Le parler des Livournais, large, cadencé, sonore, à la fois violent et doux, me semblait naître de l'ivresse d'un sang trop vif et trop riche. Les mots sortaient de leur bouche déjà tout faits, ronds, replets; on sentait qu'ils éprouvaient du plaisir à les prononcer, à leur donner cet accent, cette cadence, cette force. C'étaient des mots en forme de jeunes seins, de fruits mûrs et pulpeux, pêches, abricots, prunes, tomates, et ils devaient laisser au palais un parfum fort et suave. C'était peut-être le suc de ces mots qui teignait en vermeil leurs lèvres charnues. Si je fermais les yeux en les écoutant, il me semblait que je voyais jaillir de leur bouche, comme d'une corne d'abondance, un fleuve de beaux fruits mûrs; j'en goûtais moi aussi la saveur chaude et parfumée, et je pensais que la langue toscane, si noble et si maigre, prenait avec cette prononciation riche, grasse, avec cet accent chantant, avec cette cadence joyeuse, un ton cossu, presque oriental. J'imaginais Livourne comme une ville opulente, aux rues très larges, aux palais somptueux, penchée sur une mer dense, d'un azur sanglant, où les crépuscules jetaient un reflet de vigne, de jardin, de verger, le reflet d'un été d'or, d'un automne chargé de dons.
D'après un roman de Curzio Malaparte, voici une singulière histoire. En 1943, la guerre est perdue pour l'Italie. Les libérateurs américains débarquent, et les voleurs sillonnent la péninsule. Un soldat italien, Calusia, charge une énorme caisse sur le dos de son âne. Que contient cette caisse ? Mystère… Ce que l'on sait, c'est qu'il doit livrer la caisse à Naples puis rentrer chez lui, à Bergame.