Il s'agit d'un roman, même si l'auteur ne fait pas vraiment de récit structuré, progressif, pas de véritable suspens surtout. Nous suivons Janos Cziffra, ordonnateur de pompes funèbres, à priori un homme respectable, dans la vie duquel tout est ordonné, sans surprises, régi par les conventions et les rites des enterrements. Mais voilà, un jour le Démon vient habiter chez notre respectable bonhomme et tout semble se détraquer étrangement, d'autant plus que Janos rencontre son Rêve, et va délaisser les rites funéraires, pour découvrir les coins et recoins sombres de la ville de Budapest et rencontrer dans ses pérégrinations des personnages haut en couleurs, dont il ignorait jusque là l'existence.
Un roman étrange, entre rêve et réalité, entre le concret et le possible, dont les événements se déroulent dans un interstice entre le quotidien et ce qu'il aurait pu devenir, si le Démon ou autre improbable se manifestait et faisait voir les choses sous un angle légèrement différent de celui sous lequel on a l'habitude de le regarder. Nous passons quelques moments avec tel ou tel, personnages mélancoliques, comme inaccomplis, qui cherchent à combler un maque sur lequel ils n'arrivent pas à mettre des mots, mais qui les poussent à brûler leur vie le plus rapidement possible. Parce que cela vaut mieux que de s'ennuyer dans la routine mortifère d'un ordonnateur de pompes funèbres.
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― Je n'ai rien contre votre âge. J'aime les hommes âgés. Mon amie est la femme la plus heureuse depuis qu'elle s'est mariée avec un capitaine en retraite. Bien qu'il soit un homme propre et agréable, le capitaine est plus près de la soixantaine que le samedi du dimanche. De notre point de vue, un homme propre ne peut jamais vieillir. Pourvu qu'il ne soit pas trop gros, qu'il n'ait pas l'habitude de cracher, de bégayer, de ronfler, de faire des cochonneries, de suffoquer ! Qu'il rende visite régulièrement à son barbier, à son tailleur, à sa lingère, à son cordonnier. Même dans son ivresse il ne doit pas s'oublier. Il ne doit pas s'assoupir après le déjeuner. Ses dents et ses mains doivent êtres propres, ses manières distinguées, sa bouche sentir bon, il doit s'abstenir de jurer et, si possible, aller souvent aux bains de vapeur, il ne doit pas tacher ses vêtements avec le rôti, ne pas déformer ses chaussures, ses mains et ses pieds ne doivent pas transpirer... Et il faut qu'il soit croyant, parce que moi-même je crois au bon Dieu qui jusqu'à maintenant m'a aidée dans toutes mes infortunes.
A cet instant, on entendit un juron bien appuyé traverser le bruit d'eau provenant de la salle de bains... (p.79)
Ce roman n'est donc ni joyeux, ni triste, il est seulement la vie sous la plupart des toits de Pest. Un peu d'idée, un peu d'expérience, un peu de rêve : ainsi va ce livre dans lequel quelque'un imagine comment vivent ses citoyens de Pest. Comment ils prient dans la maison de Dieu et comment ils agissent lorsqu'ils croient que personne ne les voit. A quoi songent le fiancée fringant et la future épouse sous sa couronne de myrte. Pourquoi le danseur trépigne et la danseuse ferme les yeux. Que disent les petits vieux et que pensent au fond d'elles-mêmes les femmes.
"[...] et à travers le grand tamis la vie tombe sans relâche de l'inconnu, l'avenir, les années futures, la vie que ceux qui vivent aujourd'hui ne pourront pas connaître...Ce sont ceux qui viennent au monde à présent qui oublieront les noms, les hommes, les faits, les ordres mondiaux d'aujourd'hui. Qui auront l'occasion de lire ce qui s'est passé dans le roman de la vie que nous avons interrompu au moment le plus intéressant - c'est toujours le moment le plus intéressant quand il faut mourir -, et nous ne pourrons jamais savoir ce qui suivra immédiatement après."