AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070368273
207 pages
Gallimard (06/07/1976)
3.77/5   138 notes
Résumé :
Le seul roman écrit par Ionesco. A trente-cinq ans, un homme fait un héritage et se retire de la vie. Il ne cesse de s'étonner de ses congénères qui continuent à s'agiter, à se battre même, à aimer, à croire. La recherche de l'oubli, la nostalgie du savoir que nous n'aurons jamais, le sentiment de notre infirmité et du miracle de toute chose, font de cet individu banal un être qui a la grâce, un mystique pas tellement loin de Pascal.
Que lire après Le SolitaireVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
3,77

sur 138 notes
5
1 avis
4
8 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
1 avis
Le Solitaire d'Ionesco est un admirable condensé de tous les personnages les plus marquants des pièces du dramaturge… Figure du perdant qui n'essaie pas même de se battre (« A trente-cinq ans il est temps de se retirer de la course ») ; du pudique maladroit qui virerait presque homosexuel si on ne remarquait pas plus tard que son aversion s'étend en réalité à l'humanité entière (« le sexe féminin m'a toujours paru être une sorte de blessure au bas du ventre entre les cuisses ») ; du misanthrope, donc, Eugène Ionesco semble se rattraper, à travers son personnage, de toutes les déceptions d'une vie sociale qui apporte peu de réconforts et qui demande beaucoup de sacrifices, en premier lieu celui de cette sincérité qui fait dire à son solitaire tout ce qui lui aurait coûté cher, en termes de relations, dans l'existence réelle.


Le postulat de départ fonctionne-t-il à la manière d'un « fantasme appliqué ». Il ne semblerait pas étonnant qu'il découle d'une pensée vengeresse qu'Eugène Ionesco aurait pu former à chaque fois que la vie en société lui semblait trop contraignante. le solitaire est un homme banal de trente-cinq ans, employé dans un bureau. Ses taches sont mal définies : on sait seulement qu'il remplit des fiches et des formulaires en compagnie d'une poignée de collègues. Ceux-ci sont plutôt amicaux et le personnage semble leur inspirer des élans de sympathie. Où se loge la déception là-dedans ? Elle se trouve dans la friabilité des liens, dans l'indifférence mutuelle qu'éprouvent les hommes et qui les poussent à s'abandonner lorsqu'ils ne se savent plus utiles ou quotidiens les uns aux autres.
Le solitaire, apprenant qu'il a hérité de la fortune miraculeuse d'un oncle inconnu, se demande tout d'abord comment utiliser cette manne à bon escient. Pas besoin d'une liste de ses envies. En une phrase, le tour est joué : il se retirera du monde et vivra sur ses (larges) réserves.


Du jour au lendemain, tout déserte son existence. Plus d'obligation à rendre au bureau, plus d'obligation à lier des amitiés professionnelles, et tout ce qui suit –heures de lever, heures de repas, chemin à parcourir- disparaît en même temps. Etait-ce ce désoeuvrement que recherchait le personnage angoissé du solitaire ? Certainement pas… Et on retrouve la grande thématique absurde d'Ionesco à travers cet homme qui, pris a piège de ce qu'il croyait être sa « liberté », se trouve condamné à meubler tant bien que mal son existence recluse. le plus dur, peut-être, étant de reconnaître que son existence n'est plus indispensable à personne, mais qu'il faut cependant conserver un minimum de foi en soi pour continuer à s'accorder l'affection nécessaire qui permettra d'assurer sa survie.


Toute cette première partie du roman est digne des meilleures pièces d'Ionesco. Son écriture ne dépare pas de celle qui parcourt sa dramaturgie, peut-être parce que le solitaire est un homme double (voire polymorphique) qui discute et controverse énormément avec lui-même, et que chaque page semble représenter un débat éperdu entre les différentes opinions qui se querellent en lui. le rêve du Solitaire vire bientôt au cauchemar. Exclus du monde, les hommes « actifs » qui continuent de le peupler, et qu'il observe depuis la place qu'il s'est réservée au restaurant du quartier, lui deviennent complètement étrangers. Il les observe comme des êtres inconnus, tantôt frappé par l'absurdité de leurs préoccupations, tantôt envieux de ce qu'il imagine être leurs réussites –tandis que lui ne subit que des échecs. La misanthropie vire souvent à la condescendance voire à la prétention en fait parée d'ignorance. Lorsqu'Ionesco fait dire à son personnage : « Tant de gens vivaient. Jusqu'à ces derniers temps, ils paraissaient assez contents ou résignés. En tout cas, ils ne se posaient pas de problèmes. Ils n'avaient pas peur de la mort ou plutôt ils ne pensaient pas qu'ils devaient mourir un jour. Moi, j'avais vécu tout le temps dans cette hantise », prend-il vraiment la position puérile du prophète qui croit détenir une vérité que les autres ignorent, ou se moque-t-il de son personnage qui a été obligé de se reclure du monde pour prendre conscience à son tour, et sur le tard, de cet aspect absurde de l'existence ?


