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Critique de Nastasia-B


Troisième essai de Milan Kundera, après L'Art du Roman et Les Testaments Trahis, troisième réflexion sur ce qu'est — ou ce que devrait être — le roman et la façon de le faire. le résultat est captivant, comme toujours.

Ici, Milan Kundera creuse, comme à son habitude, de façon approfondie, pertinente et pluri-axiale ce qu'est, selon lui, l'essence du roman, c'est-à-dire, au-delà de ce qui le caractérise extérieurement, ce qui ne pourrait être exprimé autrement que PAR le roman.

Premier constat, le roman n'est ni de la poésie, ni du théâtre. La poésie, c'est la recherche de l'esthétique à tout prix : le roman ne s'interdit pas de ne pas être esthétique ou, à tout le moins, son esthétique correspond à l'esthétique " ordinaire " de la vie. le théâtre, quant à lui, c'est une unité de lieu, de temps, de personnages : c'est une extrême condensation, une extrême focalisation sur un point précis, infinitésimal si j'ose écrire, de la vie. Ses personnages ne sont pas des êtres humains véritables, ce sont des rôles, c'est-à-dire, pour faire simple, des fonctions ou des symboles ou des allégories de grandes catégories de comportements ou d'êtres, mais pas des êtres véritables.

Le roman, lui, s'attache à essayer de restituer non pas la vie (qui le peut ?), mais la vision particulière d'un individu sur la vie. Il est à même de percevoir les premiers frémissements d'une nouveauté universelle. (Kundera cite Adalbert Stifter, qui, dans L'Arrière-Saison, perçoit une mutation de la société européenne, à savoir, l'avènement de l'administration, thème qui sera repris et amplifié 60 ans plus tard par Franz Kafka dans le Château. Cette mutation qualitative de nos vies, ce changement de paradigme est devenu tellement " naturel " que plus personne ne le perçoit à l'heure actuelle car l'administration fait partie de nos vies.)

Quel poète ou quel dramaturge aurait pu exemplifier dans l'une de ses oeuvres un tel virage ou une telle évolution ? Certes, le théâtre peut, à l'heure actuelle, se moquer, tourner en dérision ou en horreur ce qu'est devenue la machinerie administrative à notre temps t. Mais faire sentir une mutation, en temps réel, c'est-à-dire dès le XIXème siècle, voilà qui était et qui demeure, par définition, impossible car l'unité de temps ne l'autorise guère. C'est le ressenti intime, inconscient presque, d'une personne dans une époque qui est perceptible dans le roman.

Le roman peut toucher à l'essai (L'homme sans Qualités de Robert Musil, Les Somnambules de Hermann Broch, par exemples), le roman peut laisser parler une foule de narrateurs qui donnent chacun leur point de vue sur une même série d'événements (e. g. Les Liaisons Dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos, Tandis que J'Agonise de William Faulkner).

Le roman parle des vraies gens et de leurs problèmes très prosaïques : Don Quichotte a beaucoup de problèmes avec ses dents tandis que les héros de l'Iliade ont tous des sourires parfaits ; c'est ce qui distingue le roman de l'épopée ou de la Saga. le roman ne s'interdit pas de diluer ce qui n'est à l'origine qu'une blague pour en analyser tous les ressorts sociétaux : Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert est le sujet d'une plaisanterie qu'on aurait entièrement dilué et disséqué. Même chose pour le Procès de Franz Kafka. le but n'est plus ici d'appuyer sur le comique mais d'analyser en profondeur ce que le comique ne fait que suggérer.

Bref, le roman est à même de saisir toutes les composantes de la vie, même l'ennui, même le gore, même le trivial, même la bêtise moyenne, même la pensée fugace, même l'art de se faire un thé, même les fantasmes ou les pulsions non assouvies, même les non-conscientes : il n'est ni poésie, ni théâtre, ni essai, ni traité, ni jeu, car il est tout cela à la fois et parfois, même, simultanément.

Le romancier est celui qui peut — ET QUI DOIT — écarter ou déchirer le rideau qui dissimule un aspect de ce qui pourrait nous empêcher d'aller au fond des choses. En somme, pour paraphraser Marcel Proust, le romancier est un genre d'opticien qui passe son temps à imaginer de nouveaux modèles de lunettes pour toujours mieux percevoir le monde.

En somme, d'après moi, un grand essai, mais bien évidemment, ceci n'est qu'un avis derrière un rideau, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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