Merci à Babelio et aux Éditions Inculte de m'avoir permis dans le cadre d'une Masse Critique de retrouver
German Maggiori, écrivain argentin, dont j'avais fait connaissance à l'occasion de la sortie de son premier roman intitulé - Entre hommes -.
Ce qui m'a frappé en premier, et j'y reviendrai, c'est la métamorphose caméléonesque de la plume de cet auteur qui, de tranchante comme du silex qu'elle était dans son premier ouvrage, affilée comme "un papillon aux ailes ensanglantées", froide comme la lucidité peut l'être lorsqu'elle se défait d'une inutile empathie, désabusée exsangue comme vous oblige à le devenir un pays qui oscille en permanence entre la tragédie et le Grand Guignol, se transforme dans son dernier bouquin en une plume à l'écriture habitée, "habillée", torrentueuse, sensuelle, délirante, angoissée, pathétique, interpelLante, maîtresse d'un humour et d'un rire que sont les oripeaux de la désespérance ou de la rébellion...
La seconde surprise, c'est l'originalité narrative, son mobile, sa forme et sa structure, prétextée par G. Maggiori.
1993, étudiant en quatrième année d'odontologie, il a, comme beaucoup d'étudiants, un job d'appoint dans une agence de production de vidéos, Vidéo Time. C'est là qu'il fait la connaissance d'un autre employé... "qui fait de la poésie", Edgardo Caprano, lequel va lui confier ses cahiers... et disparaître.
Pour tenter de le retrouver et le faire connaître, Maggiori va publier ses écrits...sous son nom à lui... mais non sans s'être au préalable entouré de toutes les précautions légales pour ne pas s'exposer aux risques et aux conséquences du plagiat.
Caprano ne réapparaît pas.
Maggiori décide alors d'utiliser le désordre, le fouillis des 11 cahiers du poète "volatilisé" pour écrire et publier -
Egotrip -.
Pas mal comme trouvaille, non ?
Donc Edgardo Caprano, qui fait de la poésie, doit, pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, travailler comme employé dans une compagnie d'assurance, "Consumar". Son travail consiste à ... il va vous le dire lui-même : "je dois faire face, huit heures durant, à un défilé de proches de malades en phase terminale auxquels je suis contraint d'annoncer que l'établissement ne paiera pas la nouvelle hospitalisation, ou le tout nouveau traitement oncologique qui pourrait les guérir, ou leur nouvelle prothèse de hanche, qu'il ne prendra même pas en charge un putain de peso de leurs poches de colostomie pleines de merde. Je suis un oiseau de mauvais augure, ce que, dans le milieu, on appelle un corbeau. Je suis là pour rappeler aux adhérents les limites des contrats qu'ils ont signés, leur lire les clauses inscrites en petits caractères, celles auxquelles ils n'avaient pas fait attention. Je suis celui qui doit affronter la souffrance, les larmes, les insultes, la résignation, et je dois faire ça avec une gueule de circonstance, impliqué dans mon job tout en tenant compte du moment difficile que mon interlocuteur est en train de traverser. C'est ce qu'ils avaient demandé, ce pour quoi j'avais été embauché : pour mon excellent niveau de communication, mon attitude proactive et dynamique."
Edgardo travaille au deuxième sous-sol, les murs sont insonorisés... Là, les cris, les pleurs ne s'entendent pas.
Edgardo est l'époux séparé de Patricia, une adepte du body-building, des stéroïdes, de l'ordre et du fric.
Il a une fille de sept ans, Mimi, qu'il ne peut voir que tous les quinze jours, que contre rançon ou disons pension alimentaire.
Alors Edgardo seul, paumé, boit et se came. Il boit comme un trou et a la défonce persistante.
Lors d'un de ses voyages en Toxicoland, il larcine et doit prendre la tagente.
C'est le début de son road-
egotrip.
C'est le début d'un voyage initiatique, d'une quête, d'une descente aux Enfers au-dessus duquel ou de laquelle planent les ombres du "grand Jack" ( Kerouac pour les non avertis) et de
Dante franchissant "la porte maudite".
Chaque rencontre est une "dégringolade", une épreuve qui s'ajoute à ce parcours où les descentes d'acide laissent toujours des traces douloureuses.
C'est aussi pour Caprano-Maggiori, l'occasion d'aborder, comme dans - Entre hommes - les thèmes sociétaux qui ont et continuent de traverser l'Argentine, la corruption, la misère, la délinquance, la drogue, l'insécurité, la violence, le passé péroniste avec l'accueil des nazis, la dictature et la révolution, les Malouines, la globalisation et ses conséquences sur ce pays qui est qualifié ou s'autoqualifie de "république bananière".
J'ai fait mention en introduction de l'excellente surprise qu'avait constituée l'écriture inspirée de Maggiori, et ces cahiers lui permettent dans ce roman d'échapper à un récit linéaire, à une chronologie qui eut été préjudiciable à ce trip, à cette défonce littéraire faite de ups and downs ou dit autrement, de descentes et de remontées d'acide consubstantielles à la consommation abusive de ces substances, de gueules de bois, de flashs et d'hallucinations.
J'ai cité Kerouac et
Dante, j'aurais pu ajouter Fante et
Bukowski.
Si vous lisez -
Egotrip -, et je vous le recommande, dites-vous que si vous prenez la route avec Caprano, c'est pour tenter de parvenir au bout du monde avant que le monde ne vienne à bout de vous. Que ce roman halluciné est une réussite tant narrative, que stylistique, qu'il est fort, sans concessions, plein de verve et d'esprit. Qu'il est cyanure et citron : une dope détonante !