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EAN : 978B088WNTCLF
Les Arènes (10/06/2020)
3.96/5   205 notes
Résumé :
La France connaît une série d’assassinats ciblés sur des Arabes, surtout des Algériens. On les tire à vue, on leur fracasse le crâne. En six mois, plus de cinquante d’entre eux sont abattus, dont une vingtaine à Marseille, épicentre du terrorisme raciste. C’est l’histoire vraie.
Onze ans après la fin de la guerre d’Algérie, les nervis de l’OAS ont été amnistiés, beaucoup sont intégrés dans l’appareil d’État et dans la police, le Front national vient à peine d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (55) Voir plus Ajouter une critique
3,96

sur 205 notes
J'aime quand les polars s'immiscent dans les angles morts de notre histoire pour en révéler la moindre faille, qui grattent là où ça fait mal, implacablement, percutent et décillent, qui soulèvent les consciences tout en éclairant les dysfonctionnements de la société actuelle. Marseille 73 est de cette classe-là.

La guerre d'Algérie ne s'est pas arrêtée avec les accords d'Evian de 1962, elle s'est poursuivie à Marseille et alentours avec comme point culminant l'été 1973 qui a été émaillé de crimes racistes ciblés : onze morts, une vingtaine de blessés, tous algériens jusqu'à l'attentat de décembre visant le consulat d'Algérie. On leur tire à vue, on leur fracasse la tête, mais les enquêtes sont bâclées et étouffées, presque toutes classées sans suite.

Cette réalité historique terrible – qui, pour ma part, m'était totalement inconnue - Dominique Manotti a choisi de la faire découvrir de façon méthodique en immergeant totalement le lecteur dans un marigot phocéen en déployant tous les acteurs possibles : le SRPJ ( Service régional de police judiciaire ) du commissaire Daquin qui est celui qui cherche la vérité ; la Police urbaine minée par la corruption et le racisme ; l'UFRA ( Union des Français repliés d'Algérie ) aux relents d'OAS ; les syndicalistes du Mouvement des travailleurs arabes qui utilisent la grève pour dire leur colère face aux assassinats racistes ; les représentants de la justice ; les journalistes. Je me suis souvent perdue dans le foisonnement de personnages, mais l'auteure a eu la bonne idée de proposer un récapitulatif type «  qui est qui » qui m'a beaucoup servi.

Et ça pue dans ce polar bien noir, ces ratonnades oubliées soulèvent autant l'indignation que les collusions entre la police, la justice et les mouvements racistes qui regrettent le temps de la colonisation et de l'Algérie française. L'écriture sèche, sans fioritures, presque froide de l'auteure présente les faits de façon très claire, sans exagération, sans manichéisme pour permettre à la réflexion du lecteur de s'épanouir.

Faut dire que les en-têtes de chaque chapitre amplifie l'effet de réel, reproduisant des extraits de journaux ou magazines de l'époque, surtout le Quotidien de Marseille, suivant la chronologie jour après jour du récit. C'est tout simplement stupéfiant de lire que le Paris Match du 14 septembre 1973 titré «  les Bicots sont-ils dangereux ? » ou le Nouvel Observateur du même jour poser la question «  Peut-on vivre avec les Arabes » ? ».

Le roman distribue les gifles à tout va, tendu sur une crête incisive. Mais de cette flambée de violences, surnage une magnifique figure, celle du père d'un des jeunes algériens assassinés, Malek Khider. C'est par lui que l'émotion profonde arrive, ce qui fait du bien après toute la colère engendrée par les pages précédentes. Lui, le fellah pauvre de l'Oranais qui s'est enrôlé durant la Deuxième guerre mondiale aux côtés des Alliés pour fuir la misère , puis a migré définitivement à Marseille, trois garçons à élever après la mort «  d'exil » de son épouse. Dominique Manotti lui donne une dignité incroyable lorsqu'il arrive bardé de ses médailles de guerre face à un juge qui a collaboré, lui , empli de confiance car il sait qu'il va gagner et qu'on va retrouver l'assassin de son fils : «  la statue du Commandeur drapée dans les plus de l'histoire de France ».