A partir de la moitié du roman, Eugène Ionesco introduit du délire psychotique chez son personnage. Est-ce la solitude ? Est-ce l'enfermement ? le Solitaire imagine des guerres civiles qui éclatent dans la zone restreinte de son quartier. Lorsqu'il descend dans son troquet habituel, tout le monde parle révolution. Les êtres humains s'unissent ou s'opposent en clans distincts. La lutte prend une allure allégorique : elle est la représentation de l'alliance contre l'absurdité, et il n'est pas anodin que le solitaire refuse de livrer bataille. S'enfermant chez lui de plus belle, il semble s'extirper de son emprise psychotique du jour au lendemain. Il sort de chez lui, se rend compte que des décennies sont passées et que la guerre civile n'est plus qu'un lointain souvenir amusant pour les vieux comme lui qui se rappellent. C'est une fois que tout est passé que le solitaire se rend compte que l'existence n'était peut-être pas aussi désagréable qu'elle lui avait paru jusqu'alors. D'ailleurs, lui avait-elle vraiment semblé insupportable de bout en bout ? On pourrait croire que le roman d'Ionesco est terriblement désespérant : il l'est, effectivement, mais dans une moindre mesure, car le défaitisme est toujours tempéré par les moments de grâce que le solitaire connaît, notamment sous l'emprise de l'alcool. Peu importe que cet état ne soit pas accessible autrement que par la substance. le scepticisme, qui invite à tout remettre en question, ne s'importune pas avec des questions aussi dérisoires que celle de savoir si la vérité est davantage éprouvée à travers la sobriété ou à travers l'ivresse ; dans les deux cas, les sentiments sont tout aussi vifs. Cachés entre deux paragraphes de découragement, la joie virulente, qui éclate soudain au moment où on l'attendait le moins, revêt ses plus beaux atours…


« Mais oui, mais oui, le monde ensoleillé nous l'avons en nous-mêmes, la joie pourrait éclater à tout instant continuellement, si on savait, je veux dire si on savait à temps. Qu'elle est belle la laideur, qu'elle est joyeuse la tristesse, comme l'ennui n'est dû qu'à notre ignorance ! »


Ceux qui connaissent bien l'oeuvre d'Ionesco ne seront pas déboussolés par la découverte de ce roman –mais un roman ! tout de même, cette forme de texte dépare dans la bibliographie de l'auteur, lorsque tout le reste n'est pratiquement que théâtre. On trouve des avantages à découvrir Ionesco sous cette forme –intrusion plus profonde dans la psyché des personnages, exploration plus intense des domaines de l'absurde- mais on peut se montrer ennuyé par les longueurs qui s'accumulent en fin de livre et le ton trop didactique employé par un solitaire qui semble un peu trop accaparé à la tâche de bien se faire comprendre à ses lecteurs…


Intéressant condensé, limite entre les pièces impersonnelles d'Ionesco et son Journal en miettes intime, le Solitaire se livre du bout des lèvres et ose affronter le paradoxe de l'absurde et de la solitude, qui pousse agir en prenant la plume et à se livrer aux autres si terriblement méprisés.


