cet exercice, Johan Heliot installe immédiatement l'atmosphère paranoïaque et paradoxalement encore pleine de possibles d'une France Révolutionnaire qui nage en plein cauchemar. La Famine règne dans les rues de Paris, les exécutions sommaires ont gagné les campagnes et l'arrière-pays et la Terreur musèle les opposant au pouvoir tyrannique de Robespierre.
C'est dans ce cadre aussi inquiétant que fascinant que Johan Heliot va petit à petit installer une intrigue policière où se rejoignent rapidement ses deux héros-enquêteurs. L'occasion pour le français de renforcer le background historique de son histoire en y ajoutant foule d'anecdotes sur le chevalier d'Éon et, encore davantage, sur Sade, le véritable héros de ce récit où les spectres du fascisme s'agitent en coulisses.

Le rôle de l'écrivain…et du journaliste !
Car avant de reparler du chevalier d'Éon, il faut dire un mot de ce magnifique portrait de Sade, l'un des écrivains les plus licencieux de son époque et qui avait connu davantage de prisons que de palaces. En l'utilisant ainsi, Johan Heliot montre une facette moins connu de l'homme de lettres, plus apaisée et humaine, et s'intéresse surtout à ses aspirations journalistiques qui servent à la fois de moteur premier à l'intrigue qui entoure les enfants miséreux de la Capitale mais aussi et surtout à montrer l'importance d'une liberté absolue du journaliste et, par extension, de l'auteur. Cela permet aussi de comprendre que la transgression morale la plus extrême sur papier n'est jamais qu'une inoffensive oeuvre de fiction et que c'est l'homme qui la lit qu'il lui donne un sens et une importance. En clair, l'auteur n'est pas son texte et le texte n'est pas l'auteur, même si les deux s'influencent l'un l'autre.
Le rôle du Marquis semble d'autant plus important qu'il officie dans divers journaux parisiens et que ceux-ci subissent graduellement la censure du pouvoir en place, privant le peuple d'une voix véritable, d'autant plus quand Sade nous parle des plus grandes victimes de ce régime épouvantable : les enfants et orphelins de la Révolution.
C'est grâce à lui et à ses enquêtes (qui invente au passage le journalisme d'investigation), puis à celui de Johan Heliot par ricochet, que les fantômes de ces gamins des rues retrouvent une voix et une existence, victimes oubliées de la misère et de la guerre.

De la Terreur à la Solution Finale
De l'autre côté du récit, on trouve Geneviève/Déon, personnage moins connu mais pourtant tout aussi intéressant et atypique (notamment pour l'époque). Espion travesti qui a vécu une grande partie de sa vie sous les habits d'un homme avant de devenir une femme, le personnage interpelle par les échos moderne qu'il offre sur la question de genre, traitée ici sous un angle plus sociale qu'autre chose et qui sert avant tout à montrer l'avantage que peut présenter une telle souplesse d'identité. C'est d'ailleurs Geneviève qui, la première, sera témoin de l'escalade dans l'horreur du régime de Robespierre. de façon malicieuse, Johan Heliot imagine que la Terreur s'impose comme un fascisme et un totalitarisme avant l'heure avec ses camps d'exécution où l'on empile les cadavres avant de les brûler, ses sections fanatisées en la personne des Fils de Mars ou encore dans l'invention des premiers outils de meurtre de masse. L'auteur rappelle également que derrière Robespierre, pas mal d'autres diables se cachent et n'ont rien à lui envier, prouvant encore une fois que l'Histoire n'est pas le fait d'un seul homme. Et en parlant d'homme, impossible de ne pas évoquer derrière l'affaire des enfants disparus de la Capitale, l'ascension d'une figure bien connue de l'Histoire, Napoléon Bonaparte qui, cette fois, ne se contente pas de menacer le Royaume-Uni d'invasion mais tente de le mettre littéralement à genou.
Ainsi l'Histoire trouve toujours son chemin…
En enchevêtrant la grande Uchronie avec la petite, alternant entre les rouages du pouvoir et les drames personnels des personnages plus modestes, Johan Heliot emploie une méthode qui a fait ses preuves. Résultat, nous voici projeter dans un futur au passé qui passionnent jusqu'à la dernière page.

