*******
« Il faut, entendez-vous, jeune homme, il faut travailler plus que ça. J'arrive à vous soupçonner d'être légèrement caleux. Trop de putains ! Trop de canotage ! Trop d'exercice ! Oui, monsieur ! (…) Vous êtes né pour faire
des vers, faites-en ! Tout le reste est vain ».
La fête ! Dans les années 1870, le jeune écrivain ne songe qu'à cela, canoter à Chatou, courir les filles, chasser.
Gustave Flaubert sert de mentor littéraire à
Guy de Maupassant. En 1878, excédé, il le sermonne dans la lettre ci-dessus.
Atteint de la syphilis,
Maupassant va réaliser sa carrière littéraire durant les dix dernières années de sa vie, de 1880 à 1890, avant de mourir atteint de folie à 43 ans. Cela me rappelle
Vincent van Gogh dont la vie picturale dura une dizaine d'années, exactement les mêmes années que
Maupassant. L'écrivain, comme Vincent, va nous laisser une oeuvre importante : romans, récits de
voyages, théâtre, nouvelles et… des poèmes.
Je me délecte toujours des nouvelles de l'écrivain. J'ai découvert sa poésie et ai pris beaucoup de plaisir à la lire. Comment ne pas penser, dans cette forme versifiée, aux pittoresques courtes nouvelles de l'écrivain ? le style est très voisin de la prose. Certains poèmes sont des débuts de nouvelles, ou ont été écrits en prévision d'une nouvelle à venir : « Vénus rustique » ; « Propos des rues », conversation amusante entre deux messieurs décorés. J'ai retrouvé les thèmes chers à
Maupassant : l'humour, la présence de la mort, la nature, un amour débordant pour les femmes, de la cruauté et du fantastique.
La sensualité est le thème majeur de l'écrivain. Elle inspire plusieurs de ses plus beaux poèmes.
DÉSIRS : un chef-d'oeuvre de sensualité où l'homme exprime son désir d'amours éphémères, libres, souvent fugaces.
« Car j'aimerais cueillir l'amour sur mon passage,
Comme on cueille des fruits en étendant la main. »
LE MUR : Ce long poème, avec plusieurs passages érotiques, fut publié à l'origine dans une version écourtée, par crainte, comme ce fut le cas pour
Flaubert ou
Baudelaire, d'immoralité.
« La nuit douce rendait les hommes amoureux,
Au fond de leurs regards allumant une flamme.
Et les femmes allaient, graves, le front penché,
Ayant toutes un peu de clair de lune à l'âme !
Les brises charriaient des langueurs de péché. »
UNE CONQUÊTE : Un jeune homme suit une femme et rêve.
« Il la suivit — pourquoi ? — Pour rien ; ainsi qu'on suit
Un joli pied cambré qui trottine et qui fuit,
Un bout de jupon blanc qui passe et se trémousse.
On suit — c'est un instinct d'amour qui nous y pousse. »
AU BORD DE L'EAU : Pour ce magnifique et long poème érotique en quatre parties,
Maupassant eut besoin du soutien de
Flaubert pour le tirer d'une information judiciaire pour outrage aux bonnes moeurs. Certains passages ont dû choquer comme ce fut le cas pour
Baudelaire qui connut des propos journalistiques terribles envers quatre de ses poèmes à la parution des « Fleurs du mal » : « si l'on comprend qu'à vingt ans l'imagination d'un poète puisse se laisser entraîner à traiter de semblables sujets, rien ne peut justifier un homme de plus de trente d'avoir donné la publicité du livre à de semblables monstruosités. »
« Elle lavait son linge ; et chaque mouvement
Des bras et de la hanche accusait nettement,
Sous le jupon collant et la mince chemise,
Les rondeurs de la croupe et les rondeurs des seins.
Elle travaillait dur ; puis, quand elle était lasse,
Elle élevait les bras, et, superbe de grâce,
Tendait son corps flexible en renversant ses reins. »
LA DERNIÈRE ESCAPADE : Ce poème est superbe. Peu d'écrivains peuvent décrire la vieillesse avec ce talent.
Des vieillards sont portés par des valets hors de leur château et marchent dans l'allée :
« Deux vieillards très courbés qui vont à petits pas.
Ils traînent lentement sur les marches verdies
Les hésitations de leurs jambes roidies,
Et tâtent le chemin du bout de leur bâton. »
Ce couple se souvient. Cent années sont passées. Ils tombent et vont mourir :
« Mais un frisson bientôt courut par les allées.
Une averse entr'ouvrit les feuilles flagellées,
Ruisselante et claquant sur le sol avec bruit.
Et sur les deux vieillards qui grelottaient encore,
La pluie, en flots épais, tomba toute la nuit. »
Je considère
Maupassant comme l'un de nos plus grands écrivains. Ses poèmes laissent présager les oeuvres à venir.
***
Lien :
http://www.httpsilartetaitco..