La décennie 1840-1850 est pour Dumas la voie royale : la plupart de ses grands succès ont été publiés dans cette période : «
le Chevalier d'Harmental » (1842), « Ascanio » (1843), «
Les Trois Mousquetaires » (1844), «
le Comte de Monte-Cristo » (1844), «
La Reine Margot » (1845), «
Vingt ans après » (1845), «
Une fille du Régent » (1845), «
La Guerre des Femmes » (1845-1846), «
le chevalier de Maison-Rouge » (1846), «
La Dame de Monsoreau » (1846), «
le Bâtard de Mauléon » (1846), «
Joseph Balsamo » (1846-1849), «
Les Quarante-Cinq » (1847-1848), «
le Vicomte de Bragelonne » (1847), «
le Collier de la Reine » (1849), «
La Tulipe noire » (1850 » et «
Ange Pitou » (1850). Mazette ! Peu d'écrivains peuvent se targuer d'un si beau palmarès en si peu de temps !
«
La Guerre des femmes » s'inscrit donc en plein milieu de ce feu d'artifice. C'est un roman bizarre comme si Dumas avait voulu faire en féminin le pendant de «
Vingt ans après », en abordant la Fronde par un autre côté, tout aussi historique d'ailleurs : car la Fronde est aussi une « guerre de femmes » : auprès de Mazarin, il y a la reine Anne d'Autriche, auprès de Condé, il y a sa femme, la Princesse de Condé et sa soeur, Mme de Longeville. Et chaque camp a ses « amazones » : du côté de la Reine, Nanon de Lartigue, brune, impétueuse, du côté de la Princesse, Claire de Cambes, blonde et douce, mais toutes les deux animées d'un même esprit chevaleresque (mousquetaire, dirait-on). Pour compliquer les choses, Dumas place un homme entre les deux femmes, le baron de Canolles, certes beau, jeune et entreprenant, mais il n'est qu'un jouet ou plutôt une prise de guerre en puissance entre les deux femmes. On sent que Dumas s'est amusé dans ce roman à inverser les rôles : toute la partie aventure, panache et coups d'éclat est accomplie par la gent féminine. Alors les spécialistes sont partagés : faut-il voir là un hommage au sexe féminin, ou au contraire une caricature de la façon des femmes de « jouer aux hommes » (du moins ainsi qu'on le percevait au XVIIème siècle et au XIXème itou) ? Moi je pencherais pour la première réponse : si Dumas était contre les femmes, ce ne pouvait être qu'à la façon de
Sacha Guitry : « tout contre ».
Dumas (et son comparse
Auguste Maquet) se démarquent aussi des « Trois Mousquetaires » et de «
Vingt ans après », en apportant, en plus de la bonne dose d'épopée traditionnelle, une bonne injection de comedia dell' arte. J'en veux pour preuve certains personnages plus ou moins farfelus, comme la comtesse de Tourville, ou le baron de Cauvaignac, et aussi par le recours à des situations proprement théâtrales (on pense naturellement à
Marivaux), où se succèdent déguisements, quiproquos, personnages interchangables, etc.
Un Dumas surprenant aussi, car il ne nous avait pas habitué à de tels personnages féminins. D'habitude, c'était plutôt la maman et la putain : la jeune fille ou jeune femme honnête et pure face à l'aventurière sans scrupules (Constance Bonacieux et Milady de Winter). Ici c'est bien plus complexe et plus près de la vie en fait. Nos héroïnes sont prêtes à tout pour sauver leur amant (qui entre nous, ne les vaut pas), elles font preuve d'une volonté au moins à la hauteur de leur amour, ce qui n'est pas peu dire.
Pas le meilleur Dumas, mais un Dumas reste un Dumas : à consommer sans modération