Porté par la plume précise et élégante de son auteur, Les Enfants de la Terreur installe une uchronie de grande qualité qui réfléchit sur des thématiques aussi modernes qu'universelles. Johan Heliot s'interroge sur le rôle de l'homme de lettres comme sur celui du gouvernant et offre au lecteur un excellent récit policier dans une Europe au bord du gouffre.
Lien : https://justaword.fr/les-enf..
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J'ai toujours aimé les bonnes uchronies.

En voici une qui mêle habilement, très habilement, même, la petite et la grande Histoire, imaginaires, les deux, mais réalistes.

Les deux personnages principaux, Louis Sade et Charles/Geneviève "Déon", comme leurs noms sont écrits dans ce livre, sont formidablement décrits, et très attachants.

Vieillissants mais toujours aussi vifs d'esprit pour l'un, d'épée pour l'autre, manquant tous deux de moyens financiers et tentant de survivre tant bien que mal, les voilà embarqués bras dessus bras dessous dans une enquête qui leur tient à coeur.
Enquête, qui, si elle n'est pas des plus passionnantes (j'ai compris très vite le fin mot de l'histoire), nous permet tout de même de bien visiter cet univers depuis le point de vue des citoyens les plus démunis de la société, les orphelins des rues, jusqu'à celui des personnages au sommet de l'Etat, Robespierre, Fouché, Bonaparte, en passant par celui des "jeunes gens" si fascinés par l'uniforme et la "gloire" de ceux-là...

De mon point de vue, ce qui fait la saveur de ce roman, c'est à la fois le côté uchronique avec des développements "inattendus" de l'Histoire (ou pas), la description magnifique et "comme si on y était" du Paris de l'époque, et ces deux personnages si charismatiques...

Bref, j'ai vraiment beaucoup aimé ce roman, un excellent moment de lecture ! Un grand Merci à Babelio et aux éditions "L'atalante" pour cette bonne pioche "Masse critique" !

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Robespierre n'est pas mort, comme prévu en 1794. Un évènement imprévu lui a permis s'en sortir, de rebondir et de diriger, avec d'autres, un régime infiniment plus impitoyable que celui que nous avons connu. La Terreur porte vraiment bien son nom. Les emprisonnements et exécutions se multiplient. Premières victimes : les plus pauvres. Dont les enfants. Et ils sont nombreux à battre le pavé, orphelins ou abandonnés par leurs parents, seuls face aux adultes voraces et sans morale. C'est dans ce Paris sale et sombre que tentent de se faire une place Sade et le chevalier d'Éon, figures fortes de cette période troublée.

Je te préviens tout de suite, lecteur, lectrice, je ne suis pas historien. Et, même si j'ai suivi attentivement (enfin, peut-être, mais c'est loin tout ça) mes cours à l'école, je ne me suis que peu penché à nouveau sur la période de la Révolution française et ses suites. Autrement dit, je suis entré dans ce roman avec bien peu de bases et, donc, quelques appréhensions : allais-je être noyé sous des noms inconnus, des dates flous ? Que nenni, point, nullement. En quelques pages, j'ai été rassuré. Johan Heliot sait recréer une période sans rouler des mécaniques, sans afficher ses connaissances au détriment du plaisir de lecture. Ici, tout est fait pour que l'on pénètre le plus facilement possible dans l'histoire (et dans l'Histoire, par voie de conséquence). Et même si l'on croise un grand nombre de figures connues, ou moins connues, de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles, elles sont toutes présentées dans leur contexte, intégrées dans le récit sans que l'on se sente obligé d'aller fouiller dans un manuel d'histoire (ce qui ne veut pas dire que l'on n'a pas envie d'aller plus loin, ensuite, en cherchant les différences entre notre passé et cette uchronie). J'ai particulièrement apprécié Fouché, machiavélique à souhait, mort-vivant qui traîne derrière lui un sillage de mort et de désolation.

