AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Robert Kanters (Préfacier, etc.)Jean Marchand (Éditeur scientifique)Louis Martin-Chauffier (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070103010
995 pages
Gallimard (29/03/1935)
4.39/5   9 notes
Résumé :

Ce volume contient les oeuvres suivantes : Portraits - Mémoires - Traités - Maximes - Réflexions diverses - Fragment autographe pour Zaïde - Correspondance - Testaments olographes - Témoignages des contemporains. Édition de Louis Martin-Chauffier, introduction de Robert Kanters. Édition revue et augmentée par Jean Marchand.

Que lire après Oeuvres complètesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
En attendant Nietzsche

Il est véritablement difficile d'étiqueter François de la Rochefoucauld (1613-1680) au regard de ce que fut sa vie.

Né prince de Marcillac, il devint à la mort de son père duc De La Rochefoucauld, c'est-à-dire membre de la fine fleur de la noblesse française.
A ce titre, il combattit d'abord sous le règne de Louis XIII contre différentes armées étrangères puis fut très impliqué dans les affrontements lors des événements de la Fronde, cette guerre ouverte au sein de la noblesse pour s'opposer à Louis XIV, au début de son règne. La Rochefoucauld fut par conséquent en premier lieu un homme de guerre rompu aux chevauchées, sièges et intrigues pour négocier, faire, défaire les alliances.
Dans cette période fort troublée et violente il convient de rappeler que les stratégies, intérêts n'étaient pas celles attachées aux États que nous connaissons aujourd'hui. Les principes de loyauté nationaliste n'existaient pas, en tout cas pas dans l'expression contemporaine.
Ainsi selon les péripéties, La Rochefoucauld, pu se retrouver combattre ou être de facto allié de troupes espagnoles présentes sur ce qui était alors le territoire du royaume de France.

Mais il était aussi à l'aise pour manier l'épée que la plume. Avec ce profil il fut une sorte de double d'un fameux contemporain, Savignien de Cyrano (1619-1655) immortalisé par Edmond Rostand comme Cyrano de Bergerac dans sa pièce de théâtre, chef d'oeuvre absolu.

Cet ouvrage « Oeuvres complètes » regroupe l'ensemble des écrits, majoritairement en prose et accessoirement en poésie, avec comme pièce(s) principale(s), les fameuses « Maximes », dans toutes ses versions.
Les autres pièces ont un intérêt historique, pas dans l'exposé de faits majeurs de l'Histoire mais par une immersion dans les coulisses de la noblesse lors de ces événements de la Fronde.
Le lecteur découvre ainsi par exemple les enjeux, qui semblaient très importants, de l'attribution, ou non, d'un tabouret auprès de la Reine au profit de l'épouse De La Rochefoucauld.
Mais il doit être constaté, qu'à moins d'être un expert doctorant sur la période, qu'il est souvent difficile d'apprécier les véritables enjeux qui s'attachent aux péripéties, tour à tour minutieusement retranscrites ou évoquées de façon lapidaires ; il en est de même quant à l'importance de chacun(e) très nombreux acteurs mentionnés.
De surcroît, le style encore partiellement écrit dans la forme du « vieux français » privilégie de longues phrases qui nécessitent de la part du lecteur contemporain une concentration importante, laquelle concentration n'empêche pas régulièrement de perdre le fil. En tout cas, ce fut le cas en ce qui me concerne.
Par contraste, les « Maximes » se suffisent à elles-mêmes, il s'agit d'aphorismes d'une parfaite clarté.

Sur le fond, au-delà des singularités, on peut appréhender globalement, même s'il n'est jamais cité, une opposition frontale implicite à Descartes (1596-1650). Pour La Rochefoucauld il existe une absence de possibilité de se connaître soi. Par ailleurs, il rejoint sans le savoir, sur un point fondamental son contemporain Spinoza (1632-1677), l'oeuvre de ce dernier n'ayant pas éditée de son vivant. Pour les deux penseurs, le libre arbitre est une illusion ; c'est notamment le cas en matière de relations affectives.