Un excellent polar, très affuté et ostensiblement militant qui déplace avec intelligence le terrain de la critique politico-sociale vers le champ littéraire. Percutant.
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" Pan, sur le nez " , bien fait pour moi ....J'ai voulu , au bout de 100 pages de lecture passionnante , aller consulter les critiques concernant ce roman et ...bon , celle de Kirzy puis celle d'Umezzu et là, je ferme mon clapet , comme on dit vulgairement et je poursuis mon parcours dans ce Marseille qu'en 1973 , je savais placer sur la carte de France , qui me faisait rêver par sa Canebiére , qui était le Marseille de Pagnol , qui m'évoquait Fernandel ...Oui , j'avais beau avoir 20 ans ( pas majeur à l'époque ) , pour moi , Marseille , c'était une sorte d'Eden , du soleil , un accent chantant , les cigales.....Bon , j'arrête, j'en connais un qui va encore dire que mes critiques sont nulles , mièvres , qu'on se fout de mes états d'ames ....si , si . le pauvre . S'il savait à quel point je m'en moque , lui qui m' a empêché toute réponse en me bloquant . A ce sinistre courageux qui m'a insulté , et pour utiliser son langage , je dirai que je m'en" b.. les c....." ( ...que c'est laid ) de son avis . Désolé , la vulgarité ne " va pas à tout le monde " , je ne la pratique pas, contrairement ...Le Marseille de 73 , ce fut le théâtre d'atroces règlements de compte , vengeances , racisme . Et oui , la guerre d'Algérie trouvait là un terrain où toutes les rancoeurs accumulées s'abattaient sur les algériens, nourrissaient une haine sans limite .
Le bandeau du livre le note , c'est " une Histoire de la France " et , pour moi , bien plus qu'un polar , effectivement . Je ne repéterai pas ce qu'ont dit des amies et amis babeliotes , si brillamment exprimé . Tout y est . Un style sec qui s'imprime en vous , des personnages ambigus, déterminés mais pas facilement " identifiables " , pas forcément attachants , mais ...Qui aurions nous été, en ce lieu , à cette époque, dans ce contexte ? Personne ne nous le demande , personne ne nous le reproche , l'auteur nous ouvre une porte sur L Histoire , l'histoire de Marseille , l'Histoire de France , notre Histoire ...En admiration quelques années plus tard face au Vieux Port , j'ignorais naïvement qu'ici en 1973 ....
Mais je sortais de ma Creuse , proche de l'Auvergne , endroits bien " reculés " , pour certains qui aiment y situer des actions d'un autre temps ....odieuses , monstrueuses ...."Le trou du cul du monde" , quoi .... Un livre ( ? ) sur " les monstres " ..... Marseille , la presse n'en parlait pas trop non plus . Certains magazines cités n'étant pas si " diffusés " qu'on aimerait le croire aujourd'hui , les priorités financières , à l'époque et dans la région, se dirigeant plus vers la nourriture vivrière que vers la culture intellectuelle , hélas. Mais , je vous le répète, régions déshéritées mais ... fières et travailleuses .
Je remercie vraiment les auteurs de toutes ces critiques incroyablement étayées que ...Je n'aurais pas dû lire aussi vite ! Tant pis pour moi . Grand merci aussi à cette auteure qui a beaucoup travaillé et écrit un trés bon livre , et ce n'est pas que mon avis.
Amitiés ( ironiques , faut pas exagérer non plus .. ) à ce B........ qui m'a insulté( et les auvergnats dans son roman unaniment reconnu ... par une foule enthousiaste ) et m' a courageusement " bloqué " son compte . le mien lui est ouvert , comme à tous et toutes . Mais , si mes critiques lui " donnent toutes envie de vomir ( sic !) ", j'espère qu'il ne me lira pas , je ne voudrais pas lui ruiner la santé .
Je regrette mais assume mes propos .Babelio est un site de gens respectables et respectueux . On y parle de livres en toute franchise et respect et, d'accord ou pas d'accord , on y fait de belles découvertes, on y a de beaux échanges .J'aurais dû ne parler que du livre ......Mais , finalement ....S'exprimer de temps en temps et clore le bec à certains , ça fait pas de mal .....Excusez moi , et surtout , consultez les autres critiques des copains et copines ....vous ne passerez pas à côté d'un livre très bien mené.
J'avoue m'être laissé aller . Je vous prie de bien vouloir m'en excuser et , à bientôt peut - être. Je ne sais pas , on verra .
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Le nouveau Dominique Manotti renoue avec son personnage habituel, le commissaire Daquin, dans sa période marseillaise. du point de vue temporel, Marseille 73 s'inscrit entre l'avant-dernier Manotti, Racket (les débuts de Daquin à Marseille), et Sombre sentier (Daquin à Paris), le tout premier Manotti.

