Détonnant et jubilatoire!
Imaginez: vous marchez le long d'une rue que vous empruntez chaque jour, l'esprit vague et un peu morose de la routine qui dirige votre quotidien.
Mais soudain, vos yeux croisent la devanture d'une enseigne lumineuse et flambant neuve qui vient d'ouvrir dans ce quartier vieux et terne.
Vous avancez d'abord timidement, surpris presque hagard, vos sens déjà prisonniers de vos désirs.
Et c'est là que vous le voyez: dans la vitrine, sous les projecteurs qui s'illuminent à votre passage, le puzzle de votre enfance, celui qui vous faisait rêver et que vous avez souvent imaginé tenir entre vos mains.
Le cadeau que vous avez réclamé, espéré mais jamais obtenu.
Soudain la porte s'ouvre sur un personnage aussi étrange qu'hypnotisant qui, sans un mot de votre part, prononce votre prénom, vous fait pénétrer dans son antre et vous propose d'acquérir ce puzzle pour 3 fois rien.
Il émet seulement cet avertissement étrange: la dernière pièce posée amènera la mort pour tous les habitants de la ville...
Vous avez vraiment envie de ce puzzle. Vous vous voyez déjà le finir et l'accrocher à votre mur.
Et tant pis si personne d'autres que vous ne pourra le contempler une fois achevé, il ne sera qu'à vous, l'objet de vos rêves...
Voilà l'idée géniale utilisée par l'auteur qui, au fil des pages, pose, méticuleusement, de ses mains expertes, les pièces de ce puzzle géant, "Bazaar", en prenant bien soin de les relier entre elles, chacune nouant au passage la destinée des personnages, jusqu'à contempler, le sourire aux lèvres, le résultat final qui promet d'être sanglant et explosif!
En révélant l'avidité, la soif de l'achat, l'envie impétueuse de disposer d'un objet même si l'acheteur doit y laisser sans âme humaine ; en jouant sur les dérives du capitalisme, sur la cupidité et l'égoïsme des consommateurs seulement concentrés sur leur plaisir immédiat, l'auteur montre toute la sournoiserie et l'absence de moralité qui peut saisir leur esprit consumériste. Ce mal qui peut les ronger jusqu'à leur faire commettre des actes dont ils ne voient pas la portée, les yeux hypnotisés par l'appât du gain et la possession immédiate.
Chaque personnage, parfaitement décrit avec ses obsessions et ses manques à combler, prend sa place sur cet étalage de haine et de violence qui ne laissera de répit à personne.
Et ce mystérieux vendeur, qui promet l'objet de ses rêves à chaque client, dans ce capharnaüm de bibelots en tout genre, au coin d'une rue de cette ville étrange, Castle Rock, déjà théâtre de tant d'atrocités, pourrait bien causer leur perte.
J'ai dévoré ce roman à l'écriture bourrée de substances addi(c)tives et de colorants, rouge sang ici, qui donnent ce goût savoureux et coupable aux choses. Dès les premiers chapitres,
Stephen King crée cette ambiance dont il a le secret, à la fois mystérieuse et fantastique, qu'il fait noircir petit à petit au fil des pages, comme s'obscurcit l'âme d'un individu qui sait qu'il a commis l'irréparable. Sa narration distille moments d'action et d'accalmie à merveille, sans véritable temps mort, tenant en haleine le suspense et l'imagination du lecteur qui voit arriver l'inéluctabilité des évènements.
Bazaar trône
à présent en bonne place sur une étagère de ma bibliothèque qui s'illuminerait "par hasard" au moment où mes yeux se poserait sur sa couverture, tel un puzzle que l'on prend plaisir à contempler chaque jour...