Pour un tel casting, il fallait un écrin de choix. Paris, donc. Mais attention, pas un Paris au rabais ! Johan Heliot sort le grand jeu pour nous le rendre vivant : vue, ouïe, odorat, goût et même toucher sont mis à contribution. On est en immersion totale. Et, dans pas mal de cas, cela ne donne vraiment pas envie ! Car nous en visitons surtout les bas-fonds, à la suite des enfants, véritables héros de cette histoire. Et cette ville pue, elle salit, elle assourdit. Et elle fait peur. Au moindre carrefour, on risque de se faire détrousser, voire battre et égorger. Pour sa bourse, pour ses opinions. Car la Terreur sévit sur la capitale. Beaucoup d'hommes ont été emprisonnés ou exécutés. Sans compter ceux qui ont été enrôlés. Car dans cette branche temporelle, Bonaparte, allié avec les Comité, a pris la tête des armées et part attaquer l'Angleterre : Londres est à portée de fusils ! Paris est donc livrée aux troupes, de miliciens comme de truands. Et beaucoup se retrouvent pris entre deux maux, ne sachant lequel les fera périr.

Dans ce gigantesque maelström, il fallait des personnages centraux puissants et charismatiques, des êtres dont on imagine la chair et les blessures, les cicatrices. Là aussi, pari réussi : Donatien Alphonse François de Sade et Charles Geneviève d'Éon de Beaumont emplissent les pages de leur présence plus vraie que nature. le premier cherche un nouveau souffle après ses années d'emprisonnement et de mise à l'écart suite à ses textes licencieux. Il a besoin de croire encore à quelque chose. Et de subvenir aux besoins de sa petite famille. Or les temps sont durs et sa signature ne fait plus recette. La seconde (ou le second, selon) revient d'Angleterre et cherche à vivre, le plus simplement possible. Mais son passé l'empêche d'obtenir un emploi. Les deux vont finir par se croiser et embrasser la même cause. Celle des enfants de la Terreur. Ces enfants laissés pour compte, victimes d'adultes sans pitié qui les utilisent comme simples pions dans leurs querelles vaines et violentes, leurs jeux inhumains de pouvoir.

Johan Heliot est historien. Il a même enseigné en temps que professeur d'histoire. Et cela se voit, cela se sent, au fil des pages, au détour des paragraphes, au gré d'une idée, d'une anecdote. Johan Heliot est écrivain. Et cela se remarque dans la justesse des images utilisées, dans la puissance des évocations, dans l'habileté de la construction du récit, dans la force des personnages. Son Frankenstein 1918 m'avait touché, m'avait ému par sa folie et son ancrage, malgré tout, dans le réel. Les Enfants de la Terreur m'ont également pris par le coeur. Merci, Monsieur Heliot, pour cette histoire. Revenez-nous vite avec d'autres du même tonneau.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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1798. Napoléon Bonaparte s'apprête à lancer une offensive de grande ampleur sur l'Angleterre à l'initiative de la Convention qui entend ainsi porter un coup fatal à la coalition qui s'est formée en Europe suite aux bouleversements engendrés par la Révolution française. Ça ne vous dit rien ? Rassurez-vous, votre culture historique n'est pas en cause puisque cet événement n'a jamais eu lieu. Il constitue en revanche le coeur de l'uchronie imaginée par Johan Héliot dans « Les enfants de la Terreur ». L'auteur n'en est pas à son coup d'essai en matière d'uchronie, c'est le moins qu'on puisse dire, puisqu'on lui doit un nombre conséquent de nouvelles et de romans se revendiquant de ce sous-genre, dont ses trilogies consacrées à deux conquêtes spatiales anticipées, l'une au XIXe sous Napoléon III (« La trilogie de la Lune »), l'autre sous Louis XIV (« Grand siècle »). Nulle question ici d'extraterrestres ou d'exploration spatiale, toutefois, mais d'une enquête dans un Paris révolutionnaire quelque peu revisité. Pour nous servir de guide, Johan Héliot a opté pour deux figures historiques ambiguës : le marquis de Sade, auteur sulfureux aux moeurs décriés désormais assagi et exerçant anonymement le métier de journaliste, et le chevalier/chevalière d'Eon, tour à tour espion ou espionne au service du roi de France avant de s'exiler en Angleterre pour y mener une retraite paisible. Deux événements vont toutefois sortir l'un et l'autre de la torpeur dans laquelle ils s'étaient plongés : d'un côté la menace d'invasion de Bonaparte, qui pousse le chevalier à quitter l'Angleterre pour revenir en France ; de l'autre la rencontre de l'ancien marquis avec une jeune fille à la tête d'une bande d'enfants des rues et qui inspire à l'écrivain des portraits pour le compte d'un journal parisien. Leurs pas ne vont évidemment pas tarder à se croiser, et c'est ensemble qu'ils tenteront de résoudre le mystère de la disparition de petits miséreux dont on ne cesse de retrouver les corps partout dans Paris.