Marseille en 1973 connaît une résurgence des combats de la guerre d'Algérie. Des groupes de pieds noirs extrémistes estiment le temps venu de se montrer de nouveau, après les années de De Gaulle et du SAC. L'après 68 leur paraît plus porteur, les anciens du SAC ont bénéficié d'amnisties. le pouvoir a tourné la page. Mais pas ces quelques radicaux qui veulent désormais lutter contre la présence d'immigrés nord africains en France. Ces derniers sont employés le plus souvent au noir, et risquent l'expulsion s'ils ne sont pas régularisés. Leurs employeurs en profitent.
Des Algériens finissent noyés dans le port de Marseille ou visés par des tirs, dont les auteurs ne sont pas identifiés. le climat se fait tendu, lorsque survient le meurtre en plein jour d'un jeune Algérien dans le XV éme arrondissement de Marseille. La Sûreté vite arrivée sur place veut rapidement clore ce dossier, imputé à des règlements de compte au sein de la population immigrée. Daquin et son équipe, de permanence à la PJ, voient les choses autrement, mais ils ne sont pas saisis. Par contre, ils sont chargés de suivre de loin les activités d'un nouveau groupuscule de rapatriés d'Algérie, qui semble se préparer à des actions violentes. Il est demandé à Daquin de marcher sur des oeufs. Pas de vagues, pas de problèmes…

La Police urbaine et la sûreté urbaine, basées à l'Evêché, tout comme la PJ, comprennent des rapatriés d'Algérie prêts à tourner la tête lors d'une action violente, ou même d'aider les auteurs de ce type de délits. Les tenants de la place veulent maintenir l'équilibre entre toutes les forces autour du Vieux Port : criminalité corse en déclin, gros bras rapatriés d'Afrique du Nord qui ne se cachent plus, politiques qui veulent absolument nier tout racisme en ville…

Pendant que la violence monte, les travailleurs immigrés commencent à s'organiser, avec le concours des organisations de gauche, pour se faire entendre. La presse locale, elle, évite de parler des meurtres qui visent la communauté nord-africaine, et des manifestations et grèves qui s'en suivent. Seuls un journaliste engagé et un avocat idéaliste vont chercher à faire progresser les enquêtes en cours.

Le roman de Manotti est une plongée dans ces eaux troubles. Les idéaux de justice et d'action de Daquin ne conviennent pas à ce marigot. Il va encore une fois devoir avancer malgré les obstacles hiérarchiques et judiciaires.

Chaque roman de Manotti est un régal quant à la forme. Phrases ciselées, simples mais efficaces. Pensées des acteurs qui surviennent au milieu du texte. Basculements impromptus entre le « il » et le « je ». La fluidité du texte contribue grandement à l'avancée de l'action.
Le fond est un coup d'éclairage total sur une période passée sous silence, mais qui, quand on la redécouvre, constitue les prémices de beaucoup de problèmes actuels. Travailleurs immigrés qui peinent à trouver leur place. Leurs enfants qui se débrouillent comme ils peuvent. Oppositions de la guerre d'Algérie qui se renouvellent sur le territoire national.
Le récit est par moments moins vif qu'à l'accoutumée. Mais la reconstitution historique est impressionnante. Marseille 73 est un petit cours d'histoire sociale marseillaise.
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C'est l'histoire d'une rencontre ratée, entre ce roman et moi. Et pourtant, je l'avais repéré dès sa sortie, je me réjouissais de le lire, et je me préparais à l'aimer. Las, ça n'a pas pris.

