Visuellement attrayant, ce premier opus, "Les ombres de la ville", joue la carte de l'esthétisme : le livre s'ouvre en effet sur une superbe carte de Londres illustrée et chaque nouveau chapitre est décoré d'enluminures et d'une police de caractère aux accents gothiques. Les amoureux, comme nous, des intrigues à énigmes dans un décor de pensionnat à l'ancienne (un attrait sûrement né avec notre lecture, enfant, des "Disparus de Saint Agil", de
Pierre Very) seront servis : l'arrivée de Rory dans cette école aux accents old school immerge les lecteurs dans une atmosphère aussi angoissante qu'enthousiasmante. On a adoré l'ambiance de l'établissement et on s'est laissé aller à imaginer, au fil des descriptions de l'autrice, cette sublime bâtisse de l'époque victorienne : ses hauts murs de vieilles briques, ses couloirs de bois lambrissé, son réfectoire aménagé sous la nef d'une ancienne chapelle, ou encore sa bibliothèque pleine d'ouvrages épais et poussiéreux. D'ailleurs, bien que le pensionnat de Wexford n'existe pas réellement,
Maureen Johnson s'est inspirée d'un bâtiment véritablement situé dans le quartier de Whitechapel pour l'imaginer. La romancière restitue avec réalisme le quotidien des étudiants et la fourmilière de ce pensionnat aux murs séculaires...
Dans ce contexte très confiné, presque à huis clos,
Maureen Johnson plante peu à peu le décor. Alors qu'elle pose progressivement les différents éléments nécessaires à l'intrigue, on suit la lente adaptation de Rory et ses habitudes d'Américaine face aux coutumes britanniques (le choc des cultures amenant à quelques scènes assez drôles). Parallèlement, à l'extérieur du campus, les meurtres se multiplient et leur impact médiatique "force" les portes de Wexford jusqu'à faire brusquement irruption dans la vie des lycéens. Une fois l'héroïne pleinement confrontée au meurtrier et à son caractère surnaturel, l'intrigue s'éloigne quelque peu du pensionnat, et donc tout à la fois de l'univers"private boarding school" qu'on aime tant. Fort heureusement, chaque excursion londonienne est l'occasion de nous faire découvrir la ville de façon détournée, et particulièrement ses lieux clefs de l'histoire de l'éventreur ou des sites souterrains aussi fascinants qu'inquiétant....
Dès lors, le parfum victorien qui planait depuis le début du roman disparait également : l'intrigue s'écarte en effet de la figure de Jack l'éventreur et nous emmène à la rencontre d'une unité rattachée aux services secrets et à la Société pour la recherche psychique, ambiance plus moderne aussi bien dans les décors que dans les thèmes abordés. La transition pourrait presque paraître un peu trop soudaine, mais
Maureen Johnson parvient à faire tenir le tout grâce une mythologie intéressante et à des idées ingénieuses. Si on regrette un peu que le roman prenne ses distances avec le mythe de Jack l'éventreur, on s'est entre temps trop attaché aux personnages pour se prétendre déçu. Grâce à un très habile mélange de frisson et d'humour (en partie assuré par Rory et son décalage constant avec le paysage so british), le tout peut par moment évoquer une version délocalisée de Buffy, avec ce mélange d'univers adolescent lycéen qui se confronte aux forces occultes d'un cadre urbain aux accents gothiques. Ce sentiment est renforcé par la petite équipe de protagonistes qui se forme, très scooby gang.
Le final laisse planer de brûlantes questions quant à l'avenir de Rory, suffisamment intrigantes pour nous donner envie de poursuivre cette trilogie. On attend donc le second opus avec impatience, en souhaitant qu'il exploitera encore plus ce que celui-ci contenait déjà de très bon (les références à la Société pour la recherche psychique, fondée en 1882 et ayant réellement existé, donnent envie d'en savoir plus ; on espère qu'il en sera davantage question dans l'opus suivant).
En bref : Londres, un pensionnat au coeurs des brumes de Whitechapel et... le retour de Jack l'éventreur. Si le mythe de l'iconique tueur en série sert surtout à appâter les lecteurs, ce premier opus de "Hantée" se révèle très prometteur. Face aux spectres qui se promènent en ville, Rory affronte avec humour et ironie des forces occultes dans une Angleterre chargée d'Histoire. On s'attache aux personnages et on frissonne plus d'une fois au cours du livre. Vivement la prochaine rentrée à Wexford !
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