Toutes à tuer

THEADORA, ou Thea comme on l'appelait, fut dès sa naissance une parfaite petite dame. Ainsi disaient tous ceux qui l'avaient connu dans les premiers mois de sa vie, lorsqu'on la promenait dans son landau doublé de satin blanc. Elle dormait toujours quand il le fallait. Puis elle se réveillait et souriait à des étrangers. Elle ne mouillait presque jamais ses couches. Elle devint propre avec la plus grande facilité du monde, et apprit à parler remarquablement tôt. Puis vint la lecture : elle avait à peine deux ans. Et elle affichait constamment de très bonnes manières. A trois ans, elle comença à faire des révérences quand on la présentait à des gens.

Les hommes disaient que les femmes étaient toutes les mêmes, mais à son avis il était encore plus vrai que les hommes étaient tous les mêmes. Ils n’aspiraient qu’à une seule chose. Les femmes, elles au moins, voulaient des manteaux de fourrure, du bon parfum, des vacances aux Bahamas, une croisière quelque part, des bijoux – en fait, quantité de choses.

Voyez-vous, il n’y a aucune raison pour qu’une fille subisse un choc désagréable quand elle se marie. Il vaut mieux qu’elle apprenne un peu avant, et le jeune homme aussi. Autrement, s’ils sont vierges l’un comme l’autre, cela peut être une expérience malaisée et même embarrassante pour tous les deux. 

De telles filles sont en quelque sorte des objets de lit, des ustensiles que l’on se procure au même titre qu’une bouillotte, un fer de voyage, une brosse à chaussures électrique, n’importe quel petit luxe de la vie. Elles disposent d’un atout si elles savent cuisiner un peu, mais à coup sûr on ne leur demande jamais de parler, dans quelque langue que ce soit. En outre, elles sont interchangeables, comme une monnaie toujours disponible, ou comme des coupons-réponse internationaux. Leur valeur peut monter ou baisser, en fonction de leur âge et de l’homme qui est en leur possession sur le moment.

Pour une romancière, ce serait précisément là le moment de faire preuve d’imagination, en créant des pensées et une opinion publique là où il n’y en a pas, mais notre romancière ne se soucie pas d’inventer. Tout est tel quel, sans ornements, nu comme la main.