L'intrigue avait tout pour me plaire : sous la forme d'un polar, Dominique Manotti raconte les assassinats d'Arabes survenus d'Août à Novembre 1973 à Marseille. J'ignorais tout de ces événements, et ce roman m'a permis de mesurer combien la Guerre d'Algérie continuait de ronger le cerveau des Pieds-Noirs rapatriés à Marseille, et de découvrir comment les politiciens de l'époque (de Defferre à Pasqua) soufflaient sur les braises pour servir leurs intérêts et ceux de leurs amis. Dans ce contexte, s'inspirant de faits réels, l'auteur brode une enquête policière autour de la mort d'un adolescent d'origine algérienne.
Cependant, la multiplicité des personnages, et les rivalités entre les différents services policiers, les nombreux clans, les associations en tous genres, se sont heurtées aux limites de mes capacités de concentration. Surtout, je n'ai pas réussi à adhérer au style de Manotti, beaucoup trop sec et journalistique à mon goût. J'ai donc eu du mal à terminer ce livre, et j'en suis vraiment déçue, d'autant que l'indignation de l'auteur face à cette page arrachée des livres d'Histoire est palpable, et que je la partage.

Mais ceci n'est que mon ressenti ; surtout, qu'il ne vous empêche pas de vous faire vous-même votre opinion, car ce roman mérite d'être lu pour qui aime gratter où ça fait un peu mal.
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j'ai hésité à lire ce polar qui présente l'histoire sociale et raciale de Marseille dans les années 1973 !
Certes, Dominique Manotti s'est servi d'un acte raciste fictionnel pour l'intérêt du récit policier mais, j'habitais encore à Marseille durant cette période car j'en suis partie l'été 83 et, même si mon quartier était résidentiel et même si j'évitais les endroits chauds de la ville phocéenne : je peux témoigner du climat délétère, de la déclaration du maire Defferre à propos des pieds-noirs qu'il " voulait rejeter à la mer" et de la main-mise de la mafia des "Guérini "..
Bref, le jeune Malek Khider est tué dans le XV ° de Marseille suite à la mort d'un traminot tombé sur la ligne 72 sous les coups d'un maghrébin, ce qui va relancer la haine des anciens de l'OAS qui n'arrivent pas admettre leur échec, de la CDM ( comité de défense des Marseillais ), de l'UFRA (union des repliés d'Algérie ).
Tout va être mis en place pour faire payer aux travailleurs arabes leur nouvelle clandestinité suite à la circulaire Marcellin-Fontanet qui fait d'eux 86 % de " sans-papiers " expulsables ( ou liquidables ) ! La chasse à l'immigré est ouverte mais la famille Khider aidée par Me Berger et par l'équipe du commissaire Daquin ( le héros de Manotti ) vont tenter d'amasser des preuves parmi les policiers du SRPJ et ceux de la la PU (police urbaine ) sise à l'Evéché qui est supervisée par le Gros Marcel et quelques flics pourris !
Le commissaire Daquin a été nommé récemment à Marseille comme le jeune inspecteur parisien Delmas, et ils sont mis " au parfum" par l'inspecteur Grimbert, plus âgé et bien introduit dans les milieux marseillais...c'est à dire dans la " bouillabaisse " des loubards, des " nervis ", des éventuels auteurs de" ratonnades " !
Les arabes vont faire grève pour paralyser l'économie de la ville, des environs et, ils vont êtres suivis à Toulon, à Paris dans leurs actions ! En 1973 : quelque chose de grave vient de naître : le racisme...qui n'est toujours pas réglé !
Un polar explosif sur l'histoire de France après les accords d'Evian de mars1962, l'arrivée des pieds-noirs en masse et le sort des travailleurs algériens !
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critiques presse (2)
Culturebox
10 juillet 2020
Son roman est passionnant : on découvre avec curiosité l'univers délétère de la police marseillaise des années 70 et avec frayeur l'indifférence incroyable dans laquelle ces crimes racistes ont pu avoir lieu.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Telerama
23 juin 2020