Pour qu'une bonne uchronie soit réussie, il convient évidemment de brosser un portrait historique solide. Dans le cas des « Enfants de la Terreur », il y a du bon et du franchement caricatural. Au nombre des aspects positifs on peut mentionner cette ville de Paris dont l'auteur nous fait arpenter toute sorte de quartier, chacun caractérisé par une ambiance particulière et plutôt immersive. Au fil de leur enquête, l'écrivain et l'espion(ne) vont multiplier les déplacements, dans les rues de la capitale, bien sûr, mais aussi dans ses commerces, ses parcs, ses lieux de pouvoirs et ses ruelles mal famées, et on prend beaucoup de plaisir à suivre les pérégrinations de nos deux investigateurs en herbe. On peut également saluer la volonté de l'auteur de se pencher sur le quotidien des classes populaires de l'époque qui, loin d'être invisibilisés ici, sont au contraire mises sur le devant de la scène. le parallèle avec l'oeuvre emblématique de Victor Hugo, « Les Misérables » est d'ailleurs très appuyé, que ce soit via le profil, et même le nom, de certains personnages ou dans la volonté affichée de Sade de sensibiliser ses contemporains aux terribles conditions de vie des plus démunis. Là où le bât blesse, en revanche, c'est du côté de la reconstitution politique et de la direction prise par l'urchonie. La Révolution est une période particulièrement crispante, et les clichés entretenus aujourd'hui encore sur cette époque ne sont malheureusement pas propices à une vision nuancée. Johan Héliot en fait les frais, recyclant ici la plupart des stéréotypes attendus sur la « Terreur », et ce au mépris des études historiques récentes sur le sujet qui reviennent justement sur cette construction à posteriori et mettent en avant le rôle collectif joué par tous les députés de la Convention dans la prise de décision (loin de la « toute puissance dictatoriale » imputée au seul Robespierre), tout cela sans toutefois remettre en cause le nombre important de victimes. Clairement, l'auteur n'a pas lu Jean-Clément Martin (et c'est dommage) et s'est arrêté aux analyses de Furet (qui remontent aux années 1960) pour qui la Révolution est la « matrice de tous les totalitarismes ». Les parallèles nombreux et appuyés entre cette Terreur prolongée et certains des événements les plus tragiques de la Seconde Guerre mondiale vont en effet en ce sens et sont à la fois décevants et de fort mauvais goût.