« Comme il est difficile de pénétrer l'âme des autres ! Pourtant, cette fois, j'aurais voulu être plus près d'eux. Que se passerait-il si j'étais plus près d'eux, avec eux ? Comme ce serait intéressant ! Je vivrais. Ils étaient séparés de moi comme par une vitre épaisse, incassable. »


Le « fantasme appliqué » du Solitaire n'ayant abouti qu'à des conclusions décevantes, la publication de ce livre semble alors s'apparenter à l'étape préliminaire de l'abolition de cette vitre épaisse…
Lien : http://colimasson.over-blog...
Commenter  J’apprécie          283
Eugène Ionesco est un dramaturge qui a marqué le 20e siècle. D'ailleurs il faisait partie des immortels, membre de l'Académie française.
C'était un clown de l'absurde, de la dérision, de l'angoisse et un philosophe. Tout au long de son oeuvre il se pose des questions sur l'existence et la mort.
Je n'ai donc pas été surprise qu'elle soit également au coeur de ce premier roman "Le solitaire" que Ionesco a écrit alors qu'il était sexagénaire.
Le narrateur, un homme sans nom, est employé de bureau et s'ennuie profondément au travail. D'ailleurs, il ne travaille pas beaucoup. Un jour, il touche un héritage d'un oncle d'Amérique et va tout quitter. Pourtant il y avait eu des femmes dans sa vie, Lucienne, Juliette et Janine qu'il avait rencontrées sur son lieu de travail mais il renonce à son ancienne vie pour prendre sa retraite alors qu'il n'a pas quarante ans.
Il va s'installer dans un appartement parisien qu'il décrit méticuleusement. Cette nouvelle situation va lui laisser le temps de penser. Pour autant, il ne semble pas heureux, envahi par des angoisses métaphysiques. Il devient pathétique dans sa peur de la mort il se met à boire pour s'enivrer.
Il a de plus en plus de mal à communiquer et voit parfois les gens entourés de cercueil de verre invisible.
Quand la révolution éclate et que les morts sont de plus en plus nombreux, il reste oisif et va vivre comme un reclus, hanté par les fantômes du passé et ses doutes qui le font parfois rire.
C'est une histoire surprenante sous forme de soliloque qui me fait penser à Bartleby de Melville mais aussi à Boris Vian avec la métaphore du monde qui se rétrécit.
Il y a quelque chose d'angoissant parce que c'est une histoire simple racontée avec calme et c'est en même temps une description minutieuse et terrible du mal de vivre.


Commenter  J’apprécie          160
Seul roman (et pas pièce de théâtre comme décrit dans les étiquettes !) écrit par Ionesco, le Solitaire nous raconte l'histoire d'un homme de 35 ans, qui vient de recevoir un important héritage d'un oncle en Amérique, suffisant pour devenir rentier. Sa vie jusque là n'était pas très palpitante : employé dans une petite entreprise, quelques histoires d'amour plutôt fades avec des collègues, le bistrot et le cinéma pour remplir les heures restantes.

Elle ne s'améliore pas vraiment avec l'argent, puisque si le solitaire y gagne un plus grand appartement, il perd le passe-temps du travail et des discussions des collègues, et sombre dans l'apathie et la crise existentielle. Sa vie lui semble sans but, il se sent écrasé par l'univers et ses lois immuables. Sa seule occupation dans la journée est son repas du midi au restaurant. L'alcool l'aide à combler le reste de sa journée ; une femme tentera de le sortir de sa torpeur, en vain. Puis un jour, une révolution éclate, et le monde bascule dans l'anarchie. le solitaire se calfeutre dans son appartement.

L'ambiance du roman est curieuse : on se sent entraîné dans les mêmes interrogations que le héros, et au fur et à mesure du récit, la séparation entre le réel et le rêve devient floue, et la réalité s'évapore. Un livre assez surprenant, mais agréable à découvrir.
Commenter  J’apprécie          170
Unique roman écrit par Eugène Ionesco, et j'avoue que je suis déçue. J'apprécie cet auteur pour son théâtre de l'absurde... pourquoi ne pas avoir raconté cette histoire sous une forme théâtrale? Je trouve ce roman très déprimant, un peu long aussi. C'est un livre qui parle d'ennui, d'alcoolisme aussi, d'oisiveté, de questionnements sur la vie, sur l'univers, sur l'utilité de l'homme sur la Terre, des questions existentielles pour un homme jeune qui se retire du monde parce qu'il fait un héritage. le narrateur est spectateur du monde qui l'entoure, mais un monde étriqué qui ne s'étend que sur un pâté de maisons voir son immeuble... Il est spectateur aussi d'une guerre civile dont on ne connaît pas vraiment les acteurs... spectateur d'une ville détruite, en pleine reconstruction, spectateur de sa vie qui s'écoule...
Vite, vite, passons à autre chose, à des lectures plus positives...
Commenter  J’apprécie          170
Sacré morceau, ce bouquin-là...
Je n'avais jamais encore lu du Eugène Ionesco... mais la première chose qu'on ressort après avoir lu un de ses écrits, c'est que le bougre mérite bien sa réputation.

