Les ouvrages de Dominique Manotti sont une plongée dans les turpitudes économiques ou sociales de notre société. Ici, elle a bâti une fiction ressemblant fort (et de façon avouée dés l'entame) à la prise de contrôle d'Alstom Énergie par General Electric en 2014-2015. L'occasion de rappeler le rôle souterrain des agences d'état US (CIA, NSA…) et de la justice américaine dans la promotion des intérêts économiques américains de part le monde.
L'Oncle Sam est pragmatique. L'intérêt de son gouvernement se confond avec celui de ses entreprises. Peu importent les moyens. Espionnage massif des mails (l'affaire Snowden a montré comment la NSA espionne même les pays « amis »), manipulation de l'information (la moindre annonce financière secoue les cours de bourse), utilisation de la justice pour affaiblir les concurrents au nom d'un supposé « universalisme » judiciaire, même lorsque ni les Américains, ni leurs intérêts, ne sont en jeu…
Noria Ghozali, commandante de police, a du quitter la DCRI, poussée dehors. La voilà à diriger une petite équipe de flics de la préfecture de police en charge de la surveillance économique. Parmi les entreprises suivies au long cours figure Orstam, un fabriquant de chaudière, dont un cadre dirigeant vient d'être arrêté à New-York, accusé d'avoir participé à un processus de corruption en Indonésie. La justice américaine met la pression sur l'entreprise. Ce qui ne semble pas gêner outre-mesure le PDG, qui délègue à son âme damnée Nicolas Barot des mesures semblant s'écarter de l'intérêt de la société.
Le cadavre d'un jeune homme d'affaire français, ayant fricoté avec la mafia entre Montréal et les îles Cayman, va générer un lien inattendu avec ce qui se passe autour d'Orstam.
Corruption, chantage, manipulations… Derrière les complets-veston et les manières policées, les enjeux économiques autorisent les plus puissants à utiliser de tous les moyens pour parvenir à consolider leur hégémonie.
Au-delà d'un processus, Manotti décrit aussi le fonctionnement interne du siège d'une multinationale et dénonce l'aveuglement des pouvoirs publics français en matière d'intelligence économique. Les conseillers des ministres ont pour anciens condisciples les dirigeants des principales entreprises et iront y pantoufler dés que possible. Les intérêts individuels passent avant celui de l'État.
L'écriture est comme toujours avec Manotti d'une totale efficacité. Voilà un polar redoutable sur un milieu qui l'est tout autant...
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Rythmé, brutal, écrit au présent et nettoyé de toutes scories, Racket nous propulse dans le monde des manipulations de haut vol et de la pire des comédies humaines. Désespérant et pourtant jubilatoire.
Lire la critique sur le site : Telerama
Quand le ministre prend connaissance de la dépêche Bloomberg, le 11 septembre vers 8 heures du matin, sa première réaction est de ne pas y croire. C’est un canular, une fausse nouvelle. Quand son entourage la lui confirme, il se sent d’abord personnellement blessé, ridiculisé. Il enrage. Un géant de l’industrie française, qui joue un rôle clé dans la filière Énergie, tant dans le nucléaire que dans les énergies renouvelables, le cœur de l’économie du XXIe siècle, racheté par les Américains sous son nez, sans qu’il ait compris ce qui était en train de se passer… Ministre du Redressement productif… Une toute petite voix lui murmure : « Les signaux d’alarme existaient, nombreux », et sa rage monte encore d’un cran… Il mesure enfin l’ampleur de la catastrophe. Désastre national, désastre politique, désastre personnel. La colère ministérielle ravage tout l’étage.
Carvoux est arrivé très tôt à son bureau, ce matin, comme tous les matins. Il est donc pratiquement seul à l’étage quand il reçoit un appel de Bercy, qui lui signale l’existence et le contenu du rapport de la Direction du Renseignement parisien sur Orstam et Power Energy. Accès de rage, il renverse un vase, brise son portable en le jetant sur la table basse, puis retour progressif au calme. Il appelle Claire Goupillon, la numéro deux de PE-Europe.
– Claire, comment va ?… Je viens d’être informé de l’existence d’un rapport de la Préfecture de police de Paris sur la situation d’Orstam et les manœuvres américaines… Bercy et l’Élysée… Déposé hier… De façon officieuse, bien sûr, et je ne l’ai pas lu… Les mêmes réseaux que les tiens, à peu de choses près… D’après ce qu’on m’en a dit, bien documenté… Pas d’affolement, d’accord, mais c’est le moment de donner un coup d’accélérateur à ta vie mondaine… Le dîner rituel des énarques samedi chez Alain Minc, oui, excellente idée, un bon début… Daniel Albouy y sera ? Parfait… Non, je ne veux pas y aller, je veux éviter tout contact avec les crétins du gouvernement… Bien sûr, tu peux me joindre sur mon portable… Bon travail, Claire, on se tient au courant… Je t’embrasse.
... la stratégie d’expansion économique des Américains, qui jouent sur tous les tableaux. Ils gagnent en collaborant avec le crime et ils gagnent en le réprimant.
En ce qui concerne la vie des entreprises, le gouvernement américain considère qu'il est de son devoir de soutenir l'expansion des entreprises américaines, avec des moyens et dans des proportions qu'ici, en France, nous ne soupçonnons même pas. Depuis une quarantaine d'années, il leur a défini des objectifs. Il s'agit des domaines de l'énergie et des technologies nouvelles. Les Américains sont capables d'une constance étonnante dans leurs choix de stratégie économique. Depuis plus d'un demi-siècle, ils perdent toutes leurs guerres et gagnent tous leurs marchés.
Cette année, je m'intéresse à la stratégie d'expansion économique des Américains, qui jouent sur tous les tableaux. Ils gagnent en collaborant avec le crime et ils gagnent en le réprimant. Leur système judiciaire est fascinant.
C'est l'histoire d'un golden boy qui a vu dans la folie du monde de la finance des années 1980 l'opportunité de construire un système d'arnaque à grande échelle. C'est aussi l'histoire d'un escroc rattrapé par la justice, qui a fini ses jours dans un pénitencier de Caroline du Nord ce mercredi 14 avril. C'est en somme l'histoire d'un véritable personnage de roman. Comment Bernard Madoff est-il devenu un symbole des dérives du capitalisme financier moderne ?
Guillaume Erner reçoit Dominique Manotti, écrivaine, ancienne professeure de l'histoire économique du XIXe siècle et auteure de l'ouvrage “Le rêve de Madoff” paru en 2013 aux éditions Allia.
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