Un des plus grands poètes de notre époque....
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Printemps
Recommencer, naître à nouveau, voilà
ce que disait le Maître, ce que nous
n'avions pas compris. Nous regardions
le ventre de la terre, les nuages, le ciel
et demeurions aveugles, tandis que l'hirondelle
revenait à sa place exacte, reprenait
possession du vent. Et nous qui de si loin
désirions partir, nous restons sur le seuil
sans savoir où aller, comme prisonniers
d'une route invisible et de la peur de perdre,
en plongeant dans la lumière d'avril,
le goût de l'eau, le parfum des ombres
et le plaisir de toujours remettre à demain.
Mais demain est un mot qui n'a pas d'avenir
sur l'échelle du vent. Regarde ta chienne
alanguie dans l'herbe : elle va mourir
et dans ses yeux voilés la lumière
immobile frémit, caresse du présent
qui passe. Le temps pour elle est une maison
vide, qui flotte dans l'écuelle du chat.
Ouvre la porte : elle applaudit
de tout son corps difforme et laid.
Elle n'attend rien hors de ton ombre,
ne possédant rien, sauf cette image de toi
qui agrandit d'un coup l'espace
et fait rebondir la terre, à ton appel.
L’OR BLEU
« Non, les larmes n’arrêtent pas de couler
sur la Terre , ni les cris de retentir.
Collines et cloisons nous défendent seulement
des corps qui vont avec et se défont
et les fleuves larges et paisibles , et les nuées
entraînent la douleur au loin. Mais à peine
la maison comme un mouchoir refermée
sur son carré d’amertume .
comme la tasse de café brulant et le verre
de schnaps semblent soudain lourds !
Et si froide , inutile et petite la main
qui dilapidait la lumière sur ta peau
comme le ciel son or bleu sur la mer » …
« Dire que nous avons cru au bonheur
comme les gosses battant pavillon
sur un peu d’eau croupie dans l’arrière - cour
——-Ils savent qu’un rien suffirait
à renverser la mer sur sa quille ,
mais font comme si en attendant
qu’une vague plus haute et qui blesse
leur enlève le goût
de tutoyer l’éternité .Nous aussi ,
nous avons cru que la terre tournait
entre nos bras, et tournerait toujours
commme le soleil autour du pommier
———ô paisible torpeur, quand déjà
le ver était sous l’écorce ,
affûtés les outils dans la remise ardente
et le sang bouillonnant dans les muscles
des équarrisseurs des rêves » ….
LES DERNIÈRES PIÈCES
« Comme ceux qui crurent un jour dépasser l’horizon
et qui, le geste Las, ne parlent plus qu’avec leur chien ,
tu répètes que le bonheur est plein de vide
et qu’on a beau crier contre les murs sournois ,
l’herbe demeure le chemin le plus tendre
vers l’abattoir ——- et le boucher peut encore
caresser sa femme avec des mains de soie
Et tu cries , oui, tu cries , mais de plus en plus bas :
bonheur, bonheur , comme on jette,
couché sur la margelle du ciel ,
ses dernières pièces dans le bleu qui bouge :
ces yeux que rien ne comble plus
sinon dans la nuit des amants outragés
la sourde et lente montée des larmes » ….
Faux Départ
« Penser qu’on aurait pu devenir cela aussi :
des héros, le visage resplendissant
et le cours couturé de blessures ,
Alexandre aux portes d’Ecbatane , Colomb ou ——
Penser cela ici, dans l’herbe abandonnée
au piétinement des bœufs sombres ,
et piétiner comme eux, l’âme assourdie ,
mais l’œil prêt à ce qui doit venir
tôt ou tard, n’importe : qui viendra ,
étant donné le point d’origine , l’axe,
l’uniformité du mouvement et de la vitesse
avec laquelle comme un noyé
nous déglutissons nos échecs et nos ruines » .
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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