Tout d'abord, avant de commencer ma critique, je tenais à dire que je ne recommande absolument pas ce livre à tous ceux qui vivent une crise existentielle ou une déréalisation/dépersonnalisation (je parle en connaissance de cause). À l'instar du livre ''La Nausée'', de Sartre ; le livre aborde des sujets liés à des questions métaphysiques ou des courants philosophiques comme l'existentialisme.
À vrai dire le personnage principal en est même le paroxysme.
Déréalisé depuis la naissance, tout lui paraît superficiel, sans vie, même les gens qu'il observera lui paraîtront que comme de vulgaires chiens suivant un objectif illusoire sans se poser de questions, sans se demander : à quoi bon vivre si la vie n'a pas de sens ?
Cette question, comme l'idée de la mort ou de l'infini, lui torture l'esprit. Il se sent enfermé dans une prison qui ne repose sur rien, d'ailleurs, où il pense être le seul éveillé.

Il n'est intéressé par rien, il n'aime rien et ne se contente qu'de boire pour oublier ses perpétuelles mêmes questions, alors qu'il aura parfois la possibilité d'agir, d'essayer de guérir la plaie.
Mais, assez rapidement, au fil de la lecture, on pourra constater une envie de ne pas agir (encore plus lorsqu'il aura la possibilité de ne plus travailler), mais en découle un problème plus complexe : notre fortuné personnage semble se contenter de son malheur.
En effet, puisque qu'il préfère souvent se dire maudit ou se dire subir la peine du monde entier... mais ne fera rien, préférant rester contempler la vie à travers une fenêtre ; une vie qu'il aimerait atteindre mais qu'il n'atteint pas, comme une mouche essayant d'entrer, en vain.
Une vie qu'il enviait presque à certains moments aux autres qu'ils détestaient tant.

Incapable de profiter de l'instant présent, pendant toute son existence, il ne vivra qu'une routine l'amenant chaque jour un peu plus proche de la mort.
À l'instar de sa présentation sur la couverture, l'ancien salarié n'est qu'un noeud de pensées, mais plus l'homme qu'il semble être à l'extérieur, n'ayant même pas de nom, l'auteur appuie vraiment sur le côté déshumanisé du personnage.
Questions existentielles sur questions existentielles, on ne sera plus discerner le vrai du faux dans le moindre de ses raisonnements ; devenant alors plus absurde que jamais, l'impression de vide et de malaise retranscrite par l'auteur se fera ressentir. On ne sait plus si on doit être atteint d'une pitié ou d'une réelle compassion pour ce mort-vivant coincé entre la peur de l'infini et celle de la vie.

Eugène Ionesco nous présente ici quelqu'un qui serait apte à juger le monde où l'on vit, tellement décroché de la réalité (étant certainement plus proche de nos potentiels amis extraterrestres que des hommes), seul lui peut jeter un regard critique à l'incrédulité du monde où l'on vit.
N'étant pas touché par les rôles que la société donne, cet homme ne serait-il pas au final l'une des personnes les plus humaines ? Ou le moins ?

Étant moi-même déréalisé, ce livre fut souvent plus mélancolique que vraiment drôle.
Après mon avis est biaisé par ce que je vis actuellement, mais bon cela fait partie de ce que j'ai ressenti.