Passé colonial mal digéré, déni des violences policières et du racisme… Son livre, passionnant, fait étrangement écho à l’actualité.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Prologue
1973. Grasse, charmante cité provençale, ses fleurs, ses parfums, ses trente mille habitants, et son petit millier de travailleurs immigrés, souvent tunisiens, ouvriers agricoles, ouvriers du bâtiment, tous travailleurs au noir.
À l’automne 1972, le gouvernement français décide de contrôler la population immigrée beaucoup plus strictement qu’il ne l’avait fait jusqu’alors. La circulaire Marcellin-Fontanet impose aux immigrés qui souhaitent entrer sur le sol français ou qui y résident déjà d’être munis d’un contrat de travail et d’avoir un logement décent pour pouvoir obtenir un permis de séjour et, ainsi, être « régularisés ». Quatre-vingt-six pour cent des immigrés présents sur le sol français passent d’un coup de la catégorie des « travailleurs au noir » à celle des « travailleurs clandestins » et alimentent du jour au lendemain une catégorie nouvelle, celle des « sans-papiers » candidats à l’expulsion dès l’été 73.
À l’approche de l’échéance, Ordre nouveau, mouvement d’extrême droite, nationaliste et néofasciste, s’engouffre dans la brèche ouverte par le gouvernement et lance, le juin 1973, une campagne nationale « Halte à l’immigration sauvage ».
À Grasse comme ailleurs, les travailleurs immigrés se sentent menacés. Ils n’ont ni contrat de travail ni logement décent.
Le 11 juin 1973, ils tiennent un meeting en plein air dans la vieille ville, où beaucoup d’entre eux sont logés dans des taudis, et décident de faire grève le lendemain pour des contrats de travail et des logements décents. Dans la nuit, les murs de la cité se couvrent d’affiches noir et blanc « Halte à l’immigration sauvage », signées Ordre nouveau.
Le 12 juin, la grève est très suivie et deux cents à trois cents grévistes se retrouvent le matin devant la mairie de Grasse. Ils demandent qu’une délégation soit reçue par le maire, pour lui faire peur de leurs revendications.
Le maire ne les reçoit pas, réquisitionne les pompiers, fait disperser les travailleurs à la lance à incendie et appelle les CRS en renfort.
Dans l’après-midi, des groupes de grévistes déambulent et discutent dans la vieille ville, où beaucoup d’entre eux habitent. Vers 16 heures, les CRS interviennent vigoureusement à la matraque contre les groupes de grévistes, les artisans et commerçants de Grasse, munis de bâtons, se joignent aux CRS. La chasse à l’immigré jusqu’à l’intérieur des maisons dure toute la soirée et une partie de la nuit. Bilan : cinq blessés graves, deux cents arrestations.
Le lendemain, les habitants de Grasse créent un « Comité de vigilance des commerçants et artisans », dont l’objectif déclaré est : « Se débarrasser des mille oisifs qui portent atteinte au bon renom de la cité. » Le maire (centriste) déclare à la presse qu’il a convoquée : « Ces manifestations d’immigrés sont absolument scandaleuses et nuisent à l’ordre public. Il est non moins scandaleux qu’elles ne soient pas plus sévèrement réprimées. » Il ajoute : « C’est très pénible, vous savez, d’être envahi par eux. »
L’Express, le plus important des magazines d’information nationaux de ces années-là, rend compte des événements sous le titre suivant : « Les sorcières de Grasse. Quelque chose de grave est en train de naître, qui porte un nom : le racisme. »
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« Tour de table, accord unanime. Percheron continue sur sa lancée :
