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EAN : 9782858021833
184 pages
Editions L'Harmattan (01/09/1990)
4.08/5   6 notes
Résumé :
En juillet 1980, Abdellatif Laâbi était libéré après huit ans et demi d'emprisonnement sur les dix auxquels il avait été condamné, pour "atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat", en clair, pour "délit d'opinion".
Pendant ces années noires, "écrire, écrire, ne jamais cesser", comme un battement de coeur, comme une présence indissociée des flux vitaux qui portent aux lèvres le permanent poème, fait de tous les poèmes arrachés au silence obligatoire. En témoig... >Voir plus
Que lire après Sous le bâillon, le poèmeVoir plus
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
6 HEURES



On le surnommait le Simple d'esprit

11 était connu dans toute la forêt

et sur le bord de l'autoroute

À n'importe quelle saison

il se levait tôt

pour chercher des truffes ramasser des glands

des champignons

ou simplement du bois mort

Les automobilistes le croisaient souvent

qui tendait un seau rempli

du produit de son ramassage

et qu'il vendait pour presque rien

Les enfants du voisinage

le taquinaient sans l'accabler

et même le garde forestier fermait l'œil

quand il l'apercevait à des heures impossibles

se faufilant comme un renard parmi les arbres

Il avait la soixantaine

une barbe blanche couvrait son visage

Seuls ses yeux de faucon

luisaient au milieu de cette tête de prophète

déchu

Chaque matin

un sac de jute sur l'épaule

il s'engouffrait dans la forêt

et chaque jour

la peur le tenaillait

C'est qu'il craignait la forêt

dispensatrice de son pain quotidien

Il la croyait habitée maudite

depuis ce jour lointain ô si lointain

du temps où les Chrétiens

étaient les « maîtres de l'Heure »

et où il les avait vus

amener un homme

l'attacher à un arbre

faire feu sur lui

Le sang avait coulé dans la forêt

Cet homme

il le sut plus tard

était mort

pour que les étrangers ne soient plus les maîtres

pour que le pays revienne

à ses légitimes propriétaires

La même peur l'envahissait chaque jour

et le souvenir du sang

absorbé par la terre

Il s'acharnait sur un arbre écrasé

qu'il avait repéré la veille

Il cognait avec sa hache

s'attaquait uniquement aux grosses branches

éliminait les brindilles

jetait les morceaux de bois sur un tas qui grossissait

Le Simple d'esprit

travaillait depuis plus d'une heure

quand il s'arrêta

leva les yeux pour se rendre compte

de l'intensité du soleil

C'est alors qu'il les vit

entendit en même temps le bruit des moteurs

Ils étaient sept

sept camions militaires fermés

qui roulaient lentement

en formant un demi-cercle

à l'abord d'une clairière

Des jeeps apparurent

des voitures civiles

Ils s'immobilisèrent

et tout se fit rapidement

De chaque camion descendirent d'abord deux soldats

puis un homme ligoté

avec un bandeau sur les yeux

d'autres soldats

Civils et militaires

sortirent de leurs voitures

se rassemblèrent en petits groupes

Les hommes ligotés furent conduits chacun à un arbre

attachés

Des pelotons se formèrent

les mirent enjoué

Un ordre fut donné

et sept salves partirent

Un instant seulement

et les hommes furent détachés

transportés vers un camion

où ils furent jetés les uns sur les autres

La troupe s'entassa dans les autres véhicules

la foule regagna les jeeps les voitures

le cortège s'ébranla

s'éloigna à une vitesse vertigineuse

disparut derrière la forêt

Le Simple d'esprit avait vu

Il avait lâché la hache

Ses lèvres tremblaient

murmuraient des paroles

venues du fin fond de la mémoire

Les paroles devinrent de plus en plus audibles

jusqu'à se transformer en cri

Il regardait frénétiquement autour de lui

ensuite le ciel ses mains

les flaques de sang là-bas dans la clairière

sous les arbres

et brusquement il détala

courut courut

à travers la forêt

en poussant son cri jaculatoire

une seule phrase scandée

« Ils sont revenus

ils sont revenus

ils sont revenus » Personne ne

comprit d'abord le sens de ses paroles

Gongs d'annonce

tambours témoins La forêt s'est tue

pour écouter le bruissement

de sept rigoles de sang

Le fleuve coule et chuinte dans le brouillard

Battez

résonnez

battez gongs et cymbales

tambours cannibales de Sodome et

Gomorrhe narguant la justice au zénith

de leurs sévices Gongs de satrape espiègle

résonnez que sa volonté soit faite

dans cette nuit à carapace venimeuse où nous

vomissons nos tripes 0 nuit des

dupes aube de traîtrise

vous êtes entrées dans notre histoire

comme une écharde infrangible enracinée au c

entre de mémoire Notre peuple n'oubliera

pas jamais n'oubliera

Gongs d'annonce

tambours témoins battez

résonnez

battez plus fort que tam-tams hilares que tambours cannibales plus fort que gongs de tyrans Répercutez l'histoire des sept crucifiés de l'espoir