En lisant ce livre, j'ai plus combattu et observé mes peurs qu'autre chose. Les discours longuets et pensées absurdes exprimés faute d'un incontestable vide existentiel furent plus que quelque chose de simplement absurde, ce fut réel pour moi.
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (115) Voir plus Ajouter une citation
Je fus pris d'un regret énorme, amer. J'avais eu le bonheur à côté de moi. Une fois encore, je l'avais raté. Le destin veut m'aider et la providence m'envoie ses anges que je repousse, ou que je n'aperçois pas. Il devait y avoir plein de fontaines de vie dans les jardins, dans les rues, que je ne voyais pas. Il devait y en avoir, certainement. Quand je sortis, j'écartai les bras pour mettre la main sur une, par hasard. Le temps était sec, pas une goutte d'eau. Des passants m'injuriaient. Cependant je continuai de marcher ainsi dans l'espoir désespéré de trouver la vie et dans le désespoir d'être bientôt abandonné.
Commenter  J’apprécie          50
Il y a toujours eu ce manque. Il y a toujours eu ce sentiment que quelque chose me manquait, donc qu'il n'y avait que manque. Qu'est-ce qui manquait? Qu'est-ce qui m'a manqué? J'aurais voulu tout savoir. C'est cela qui me manquait. De ne pas avoir su. De ne pas savoir tout. J'étais ignorant mais pas assez pour ne pas me rendre compte que j'étais ignorant. Les savants savent-ils quelque chose ? Est-ce que ça leur suffit? Qu'est-ce qu'il y a de plus? Les arbres savent peut-être davantage de choses. Les animaux savent beaucoup de choses. Je n'avais fait aucun effort parce que je sentais qu'on ne pouvait pas savoir. J'en étais inconsolable. Peut-être qu'on saura tout un jour. D'autres sauront tout. Cette fatigue qui a pesé tout le temps sur moi. Ç'avait été la fatigue de l'impuissance. Oui, il y a eu des milliards et des milliards de gens. Il y a eu des milliards de vivants, et pour chacun, l'angoisse universelle. Chacun, comme Atlas, avait supporté tout le poids du monde comme si chacun était tout seul, accablé par le fardeau de l'inconnaissable. Cela me consolait-il de me dire que le plus grand savant était aussi ignorant que moi, et qu'il en avait conscience? Mais est-ce vrai?
Commenter  J’apprécie          10
Il devait y avoir encore dans notre monde des endroits sans hommes. L'image de la mer sans limite, d'un désert calme, souleva en moi comme une sorte de joie, comme une sorte d'espoir. Aimer le désert, aimer le bleu de la mer, aimer la blancheur des navires, cela me semblait possible. Aimer les gens, cela me semblait plus ardu. Ne pas les détester, d'accord. Mais les aimer, ces créatures qui bougent, qui parlent, qui s'agitent, qui font du bruit, qui exigent, qui désirent, qui crèvent? C'était plutôt comique. Quel peut être l'aboutissement du désir? Quel peut être l'aboutissement de la haine, de la tuerie ou simplement de la conversation? Nous nous traînons dans l'inexplicable. Attendre. Faire confiance. Le cœur gonflé d'amour. Ça existait, des cœurs gonflés d'amour. Ça existait, des cœurs. Non, je n'avais pas peur. Ce n'était pas la peur qui m'empêchait, qui m'arrêtait dans mon élan. Et même si j'avais peur. C'est humain, la peur. « C'est humain, c'est humain » et j'éclatai de rire. Le mot « humain » me faisait éclater de rire. Pour ce qui est d'avoir peur ou non, il n'y a pas de critère. Les uns ont peur, les autres n'ont pas peur. Tout compte fait, c'est plutôt rigolo. J'étais agité par la non-agitation. C'est une façon comme une autre d'être agité, mais les agités de ma sorte n'agissent pas. Je n'aurais pas dû souffrir. Pourtant, je souffrais. J'étais agité par la souffrance. Il fallait bien l'ad-mettre. Il n'y avait en moi que turbulence, une turbulence qui, étrangement, me paralysait...
Des poussées contraires et contradictoires. Une fois de plus, je regrettais de ne pas avoir fait des études de philosophie. Peut-être j'aurais su quelque chose, j'aurais su des choses.
Commenter  J’apprécie          00
