C'est de Kerrod, sa maison du Faou, qu'écrit
Philippe le Guillou. Confiné au Faou, entouré de solitude, dans une atmosphère propice à la méditation, avec sous les yeux sa Bretagne tant affectionnée, qu'il a ressenti, comme une nécessité devant le temps qui passe, le besoin d'écrire ses réminiscences enfouies, son enfance en Bretagne dans les années 60.
On retrouve les mêmes motivations que celles qui l'ont incité à consigner le souvenir de ses grands-parents dans «
Les marées du Faou ». Ce fut le livre de « la rencontre » et la plume poétique de Philippe le Guillou m'a enchantée, marquée à tout jamais.
Avec PLG, je retisse les liens avec mon passé et ses fantômes, je redécouvre la magie des contes et légendes, des lieux que j'ai parcouru, des vieilles photographies de famille où mes aïeux portent le costume traditionnel. La Bretagne prend vie sous mes yeux, les odeurs, les bruits, n'ont plus la même saveur, ils sont porteurs d'affect. Auparavant, je fuyais l'austérité de cette terre très dure, cette misère qui touchait des familles. PLG en explorant la mémoire de l'enfance, sait m'emporter dans un ailleurs où je peux rêver, où mon imaginaire s'imprègne de beauté et communie avec la mer iodée, les rafales de vent, la vraie nature sauvage et exit mes angoisses!
A l'école primaire, PLG se prenait à rêver devant les cartes de géographie murales de sa classe. Poussé par une certaine jubilation, ses mains tentaient de dessiner cette péninsule avec tout ce qui la compose : son peuple, ses landes, ses forets, ses rivières, ses plateaux de granit. La Bretagne habitait son coeur d'enfant. de cette évocation chargée d'amour, PLG nous restitue, quelques décennies plus tard, entre autobiographie, introspection, et récits de légendes, son testament breton emprunt d'émotion. Il nous transmet quelque chose de charnel, entre rêverie et réalité, sublimé par une écriture magnifique !
Nul mieux que
Philippe le Guillou pour décrire ce paysage breton, foulé par les celtes, au cinquième siècle de notre ère, venus du pays de Galles et d'Irlande pour christianiser cette « proue accidentée et rugueuse qui s'enfonce dans l'Océan ».
PLG crée une rêverie infinie. C'est un enchantement, une véritable communion avec les quatre éléments qu'il décline, exorcise ses peurs d'enfant, s'inspirant des forces en présence à la façon de
Bachelard mais toujours chargé de poésie entre ces deux opposés, la forêt et la mer.
De sa plume, il se dégage des descriptions d'un tel réalisme que l'on peut entendre le frémissement du vent dans les branches. On se retrouve en ciré à admirer un soir d'orage, le déferlement des vagues qui viennent se jeter sur les rochers, prêtes à submerger la terre. On imagine l'église du Faou avec sa terrasse circulaire qui surplombe le port où tous les anciens au passé de marins viennent admirer les marées comme son grand-père Gabriel.
Et que dire de l'Ankou avec son charroi où certaines nuits, on peut entendre les essieux grincer (c'est pour notre amie@Sachka).Toujours à la frontière qui sépare les vivants et les morts, on sent la présence d'un culte presque païen dans les traces des pratiques anciennes qui devaient rassurer les vivants et vénérer les disparus.
Les forêts qui recouvrent la Bretagne ont inspiré moult contes et légendes, elles portent en elles, les fantasmes, les peurs des voyageurs qui s'égarent, de ceux qui sont détroussées comme dans la forêt du Cranou, la plus grande du Finistère. En glissant jusqu'au Morbihan, on ne peut ne pas s'arrêter dans la mythique Brocéliande, magnifiée par
Chrétien de Troyes et ses chevaliers en quête du Graal, pour mieux y transposer la légende arthurienne.
Habiter en Finistère – là où finit la terre - engendre le mystère comme cette nuit effroyable, secouée par des rafales d'une violence inouïe où la ville d'YS fut ensevelie par l'Océan, dans la baie de Douarnenez afin de punir la princesse Dahut. On pourrait presqu'imaginer que le continent s'arrête là, lieu ultime qui peut se prêter à toutes les légendes, serait-ce le domaine de l'Autre monde.
Il suffit de s'éloigner plus loin dans les terres pour prendre conscience de ce que représente le déracinement, de l'importance d'un lieu, d'un endroit, un coin de terre qui devient le symbole de notre représentation du monde. PLG évoque son admiration pour Gracq,
Le Braz et pour les peintres Méheut et
Yves Tanguy, ces artistes qu'il a découvert alors qu'étudiant, dans les années 70, il se sentait en exil dans cette grande ville de Rennes. Mais comme dans tout désert intérieur, il y a des rencontres qui apportent un peu de lumière et c'est dans une librairie « Les nourritures terrestres » que PLG va trouver son havre de paix.
« C'est une autre conscience qui se forge ainsi, plus secrète, plus rêveuse, indissolublement liée à un imaginaire esthétique cette fois et à cet égard, Gracq,
Le Braz, Tanguy auront été des intercesseurs décisifs. Ils me font soudain mesurer l'importance et la richesse d'un univers que j'ai tout juste effleuré alors qu'il dort en moi » - page 115
PLG songe aussi à l'évolution des pratiques religieuses dont le sens se perd au profit d'une modernité qui s'apparente plus à des représentations pour touriste. Son esprit critique nous donne aussi à réfléchir sur cette perte de sens qui gangrène aujourd'hui tous les domaines.
Modernité oblige, l'atroce formica aidant, il y a ce chapitre où il retrace le moment où sa maman a remisé subitement la vaisselle de chez Henriot, un pichet de chez Fouillent, toutes ces « bretonneries » qui lui ont été offertes le jour de son mariage et dont elle veut se libérer. Aujourd'hui, PLG de nouveau chine sur les brocantes pour retrouver cette vaisselle qui le relie à un passé figuré qu'il n'a pas connu et j'ai beaucoup souri, chez moi, toutes ces « bretonneries » ont trouvé leur place. Ce n'est pas un musée, loin de là, mais j'ai conservé quelques vestiges de chez Henriot qui rehaussent un intérieur blanc méditerranéen et moderne. N'ayant aucune racine côté maternelle, je crois que je m'attache à ce qui me donne une identité, ma branche paternelle.
Lire ce « Testament breton » suscite une expérience émotionnelle qui vous entraîne dans une belle promenade au bord de la rivière du Faou, sur la grève de Lanvoy, dans la forêt du Cranou jusqu'au passage de l'Aulne, la plage de Telgruc-sur-mer, la magnifique baie de Douarnenez, sur les grèves de Landevennec et les impressionnants Monts d'Arrée. Une songerie à nulle autre pareille, un texte superbe qui magnifie la Bretagne dans une atmosphère de re-naissance.