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L'âme et la vie" est un choix de textes issus de l'immense oeuvre de C.G.Jung à destination de profanes, permettant d'introduire ses concepts majeurs et d'appréhender sa théorie psychologique.
Les paragraphes et chapitres sont agencés intelligement, offrant une certaine fluidité de lecture malgré la densité déconcertante de l'ensemble.
Dans sa conception de l'âme, Jung tente de saisir la totalité de l'être humain. La part consciente, accessible via la raison et l'intellect n'est plus à présenter. La modernité en a fait les maitres mots et les a érigés comme étendards du progès. La part inconsciente toutefois a souvent été malmenée, réduite à un "ce n'est que" synonyme d'illusions, de supersitions et autres spéculations douteuses que la science ne peut tolérer. La psychologie de Jung tente de réhabiliter cet inconscient en illustrant son importance dans la construction des psychés individuelles et collectives ainsi que dans la construction des mythes, des concepts moraux et enfin dans le rapport à la divinité.
"Est réel ce qui agit." Que la science ne sache l'expliquer n'est nullement une raison de l'ignorer. Jung soutient également que l'âme a sa propre vie intérieure, pas toujours liée à l'expérience des sens: "que quelque chose puisse ne pas provenir de l'extérieur, mais soit pourtant vrai, voilà une vérité qui a jusqu'ici à peine commencé à poindre pour l'humanité contemporaine."
Sur le plan individuel, Jung affirme que l'objectif de tout individu devrait être l'individuation, "synonyme d'un accomplissement meilleur et plus complet des tâches collectives d'un être, une prise en coindération suffisante de ses particularités permettant d'attendre de lui qu'il soit dans l'édifice social une pierre mieux appropriée et mieux insérée que si ces mêmes particularités demeuraient négligées ou opprimées". L'individuation c'est mettre la spécificté de l'individu au service du collectif, c'est aussi le collectif au service de l'individu. Ce n'est ni individualisme qui est un égoisme restreignant ni un anihilissement dans la masse. C'est la réalisation de sa personnanité, la connaissance de son conscient et son inconscient. Un processus douloureux certes mais qui pourrait constituer le sens et le destin d'une vie. Renoncer à cet objectif aboutit en définitive à la névrose, caractérisée par des pulsions de destruction et une décadence morale.
Sur le plan collectif, les conflits et guerres extérieures de notre monde sont souvent l'émanation de conflits d'abord intérieurs, propres à l'individu. Ainsi, il faudrait d'abord changer les individus pour changer la société. L'inconscient individuel forme l'inconscient collectif qui lui même façonnera l'inconscient individuel à travers les siècles et les époques. Chaque peuple a son propre inconscient collectif, résultant de sa propre histoire, la géographie de sa terre, les mythes et symboles qu'il a créé, les traumas et succès qu'il a vécus. Cet inconscient définit en partie ses valeurs, sa morale et son système politique et social. Avis à tous les prophètes de la démocratie, combattants de la liberté et autres fanatiques illuminés qui ont ruiné des peuples et des nations au nom de valeurs prétendument universelles.
L'inconscient surgit évidemment dans le rêve qui est un révélateur et régulateur de la vie psychique intime de l'individu. Il se manifeste également chez l'artiste et le poète. C'est ce que l'on qualifie souvent d'inspiration divine qui fait de ces derniers les propres instruments de leurs oeuvres, au service de l'humanité. A ce propos, l'artiste est pour Jung celui qui réveille l'inconscient collectif du peuple, celui qui répond aux besoins psychiques enfouis de son public. Une sorte de pulsion de vie s'empare de l'artiste et l'utilise comme moyen de communication avec l'esprit du temps et avec ses contemporains. En ce sens, le chef d'oeuvre artistique saisit l'âme et la transporte au delà du rationnel.
Enfin, l'inconscient a produit à travers l'histoire de l'humanité des mythes et des symboles résultant souvent de projections psychiques et révélant les besoins spirituels de l'âme. le besoin de croire dont découle le divin en est l'illustration majeure. Si la modernité a parachevé "la mort de Dieu", les mécanismes de l'inconscient, fruits de l'évolution et hérités de nos ancêtres primitifs n'ont pas été anéantis pour autant. Pour Jung, l'homme moderne ayant aboli les anciennes images peut tout de même accéder à la grâce par une expérience spirituelle immédiate, directe et libérée des anciens intermédiaires (Eglise).
Eprouver la plénitude de l'être nécessite d'éprouver la plénitude de la vie et d'osciller entre les contraires: conscient et inconscient, intérieur et extérieur, intellect et sensibilité, sagesse et folie, lumière et ombre. C'est la condition sine qua non de la "naissance de l'homme spirituel" et de l'accomplissement de "sa propre totalité."