- Autre chose. Nos collègues de l’antenne SRPJ de Toulon nous ont contactés. Ils surveillent depuis un moment l’UFRA... Tout le monde est au clair sur l’UFRA ? Non ? L’Union des Français repliés d’Algérie, une des associations de défense des pieds-noirs, pas la plus importante, mais la plus remuante, avec son siège social dans le Var, et un goût prononcé pour l’illégalité. D’après nos collègues, un groupe armé de proches de l’UFRA a débarqué chez un notaire et a bloqué les armes à la main une vente aux enchères des biens saisis pour dettes d’un de ses adhérents. Ils ont récidivé un mois plus tard pour empêcher l’expulsion d’un exploitant agricole pied-noir qui ne payait pas son bail. Nos collègues en ont profité pour arrêter quelques membres de l’UFRA pour port d’arme prohibé et, au cours d’une perquisition au domicile de l’un d’eux, ils ont trouvé tout un arsenal du parfait petit chimiste pour bricoler une assez belle bombe. Dans le contexte actuel, après les accidents de Grasse et le climat tendu dans la région, nos collègues craignent que ça pète, d’une façon ou d’une autre. Le procureur de Toulon a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire. Et nos collègues ont trouvé dans les carnets des individus qu’ils ont arrêtés quelques adresses marseillaises, ils nous demandent donc de prendre contact avec eux pour des échanges d’informations. Je sais que mon prédécesseur a toujours été très réservé dans ses rapports avec l’antenne de Toulon. Mais il me semble que, dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas négliger cette demande. Daquin, j’ai pensé que vous pourriez vous charger de ce dossier avec votre équipe. Vous les contactez, et nous voyons ensemble les suites éventuelles.
La proposition est validée.
Quand la réunion est finie, le patron entraîne Daquin dans son bureau et lui communique les coordonnées des Toulonnais à joindre. Il ajoute sur le ton de la confidence :
- Soyons précis. Nous apportons notre soutien à nos collègues de Toulon, dans le cadre de l’enquête qui a été ouverte par le procureur de Toulon, mais pour l’instant aucune enquête n’est ouverte à Marseille. Il faut être d’autant plus prudent que je me suis laissé dire que nous avions des collègues de chez nous dans le circuit de l’UFRA. Je ne veux pas de conflits dans la Maison. D’autre part, ces gars de l’UFRA ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Certains militants risquent d’aggraver la tension avec l’immigration nord-africaine en jouant la provocation et la violence. Ceux-là, il faut les calmer. D’autres peuvent à l’avenir nous aider à encadrer cette population qui nous crée déjà pas mal de problèmes. Eux, ils les connaissent bien, les immigrés. J’aimerais que vous profitiez de cette demande des Toulonnais pour me faire un tableau précis de ce qu’est l’UFRA sur Marseille. Qui devons-nous craindre, sur qui pourrons-nous peut-être nous appuyer. Vous voyez, c’est assez simple.
- Je vois, et je ne trouve pas que ce soit simple, mais nous allons nous y mettre tout de suite. » (p. 20-21)
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Grimbert a soigneusement préparé son entretien avec le Gros Marcel. Aucune improvisation possible. Pour mener les recherches qu’il envisage, il doit d’abord obtenir son accord tacite, et ce n’est pas évident. Le Gros Marcel n’a pas de responsabilité hiérarchique définie, il se contente d’un grade de brigadier-chef aux fonctions incertaines. Il ne figure dans aucun organigramme, mais toute la vie de la Police urbaine passe par lui. Car le Gros Marcel la connaît mieux que la hiérarchie en place. Chacun vient lui parler de son service, de son travail, de ses problèmes, de sa vie. Il réunit de façon tout à fait officieuse ses « conseillers », des gens posés, peut-être un peu fatigués, donc sans ambition personnelle, qui viennent des différents services, et surtout qui appartiennent à l’un ou l’autre des puissants groupes d’intérêt organisés dans la police : le syndicat FO, les francs-maçons, le SAC (Service d’action civique), les associations de pieds-noirs… et jouissent de la confiance de leurs pairs. Il leur transmet les informations qu’il juge utile de discuter, et tous ensemble cherchent à désamorcer les conflits au sein de la police, à pacifier la gestion du quotidien. Leurs analyses et leurs suggestions sont transmises par Marcel aux directions officielles, qui les reprennent la plupart du temps et estiment qu’elles s’en portent bien. Le Gros Marcel fonctionne ainsi depuis quinze ans, et, bon an mal an, la police marseillaise a survécu