Le roman de Johan Héliot a donc ceci de paradoxal qu'il propose une vision extrêmement réactionnaire de la Révolution française, et notamment de la période dite de la « Terreur » (que l'auteur se contente en fait de prolonger de quelques années), tout en tentant de placer la question sociale au coeur du récit. le mélange des deux est pour le moins déroutant et ne fonctionne hélas pas vraiment, l'intrigue peinant à se mettre en place et connaissant des baisses de rythme préjudiciables à l'histoire. Les passages les plus intéressants sont finalement moins liés à cette enquête de disparition d'enfants qu'au contexte de cette uchronie et à la rencontre des deux protagonistes avec des personnages emblématiques de cette période, qu'il s'agisse de Fouchet, de le Bas, de certains membres du comité de salut public ou encore du fameux général victorieux, Napoléon. le marquis de Sade est pour sa part un personnage un peu fade, ses excès passés n'étant plus que de lointain souvenirs et l'ayant laissé vide. Éon est plus intéressant, notamment de part l'ambiguïté entretenue sur son genre, mais le sujet se révèle finalement plutôt anecdotique et est avant tout traité comme une dissociation de la personnalité plutôt que comme une remise en question de l'identité sexuelle du personnage. Les autres acteurs du drame sont plus effacés, même si certains parviennent à tirer leur épingle du jeu comme la jeune cheffe de bande et plusieurs de ses protégés. La plume de l'auteur, elle, est toujours aussi agréable, à la fois simple et élégante, à l'image de ce qu'il avait pu produire dans ses précédentes oeuvres.

