« Une lointaine lueur »
Un très long temps s’écoule
Il gît dans ses cendres ses ruines
Renâcle à reconnaître
l’étendue du ravage
Le silence est total
Moins compacte la nuit
mais elle oppresse
Çà et là des foyers se rallument
Un air frais baigne
son visage lézardé
Des mots brefs sont prononcés
d’une voix nette
Ils alertent et excitent
cet œil nouveau qu’il se découvre
Ordre lui est donné
de clarifier aiguiser
amplifier sa vision
Il se dresse
fait ses premiers pas
Avance avec précaution
Marche bientôt à vive allure
La soif continue de le brûler
Mais cette ténèbre
et ce silence et cette solitude
ne lui sont plus à charge
Ses peurs l’ont quitté
Une force intacte lui est venue
Un instinct le guide
Le conduit avec sûreté
là où il sait qu’il doit se rendre
Il marche sans hâte
quoiqu’à un rythme soutenu
La voix se fait plus proche
Son murmure n’a plus de fin
La nuit s’allège
L’œil n’a d’autres besoin
que de fouiller en lui-même
Sa progression se poursuit
Il traverse d’immenses contrées
retrouve des bois des vallées
S’abreuve parfois à une source
Oubliés le pays où il est né
les chemins de traverse
les mots d’avant
Il prend soudain une poignée de terre
en emplit sa bouche
Sur le champ
il sent sa sève s’éveiller
envahir ses sillons
l’initier au secret des racines
Monte en lui une lointaine lueur
Approches »
quand rugit
la flamme
que ton eau
devient pierre
ce bloc de granit
que ton burin entaille
et où prend corps la sphère
qui fait craquer ta peau
*
la pâle lumière
dont je vivais
après ces vingt années
qui me furent
nécessaires
pour traverser
la nuit
mais cette récente
épreuve
m’a terrassé
et j’ai perdu
le sens
de qui je suis
mon combat
de chaque jour
pour tenter
de reprendre pied
me réinventer
un chemin
*
consens à ce que tes mots
trahissent
et puisqu’ils t’aident
à t’arracher à ta gangue
te façonner produire
un peu de chaleur et de lumière
aime les à la mesure
de ce que tu leur dois
*
en moi
où la nuit est cette roche
qu’il me faut explorer
mais qu’ai je désir d’accueillir
sinon ce qui toujours échappe
nulle joie aussi ardente
que celle qui me saisit
à la seconde où l’œil
aborde l’inconnu
ces heures de silence
au cœur de la nuit
à attendre que l’œil happe
ce qui l’assouvira
de telles distances à franchir
pour gagner les lieux
de la possible découverte
silence et solitude
silence et effroi
pas un acte qui convienne
pas un chemin qui ne s’égare
pas un mot qui soit conforme
acharnement dans le refus
infernale attente
brûlure du temps
l’ennui ravage
mon visage de pierre
*
s’attise la nostalgie
du rythme et du vent
par ces journées
immobiles où il n’est
plus d’abri de répit
d’espoir de crépuscule
tandis que des monceaux
de lumière inutile
noire se déversent
sur la vie comme
assommée et que sous
des ciels métalliques
aux trop vastes étendues
l’envol ne peut être
que dissolution
*
un torrent de lave
a dévasté l’œil
à l’infini les dunes
sous un soleil
infernal
c’est là qu’il gît
halète se bat
qu’il rêve de collines
d’arbres de feuilles
dans le vent
*
d’abord
abattre brûler arracher
impitoyablement
n’être qu’une étendue de pierres
une infernale agonie
jusqu’à ce jour de glace
où l’origine libère son printemps
répand ses pluies son limon
rend toute chose neuve étrange
alors
ses racines plongeant
dans la source
le réel se dresse
frémit dans le vent
arrachés
à la grotte
coupés
de la terre
par la soif
de la main
par le doute
du verbe
par les mots
coupés
de nous-même
par l’œil
insatiable
tant de fois
orphelins
et nous
cherchons
la mère
*
la soif
et l’herbe les fleurs
fanées les arbres morts
les visages flétris
les regards pierreux
et sous un soleil
en furie
nul chemin
nul repère
tu vas quêtant
la jaillissante
fraîcheur de l’origine
*
ne doute pas
ne doute plus
va ton
non-chemin
en silence
rends-toi
sourd et
aveugle
pour mieux
assurer
ton pas
et de temps
à autre
fais halte
en un poème
où s’accomplit
la convergence
*
la détresse
j’évoque la détresse
des démunis des égarés
des paumés de toutes
origines
de ceux qui n’ont
jamais pressenti
l’existence du chemin
ou qui l’ont emprunté
pour un temps
et s’en sont éloignés
de ceux qui n’ont
jamais connu
la félicité
du retour
ceux en qui l’œil
n’a jamais pu
énoncer la loi
les démunis les damnés
ceux qui jamais
ne connaîtront
les sentiers
de l’origine
l'être
m’élude
se refuse
je suis
l’infirme
fatigue des chemins perdus
conscience égarée
bilans amers
je n’ai plus la force
pas un acte qui convienne
pas un chemin qui ne s’égare
pas un mot qui soit conforme
acharnement dans le refus
infernale attente
brûlure du temps
l’ennui ravage
mon visage de pierre
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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