« Comme on n'est jamais libre d'aimer ou de n'aimer pas, on ne peut se plaindre avec justice de la cruauté d'une maîtresse, ni de légèreté de son amant. » (p. 316) 

Il est ainsi proposé une destruction des certitudes dans le comportement de l'homme en société.
Et le principe actif serait en réalité l'amour propre.
Cette révélation ouvrait à l'origine les « Maximes » dans un long développement déplacé au milieu des différentes éditions publiées.

« L'amour propre est l'amour de soi-même, et de toutes choses pour soi ; il est le plus habile homme du monde ; il rende les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens.
Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers, que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre.
Rien n'est si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. (…) (p. 318 « Édition hollandaise » p. 356 « Manuscrit Liancourt » et maxime supprimée p. 487).

Le corollaire est que la vertu n'est qu'apparence et ne correspond pas à une motivation sincère. Elle n'est présente que lorsqu'elle est susceptible de servir les intérêts de l'individu.

« L'humilité est une feinte soumission, que nous employons pour soumettre effectivement tout le monde. C'est un mouvement de l'orgueil, par lequel il s'abaisse devant les hommes, pour s'élever sur eux. » (p. 305)

La vertu est en fait intimement liée au vice, que l'on ne peut maîtriser.

«Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons entrent dans la composition des remèdes de médecine : la prudence les assemble, et les tempère, et elle s'en sert utilement, contre les maux de la vie. » (p. 301)

La démolition des apparences de la raison emporte aussi ceux qui sont réputés pénétrés de la sagesse, les philosophes. La sagesse est un masque du ressentiment.

« Le mépris des richesses, dans les philosophes, était un désir caché de venger leur mérite de l'injustice de la fortune, par le mépris des mêmes biens, dont elle les privait. C'était un secret qu'ils avaient trouvé, pour se dédommager de l'avilissement de la pauvreté. C'était enfin un chemin détourné, pour aller à la considération, qu'ils ne pouvaient avoir par les richesses. » (p. 330).

Impossible de ne pas établir un rapprochement avec Nietzsche :
«La révolte des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment lui-même devient créateur et enfante des valeurs. (...)

'L'homme du ressentiment n'est ni franc, ni naïf, ni loyal envers lui-même. (…)
(...) On reconnaît un philosophe à ce qu'il évite trois choses brillantes et bruyantes : la gloire, les princes et les femmes, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne viennent pas à lui. Il fuit la lumière du jour (…) »
(« La généalogie de la morale »-Première dissertation p. 45 et 48-Troisième dissertation p. 164 et 173)

« C'est ce qu'on fait et qu'on a toujours fait à propos de toute religion, de toute morale régnantes : les mobiles et les intentions qui se cachent derrière l'habitude sont toujours inventés coup par mensonge dès que commence à combattre l'habitude, à en scruter les intentions et les raisons.
C'est là la grande mauvaise foi des conservateurs de tous les temps : ce sont des ajouteurs de mensonges. » (« Le gai savoir » p. 75)

En amont de ces « Maximes », il convient de souligner le legs de Montaigne (1533-1592) auprès duquel l'auteur a beaucoup emprunté, en premier lieu, quant à la sincérité de vertus spirituelles affichées communément.

« Je ne trouve aucune qualité si aysée à contrefaire, que la dévotion, si on n'y confirme les moeurs et la vie ; son essence est abstruse et occulte, les apparences faciles et pompeuses. » (Les Essais-« Du repentir » livre III p. 854 et 1595 éd La Pléiade)  

Dans ces « Essais » cette alchimie vice/vertu, précédemment évoquée, avait déjà fixé l'attention du sage périgourdin.

« La faiblesse de nostre condition, fait que les choses en leur simplicité et pureté naturelle ne puyissent pas tomber en nostre usage.
Les elemens qu nous jouyssons, sont alterez : et les metaux de mesme, et l'or, il le faut empirer par quelque autre matiere, pour l'accomoder à nostre service. Ny la vertu ainsi simple, qu'Ariston et Pyrrho, et encore les Stoïciens faisaient fin de la vie, n'y a peu servir sans composition ; ny la volupté Cyréanique et Aristipique.
Des plaisirs, et biens que nous avons, il n'en est aucun exempt de quelque meslange de mal et d'incommodité. » (Les Essais « Nous ne gardons rien de pur» livre II p. 711 ed 1595 éd La Pléiade)  