Lecture en demi-teinte pour ces « Enfants de la Terreur », roman dans lequel Johan Héliot propose une uchronie basée sur la survie de Robespierre à Thermidor, et donc implicitement sur l'allongement de la période de « Terreur » qui lui est imputée. La promenade dans le Paris révolutionnaire est agréable car variée, mais le contexte historique imaginé se base malheureusement davantage sur des clichés que sur une étude sérieuse de la période en question. Il en résulte une intrigue bancale et franchement caricaturale, heureusement portée par un duo d'enquêteurs qui fonctionne bien mais qui ne suffit pas toujours à entretenir la curiosité du lecteur.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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C'est le premier livre de Johan Heliot que je lis, et j'ai beaucoup apprécié ma lecture. Johan Heliot est connu pour ses récits uchroniques de fin du XIXème siècle et sur le règne de Louis XIV, mais j'ai eu envie de plonger dans la période plus sombre de la révolution française, époque qui m'intéressait beaucoup quand j'étais plus jeune mais sur laquelle je n'ai plus rien lu depuis longtemps.
Le récit est une uchronie, et l'on découvre assez vite le point de divergence avec l'histoire telle que nous la connaissons : Robespierre n'a pas été renversé puis guillotiné en 1794 (les fameux 8 et 9 thermidor de l'an II), et le régime de la Grande Terreur qu'il avait instauré s'en est même retrouvé renforcé. En parallèle, Bonaparte a pris la tête d'une armée du nord, et après des victoires sur tous les coalisés européens, se tourne maintenant vers l'invasion de l'Angleterre. On découvre ainsi une France sous la révolution toute tournée vers cette victoire contre Albion, qui justifie la misère du peuple, victime de privations et de famine, mais aussi une justice révolutionnaire particulièrement expéditive et brutale avec les fuyards, contre-révolutionnaires, voire vagabonds ou jeunes de peu de conditions qui se multiplient.
Dans ce tableau très noir, on apprend à connaître les deux personnages centraux du roman : d'une part le marquis de Sade, vieux et décrépi, qui vit d'articles de piètre intérêt pour un journal parisien, et entretient tant bien que mal sa compagne et son beau-fils. Et d'autre part le mystérieux chevalier d'Éon, qui s'en revient d'Angleterre après un exil. On l'imagine avec un lourd passé, et on découvre bien vite ses nombreuses capacités. Ces deux personnages très atypiques sont attachants, ils sont au crépuscule de la vie mais se battent pour leurs convictions, dans une soif de justice permanente. Les passages avant la rencontre inattendue de ces protagonistes sont l'occasion de découvrir toute la misère de l'époque, aussi bien dans la campagne dévastée que dans la capitale soumise au joug du Comité (de salut public), l'organe décisionnaire de la révolution. L'ambiance est très dictatoriale, avec ces dirigeants qui sont craints, invisibles, et brutaux. Leur bras armé, la police, est épaulé par une mystérieuse garde spéciale qui présente un attrait pour les jeunes. Au milieu de ce Paris, on découvre l'organisation et le fonctionnement d'un groupe de jeunes laissés pour compte, qui survivent de petits larcins et autres débrouillardises. Parmi eux, on va apprendre à connaître La Gigue, jeune fille au fort tempérament qui va servir à tisser des liens entre le marquis et le chevalier.
Le livre se lit très rapidement, on a envie de comprendre le mystère autour des disparitions d'enfants, autour des agissements du Comité. Les premiers chapitres mettent en place une situation, un peu confuse, mais elle se décante très vite et devient passionnante en prenant la forme d'une enquête. On apprend à connaître les inquiétants personnages qui gravitent, complotent, autour du Comité ou de Bonaparte. Mention spéciale à Fouché, l'homme de l'ombre de Napoléon dans la véritable histoire, mais qui prépare déjà bien le terrain dans ce tome. On atteint des sommets de l'horreur dans les pratiques de répression, qui n'ont rien à envier aux pires dictatures modernes, les descriptions n'en sont que plus glaçantes car elles résonnent facilement avec ce que l'on sait d'exécutions en masse ou du traitement des juifs par les allemands avec la solution finale. Heureusement, le livre est ponctué de notes d'espoir, et même de certains traits d'humours, avec la verve du marquis de Sade et la répartie du chevalier d'Eon. Les dialogues entre ces deux là valent le détour.
Johan Heliot nous propose donc avec Les enfants de la terreur une uchronie très réussie, avec des personnages attachants et inhabituels, ballottés dans les tracas d'une période encore pire que les pires heures de la révolution française. La plume de l'auteur nous fait redécouvrir les recoins sombres d'une histoire peu reluisante, et m'a aussi redonné envie de me replonger dans mes livres d'histoire.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Il comprit que le vieux lui reprochait surtout de l'avoir émoustillé à rebours de tout principe moral, et qu'au lieu d'interroger son propre rapport au mal, d'admettre la part mauvaise qu'il portait au cœur comme n'importe quel homme et se féliciter de pouvoir lui donner aussi innocemment cours qu'un livre en main, il préférait vomir l'écrivain, le confondre à son œuvre et l'accuser de scélératesse, alors qu'il n'avait fait que brandir un miroir devant sa figure - oui, chacun était capable d'imaginer les pires tortures et de s'en délecter à jouir dans ses pensées ; mais l'avouer semblait coûter aux hypocrites un prix exorbitant, comme s'ils avaient effectivement commis ce qui les excitait. Ainsi étaient la plupart des gens, sans condition de haute ou basse naissance, tous parés de vertu en apparence, attirés par le stupre sous le vernis de la bienséance.
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Chaque fois qu'il tentait de se projeter sur l'échafaud, comme pour apprivoiser l'idée de son départ, il revoyait toutes celles et ceux exécutés jadis sous la fenêtre de sa cellule. Le dégoût le saisissait de nouveau, plutôt que la terreur. Oh, il finirait par éprouver la peur, quand il faudrait grimper les marches, tomber à genoux et tendre le cou ; et il se conchierait ainsi que tous ses prédécesseurs.
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Au lieu de liberté, d'égalité, de fraternité, on leur avait offert la guerre, plus de misère et de faim.
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"Chez les peuples vraiment libres, les femmes sont libres et adorées".
Saint Just
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Paris, ville arsenal, cœur battant de la République conquérante, attirait de toute la France et de ses territoires fraîchement annexés du nord, de l'est comme du sud de l'Europe, pléthore de populaces avides de cette liberté et de cette égalité qu'on leur avait vantées, et qui se réduisaient le plus souvent à une place d'ouvrier dans des manufactures poussées comme des champignons après l'averse afin de pourvoir à l'équipement de la grande armée révolutionnaire.
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Vidéo de Johan Heliot
Interview de Johan Heliot par Estelle Hamelin pour Actusf aux Imaginales 2019.
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