Qu'elle traverse les cités les plaines et les montagnes

Qu'elle traverse les frontières et les océans et que cette aurore sanglante devienne soleil fraternel message tragique de notre résistance

Maison centrale de Kénitra, 1975
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GRÈVE DE LA FAIM


Parlons d'ailleurs de cette grève de la faim

C'est une forme de lutte

que les hommes de ma condition

ont expérimentée au cours de la longue histoire

des mutilations

Certes c'est un acte passif

mais lorsqu'on n'a que sa poitrine nue à opposer

à l'arsenal de l'arbitraire

la seule arme qui nous reste

c'est ce souffle

irrépressible en nous

l'épuiser jusqu'à la limite extrême

risquer son extinction

pour que sauve soit notre dignité

Le soleil est fade

quand on a faim

et les nuits d'insomnie sont glaciales

On pense à tellement de choses

sérieuses ou cocasses

J'avoue que quand j'étais le moins grave

c'était l'idée des nourritures terrestres qui me tourmentait

J'imaginais un tas de bonnes choses à manger

toute ma culture gastronomique y passait

mais va, je n'ai pas honte de ces pensées-là

car ce qui domine

dans cette attente

cette croisière vers l'inconnu

c'est le sentiment de l'immense force

au sein de la faiblesse

la supériorité de celui qui résiste

face à celui qui l'opprime

Oui la vie est une arme redoutable

qui effrayera toujours

les cadavres armés

Ce qui domine

c'est encore une fois la fraternité des douleurs

La torture des affamés

c'est donc ce goût putride et blessant dans la bouche

ces yeux exorbités et froids dans le brouillard du jour

ces tripes qui se tordent et plient

sous le désespoir du vide

Ce qui domine

c'est encore une fois la fraternité des douleurs

Les idées foncent à travers la nuit

deviennent matérielles

elles ne sont pas les miennes

ou celles de l'autre ou de l'autre

mais celles

de tous les exclus du soleil

Ce qui domine

c'est encore une fois la fraternité des douleurs

car notre faim

n'est pas mirage de pactoles

n'est pas concupiscence des mégalopoles à genoux

devant le veau d'or et de stupre

notre faim est d'une nouvelle terre

habitée par des hommes nouveaux

d'un soleil partagé

sans mesure mercantile

d'une paix irrémédiable

au grand dam des bâtisseurs de différences

Aussi

en ces jours d'abstinence

c'était une fierté pour moi

que d'avoir faim

et de troubler ainsi

la misérable quiétude

des affameurs de notre peuple
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Tu te souviens…


Extrait 3

Tu vois donc
ce pigeon     ces fleurs
cette hirondelle    ces nuages
c’était le creuset où le poème
tentait à travers mille entraves ou interdits
de rejoindre
et propulser la vie
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Tu te souviens…


Extrait 2

Ou bien encore ces moments
où je guettais le vol des hirondelles
arbalètes gracieuse et acrobates
qui rejoignaient avec assurance leurs nids
et piaillaient nerveusement
comme pour demander
de dégager le passage
Parfois aussi
le ciel
cet océan du prisonnier
où les nuages sont tour à tour
lourdes caravelles fuyant des bateaux-corsaires
dragons-marins de légendes
ouvrant toutes grandes leurs gueules
hommes nus et musclés
de peintures italiennes
voguant là-haut
ailés comme dans les originaux craquelés des toiles
…………………………………………………
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Apprendre le silence
pour que nos paroles pèsent
de tout leur poids de souffrance
dire la quintessence de nos actes
sous le bandeau du bourreau
savoir déceler le bandeau
de notre propre suffisance
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Videos de Abdellatif Laâbi (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Abdellatif Laâbi
Avec douze écrivains de l'Anthologie Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle) Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps La fenêtre qui donne sur les quais n'arrête pas le cours de l'eau pas plus que la lumière n'arrête la main qui ferme les rideaux Tout juste si parfois du mur un peu de plâtre se détache un pétale touche le guéridon Il arrive aussi qu'un homme laisse tomber son corps sans réveiller personne Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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