« La ligne verte » : du thriller classique au thriller moderne
« La ligne verte », roman-feuilleton à parution numérique de
Stephen King, (jusqu'à ce que ce mode soit abandonné pour cause de piratage) renvoie à la production prospère de romans-feuilletons publiés par épisodes dans les grands journaux quotidiens à partir de 1836.
Le 1er numéro de « La Presse, journal quotidien, politique, littéraire, agricole, industriel et commercial », parut le 1er juillet 1836. le créateur de ce premier quotidien, Emile de Girardin, mit à l'honneur le roman-feuilleton, dont le succès fut immédiat. le premier roman paru dans La Presse, « La Vieille Fille »
De Balzac, fut un véritable tollé et fit du quotidien un succès immédiat. En Angleterre « Les Aventures de Robinson Crusoé », considéré comme le premier « roman » et publié en 1719, avait suscité un engouement général.
Daniel Defoe, inventeur du roman-feuilleton, y relatait les affres physiques et psychologiques de son personnage.
En France, au 19° siècle, le nouveau lectorat dû à l'alphabétisation des classes populaires et à la démocratisation de la culture fut un véritable raz-de-marée. En effet avant la Monarchie de Juillet, il fallait souscrire un abonnement pour accéder à la Presse. La diffusion du grand journal quotidien peu onéreux (du fait de la publication des feuilletons) entraina l'accès de tous à la presse.
La publication par épisodes donnait aux écrivains des contraintes qui étaient plus ou moins bien tolérées (elles stimulaient Dickens et gênaient
Balzac). Il fallait écrire vite et maintenir le lecteur en haleine, laisser le lecteur « cliff-hanging » (accroché à la falaise), créer des rebondissements, des coups de théâtre.
1844 : le Comte de Monte-Cristo/ 1876 : L'assommoir
On a là tous les éléments du « thriller » (qui donne un frisson). On considère généralement que « L'Odyssée » d'
Homère est le prototype du thriller, ainsi que « les Mille et une Nuits ».
Thrillers politiques, policiers, fantastiques, paranoïaques, influencés par le genre de la tragédie (Hamlet), leurs victimes sont des assassins (Crime et Châtiment), des psychopathes (romans policiers) des tyrans (1984/ Fahrenheit 451), des victimes (La Métamorphose), des femmes menacées (
Sade).
Les problèmes posés sont généralement d'ordre moral quand ils ne sont pas manichéens.
Qui peut prétendre que « Crime et Châtiment »(1866) ne remplit pas toutes les conditions d'un thriller, au même titre que le reste de l'oeuvre de
Dostoïevski ?
Qui lirait encore « Le Rouge et le Noir »,ou « Madame Bovary », si ce n'était pour connaître la fin ?
Qui attend une « happy end » en lisant ces livres ou «
J'irai cracher sur vos tombes » (1946) ?
A ce sujet, il est amusant de constater que
Frédéric Dard, dans son réquisitoire pudibond, annonce celui du procureur au procès de
Vernon-Sullivan : « le bon public se passionne pour des histoires de nègres blancs et de femmes en chaleur…ces romans sont amusants, il en faut pour tous les goûts, aussi ne nous mêlons pas au choeur des vieilles filles outragées, nous nous contentons simplement d'affirmer qu'il est ridicule d'ameuter des ligues bien-pensantes pour ces fadaises. Chacun a le droit de s'exprimer librement, même lorsqu'il a un bidet à la place du cerveau. »
On peut objecter qu'un thriller moderne n'a pas le calibre d'un classique. A voir… Il reflète son époque. Il a ses happy ends [Jane Eyre (1847) Rébecca (1938), ses récits de guerre et ses fins tragiques [La Mort est mon métier (1952)]…[Les Nus et les Morts (1948)]. Ainsi le roman policier renvoie à la violence sociale de notre époque qui voit surgir de multiples Jack L'éventreur. (voir le meurtre non élucidé de Ann Short (1947) « Le Dahlia Noir », repris par
James Ellroy dans son roman éponyme (1987).
Personnellement j'aurais tendance à penser que TOUS les romans sont des thrillers, au ton plus ou moins élevé, et au style plus ou moins travaillé…Pas de suspense, pas de roman!
:D