à la prise du pouvoir par de Gaulle, qui ressemblait beaucoup à un coup d’État, à la création par le pouvoir gaulliste de son service d’ordre musclé, le SAC, peu regardant sur les méthodes employées et infiltré dans la police officielle, à l’abandon de l’Algérie en 1962, avec son cortège d’attentats et la mini-guerre civile menée par l’OAS, à l’arrivée massive de cent mille rapatriés dans la ville, dont beaucoup de policiers de l’ancienne colonie, directement intégrés dans les cadres de la police métropolitaine. Derniers soubresauts, en mai 1968, le pouvoir gaulliste répond aux contestations étudiantes et ouvrières en amnistiant tous les condamnés de l’OAS, sans doute pour s’en faire des alliés contre la « chienlit gauchiste », les prisons se vident, beaucoup d’amnistiés, et non des moindres, viennent s’installer dans la région de Marseille. Épidémies de braquages, coups bas et luttes d’influence dans la police, nouveaux problèmes… Puis de Gaulle est parti, en 69, et chacun sait maintenant que des hommes politiques sympathisants de l’Algérie française et de l’OAS participent au gouvernement à Paris.
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Malek Khider, 16 ans, est abattu en pleine rue. L’inspecteur Daquin fait les premières constatations qui semblent impliquer des policiers. Cependant, il n’est pas investi de l’enquête. Celle-ci est bâclée et conclut à un règlement de compte. Mais c’est sans compter la ténacité du père de la victime et du jeune inspecteur en butte à une police gangrénée par la corruption, le racisme et les clans plus ou moins mafieux (Corses, pieds-noirs proches de l’OAS).
Dominique Manotti est à la fois romancière, historienne et militante. Ces trois dimensions sont essentielles dans ce dernier roman. En tant qu’historienne, elle affirme s’attaquer aux « trous noirs de l’Histoire ». Ici, un épisode peu connu : en 1973, soit une dizaine d’années après la guerre d’Algérie, la France fait face à une série d’assassinats de Maghrébins, en majorité des Algériens, notamment à Marseille. En tant que romancière, Dominique Manotti se rattache plutôt au genre du « roman noir » elle nous plonge dans une ville et une époque. C’est la fin des 30 Glorieuses, une période de tensions économiques et sociales marquée par la montée du racisme, notamment dans cette ville où cohabitent une importante communauté algérienne et des rapatriés d’Algérie. Quant à la dimension militante? Comment ne pas établir de parallèle entre le racisme et les violences policières décrits dans le roman et ce qui se passe aujourd’hui avec le meurtre de George Floyd et le mouvement Black lives matter?
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Moi, de mon côté, je veux sortir le dossier de son enfermement dans le bourbier marseillais, avec ses connivences, ses arrangements, sa consanguinité. Si je n'y parviens pas, nous nous enfoncerons lentement et sûrement dans la stratégie habituelle la justice marseillaise, les délais, les reports, les recours, les contre-rapports, pour finir dans dix ans, enlisés dans un non-lieu, faute de preuve. Les juges et les flics d'ici sont les champions en la matière.
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Videos de Dominique Manotti (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Dominique Manotti
C'est l'histoire d'un golden boy qui a vu dans la folie du monde de la finance des années 1980 l'opportunité de construire un système d'arnaque à grande échelle. C'est aussi l'histoire d'un escroc rattrapé par la justice, qui a fini ses jours dans un pénitencier de Caroline du Nord ce mercredi 14 avril. C'est en somme l'histoire d'un véritable personnage de roman. Comment Bernard Madoff est-il devenu un symbole des dérives du capitalisme financier moderne ?
Guillaume Erner reçoit Dominique Manotti, écrivaine, ancienne professeure de l'histoire économique du XIXe siècle et auteure de l'ouvrage “Le rêve de Madoff” paru en 2013 aux éditions Allia.
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