A propos d'emprunts, il est établi que Mme de Sablé a parallèlement rédigé ses « Maximes ». La correspondance intégrée dans ces « Oeuvres complètes » permet de constater que les deux acteurs ont échangé, au moins une partie de leur production, réfléchi sur l'élaboration de leurs créations respectives. Dans ce contexte, on peut légitimement s'interroger sur le « recyclage » des « Maximes » de Mme de Sablé que La Rochefoucauld aurait pu mettre en oeuvre. Il est vrai que le principe de « propriété intellectuelle » n'avait pas la même signification qu'aujourd'hui, et n'existait d'ailleurs sans doute pas vraiment ; cela n'excuserait pas naturellement un pillage des écrits. Seul un expert, que je suis loin d'être, pourrait se pencher sur cette question des relations intellectuelles Mme de Sablé-La Rochefoucauld.

Naturellement, on n'est pas obligé d'agréer ces « Maximes ». le problème ne vient pas de leur grande concision ; dans une forme très proche, les pensées de Marc Aurèle ou de Confucius sont profondément éclairantes et pénétrantes.
Alors que celles-ci ont infusé, ces « Maximes », en dépit d'un style soigné, donnent parfois l'impression d'avoir été découpées à la hache, à la va vite sur un bout de table rustique (ou plutôt sur un billot ?) sous une tente lors d'un bivouac de campagne militaire.

Certes, Nietzsche ne fait pas toujours dans la dentelle, c'est un euphémisme. Mais le lecteur dispose d'un corpus d'oeuvres relativement conséquent qui permet d'affiner, de préciser la pensée du philosophe moustachu.

Il convient de ne pas perdre de vue le contexte historique dans lequel ces « Maximes » ont été rédigées. Les fortunes, les rangs dans la haute noblesse se faisaient, se défaisaient selon des codes du paraître et non pas de l'être. La disgrâce, avec des exils, des emprisonnements le cas échéant, pouvait frapper les plus grands sans préavis, sans état de droit pour espoir que le bon vouloir du roi. Il n'est pas surprenant qu'un témoin et acteur aussi investi comme La Rochefoucauld dans un théâtre de jeux de rôles ait en quelque sorte modélisé et universalisé son vécu.

Trait d'union entre Montaigne et Nietzsche, La Rochefoucauld, n'a cependant pas tout l'immense relief philosophique de ceux-ci. Mais son oeuvre et sa vie méritent beaucoup mieux que l'oubli dans lequel elles semblent avoir été précipitées.
Commenter  J’apprécie          60

Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
L’HOMME ET SON IMAGE
Pour M.L.D.D.L.R. ( Monsieur le duc de La Rochefoucauld )

Un Homme qui s'aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde.
Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos Dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galands,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure ;
Mais un canal formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés ;
Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau ;
Mais quoi ? Le canal est si beau,
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous, et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.
Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même ;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes ;
Et quant au canal, c'est celui
Que chacun sait : le livre des Maximes.


Fable de La Fontaine à La Rochefoucauld
Témoignages des contemporains
Commenter  J’apprécie          102
Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres.

31. De Reflexions ou Sentences et Maximes morales - Edition de 1678
Commenter  J’apprécie          373
J'aime la lecture en général ; celle où il se trouve quelque chose qui peut façonner l'esprit et fortifier l'âme est celle que j'aime le plus.

Surtout, j'ai une extrême satisfaction à lire avec une personne d'esprit ; car de cette sorte on réfléchit à tous moments sur ce qu'on lit et des réflexions que l'on fait il se forme une conversation la plus agréable du monde et la plus utile.

(p. 5)
Commenter  J’apprécie          40
On ne souhaite jamais ardemment ce qu'on ne souhaite que par raison. (469)
- Edition de 1678
Commenter  J’apprécie          120
Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s'ennuient point d'être ensemble, c'est qu'ils parlent toujours d'eux-mêmes. (312)
- Edition de 1678
Commenter  J’apprécie          70

Lire un extrait
autres livres classés : classiqueVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (30) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11109 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *}