Inventer le désir est le titre donné par l'auteur
Camille Laurens à l'édition Quarto, qui regroupe plusieurs de ses textes et livres. Dans une préface intitulée "Tout ce qui de mon coeur fut l'unique désir" (suivie d'un album photo de sa famille),
Camille Laurens explique comment elle a fait le choix de ces oeuvres pour cette édition chez Gallimard, oeuvres présentées dans un ordre chronologique, avec pour fils conducteurs
l'amour et le désir.
Après
Index, roman construit selon l'alphabet jusqu'au F du mot fin et publié en 1990 chez Pol, où l'auteur joue avec le réel et la fiction, l'auteur et le personnage (Claire découvre qu'un moment marquant de sa vie, un moment secret, a été écrit par quelqu'un et se met en quête de l'identité de cet auteur), on trouve tout de suite le récit autobiographique
Philippe. le sujet est douloureux : l'auteur nous raconte la mort de son fils, son premier enfant qui n'a vécu que deux heures. le récit est construit en trois parties : d'abord, "Souffrir", où elle nous dit l'immense douleur de perdre un nouveau-né ; puis "Comprendre" nous explique la grossesse et le jour de l'accouchement, qui devient jour de deuil ; "Écrire", c'est que faire de cette mort (l'écriture comme consolation impossible...).
Racontant les choses comme elles se sont passées,
Camille Laurens a été obligée de maquiller certains noms (sauf le prénom de son fils) car le bébé est mort à cause de la négligence et de la suffisance d'un obstétricien, personnage odieux auquel elle se heurte et qui réfute ses responsabilités. Ce court texte en trois parties est fait de beaucoup de souffrance, le lecteur la ressent et le livre contient vraiment la plaie. L'auteur y narre le deuil, les réactions des autres, les "ce n'est pas grave, vous en ferez un autre" puisque la douleur de perdre un enfant qu'on n'a pas connu semble minimisée.
Camille Laurens dit pourtant que perdre un nouveau-né, c'est perdre aussi tout ce qu'on avait projeté en lui,
l'avenir.
Ce texte est placé au début du recueil car c'est à partir de lui que l'auteur a décidé de dire "je" dans ses textes. La mort de cet enfant lui a donné la direction de l'autofiction, genre dans lequel
Camille Laurens est associée.
Camille Laurens dit d'ailleurs que ce texte relève du journal intime. Si certains noms ont été déguisés, c'est parce que dénoncer le médecin et l'équipe auraient pu conduire à un procès pour diffamation (l'hôpital n'a pas reconnu de faute médicale de l'accoucheur...). Des années plus tard, elle transformera ce texte en roman, elle en fera une partie de
Fille (2020). Là, même
Philippe est rebaptisé Tristan ( l'auteur en Blanchefleur de Tristan et Iseult : "Triste j'accouche"... mais c'est l'enfant qui meurt à la naissance, ici, pas la parturiente). Les faits sont les mêmes, mais ils sont
romancés, et ils servent leur sujet puisque ce texte se propose de réfléchir sur ce qu'est être une
fille. Et cette transposition rend les choses plus éloignées, moins poignantes, alors que dans
Philippe, on sentait la douleur à vif. Quinze ans ont passé... et le roman a succédé au carnet intime.
Philippe revient dans presque tous les textes, d'une manière ou d'une autre, comme le pilier de l'écriture, le summum de
l'amour.
(...)
Quelques textes, en annexe, précisent le but d'Inventer le désir.
Camille Laurens répond à deux longues interviews ; elle livre un texte, le Couple,
ni toi, ni moi (2007), qui est intéressant et fait regretter qu'elle n'ait pas choisi de faire figurer dans ce recueil sur le désir
Ni toi ni moi, roman qui raconte l'usure de
l'amour et la rupture. le titre du roman fait référence au recueil de poèmes à succès,
Toi et moi (1912) de
Paul Géraldy, que lisait l'arrière-grand-mère de l'auteur et qu'elle évoque dans
L'Amour, roman.
"Aux âmes désirantes" (2004) nous révèle que son idéal masculin, c'est Hercule, mais non pas dans toute sa force et sa virilité, mais dans cette fragilité qu'il montre en acceptant de se mettre au service d'Eurysthée, après avoir assassiné sa famille. Elle raconte aussi ("Ce que ça cache", 2013) ce qu'elle avait annoncé en tête de livre, par la citation de
Julia Kristeva, en quoi l'analyse fait aussi partie de son oeuvre.
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