S'ils me regardaient, il y avait chez eux, vis-à-vis de ma personne, une sorte d'hostilité. Oui, c'était cela, ils ont tous pour moi de l'hostilité ou de l'indifférence. Mais moi aussi j'ai pour eux la même hostilité et la même indifférence. Qu'est-ce qu'ils avaient à me reprocher? De ne pas vivre comme eux, de ne pas me résigner à mon destin. Et moi, qu'avais-je à leur reprocher? Rien. Surtout quand je pensais que, dans le fond, ils étaient comme moi. Ils étaient moi. Voilà pourquoi je leur en voulais. D'être des autres, sans être tout à fait autres. S'ils avaient été vraiment différents de moi-même, j'aurais pu les prendre pour modèle. Cela m'aurait aidé. J'avais le sentiment de porter en moi la peur entière et l'angoisse de milliards d'êtres humains, le malaise de tous. Mis dans d'autres conditions, chacun d'entre eux vivrait la même angoisse, la même peur de la vie, le même malaise. Mais ils ne s'approfondissent pas. Ils se laissent être adolescents, puis adultes, puis vieillards, dans une sorte d'inconscience ou de résignation, de résignation inconsciente. Ils se défendent contre eux-mêmes, comme ils peuvent, tant qu'ils peuvent. Mais si chacun s'approfondissait, chacun vivrait l'angoisse et la peur des milliards d'êtres humains. Elle est en chacun de nous, cette angoisse. C'est cela qui me paraît être une cruauté certaine de la divinité : chacun est à la fois unique et tout le monde, chacun est l'universel. Cela aurait été tellement plus facile que l'angoisse et le désespoir et la panique soient répartis de façon égale sur tous les milliards d'êtres humains. Notre angoisse ne serait alors que la trois milliardième partie de la souffrance universelle. Mais non, chacun entraîne dans sa mort l'univers entier qui s'écroule.
Commenter  J’apprécie          10
La découverte me plongeait autrefois dans la joie. La joie ne m'envahissait plus. Ne me touchait plus. La joie, c'est de s'apercevoir tout d'un coup, d'une façon qu'on pourrait appeler surnaturelle, que le monde est là et que l'on est dans le monde, que l'on existe, que j'existe. A présent, tout semblait prouver l'inexistence des choses et ma propre inexistence. J'avais peur de disparaître. En écoutant et en regardant attentivement dans la chambre ou par la fenêtre, il me semblait que les petits séismes imperceptibles mais assez nombreux avaient donné au monde une grande fragilité. Tout s'effritait, tout menaçait de sombrer dans un néant quelconque. L'univers où la réalité résistait de moins en moins. Y aurait-il quelque chose derrière ce décor ? Y aurait-il quelque chose, un autre décor ou rien du tout? Et qu'est-ce que c'était que le rien du tout? Je me sentais ébranlé dans un monde ébranlé. C'est curieux comme tout est à la fois si présent et si absent, si dur, si épais et si fragile. Cela existait-il vraiment? Cela avait-il jamais existé? Une défaillance un peu plus grande et tout pouvait se briser, en des milliers de morceaux. Je me sentais être un des points lumineux d'une gerbe d'artifice. La nausée du vide. Et puis la nausée du trop-plein. Comment cela pouvait-il tenir encore et pour combien de temps, si le temps était. Il n'y avait peut-être que de l'instantané.
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Eugène Ionesco (103) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Eugène Ionesco
FACE-À-FACE CRITIQUE Pour son cinquième long métrage, Valeria Bruni Tedeschi opte à nouveau pour l'autofiction, en romançant ses années d'apprentissage à l'école des Amandiers de Nanterre, dans les années 1980.
L'école des Amandiers, dirigée par Patrice Chéreau, est dans les années 80 un rêve pour beaucoup de jeunes comédiens. Décrite comme un « anti-Conservatoire », elle voit défiler dans ses rangs Agnès Jaoui, Vincent Perez, Marianne Denicourt, Éva Ionesco, et donc Valeria Bruni Tedeschi.
La réalisatrice conte les souvenirs de sa promotion en les romançant. Louis Garrel, en Patrice Chéreau, et Nadia Tereszkiewicz, en Valeria Bruni Tedeschi, sont bluffants. Les Amandiers est un film de troupe dans lequel la réalisatrice parvient à dépeindre les années sida mais aussi les amours et amitiés d'une bande de vingtenaires qui découvrent le théâtre et y mettent toute leur énergie.
#amandiers #valeriabrunitedeschi #theatre
Vous avez aimé cette vidéo ? Abonnez-vous à notre chaîne YouTube : https://www.youtube.com/channel/¤££¤24Vincent Perez18¤££¤4fHZHvJdM38HA?sub_confirmation=1
Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux ! Facebook : https://www.facebook.com/Telerama Instagram : https://www.instagram.com/telerama Twitter : https://twitter.com/Telerama
+ Lire la suite
autres livres classés : romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (402) Voir plus



Quiz Voir plus

Eugène Ionesco

Eugen Ionescu, alias Eugène Ionesco, est né à Slatina (Roumanie) en ...

1899
1909
1919

12 questions
56 lecteurs ont répondu
Thème : Eugène IonescoCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..