Offense, Vx ou littér.= Action causant un dommage ou un trouble corporel à quelqu'un ou portant atteinte à l'intégrité de quelque chose.
C'est donc bien une offense que subit Kurtz Krüwel. C'est donc bien une offense que je souffris aussi à la relecture de ce livre (tombé dans ma pile à lire sous l'effet conjugué de mon chat en délire et de la linotte qui me sert de tête). Si
Ricardo Menendez Salmon n'était pas écrivain, il serait chirurgien. Spécialiste en chirurgie ambulatoire: cent-trente-huit petites pages d'un récit clinique à valeur de parabole. Ou médecin légiste: Cent-trente-huit pages d'autopsie d'un traumatisme de guerre avec scalpel et bistouri, sans tampon d'ouate douce ni gaz hilarant.
Kurtz Krüwel ne sera pas tailleur. Son compatriote Adolf en décida autrement. Enrôlé dans le 19° corps blindé de la 6° armée, le placide Kurt se distingue par son adresse à conduire un side-car garni de l'Hauptmann Löwitsch. Jusqu'au jour où la garniture coléreuse de son side-car brûle une petite centaine de villageois bretons dans une église, à titre de représailles. Löwitsch n'avait pas supporté la mise à mort de quelques soldats du Reich par la Résistance. Kurtz, lui, ne supporte pas l'exaction commise par sa propre armée. Face à l'horreur, il retire de sa chair toute forme de sensibilité.
Ce qui offre à
Ricardo Menendez Salmon l'occasion de commettre trois pleines pages sur les liens qui unissent le corps et l'esprit (pages qui ne viendront pas compléter un manuel de philosophie ni un traité de neurologie). Ce qui le conduit à confondre quelque peu sensibilité sensorielle et sensibilité émotionnelle au fil de son récit toujours aussi froid qu'un morceau de banquise dans un bloc opératoire.
Ce qui m'a amenée à m'agacer (et non pas me glacer). La douleur psychologique doit-elle siéger dans un organe ou s'inscrire dans un lieu corporel? A la page 95, les émotions se concentrent dans la nuque, ce qui prive Kurtz, l'insensible physique, de savourer sa paternité future; à la page 115, ce pauvre Kurtz ne peut sentir la peur qui lui aurait mordu la nuque, elle aussi (il n'attrapera pas la rage. C'est un mal pour un bien). A priori tout se passe dans la nuque chez Menendez Salmon. Mais à la page 118, voilà Kurtz devenu "crabe rapide et heureux", ravi par la musique (un mollusque mélomane n'est pas si fréquent) . Alors qu'à la page 124, il éprouve de l'effroi.
J'ergote peut-être. Mais le pivot de ce roman est la perte de la sensibilité physique pour cause d'horreur. Pas la perte des émotions. Et j'y perds mes sensations.
Je vous fais grâce de l'histoire de Kurtz qui parvient à jouer de l'orgue alors que la pulpe de ses doigts est aussi morte que les quatre-vingt-onze villageois ou qui engrosse une Ermelinde sans sensibilité et sans difficulté majeure. Cette histoire se veut allégorique, le corps de Kurt est devenu réceptacle de l'atrocité de 39-45. Gros soupir.
Pourtant, la scène finale, onirique, semble avoir été imaginée par
David Lynch. Pourtant quelques belles trouvailles littéraires émaillent le récit "Sur eux, implacable et anglaise comme la monarchie, la pluie continuait à tomber".
Mais (encore) la verve métaphorique de l'auteur m'a, parfois, déprimé la pupille. "(Il) regardait la pluie tomber en délicates vagues mauves telle une averse de vin rouge".
Ce n'était pas soirée pochtronnage, pourtant. Et comme j'étais sobre comme trois chameaux et un dromadaire, la délicatesse de l'averse de pinard m'échappait. Je me mis à boire. A force d'émettre des réserves, celle du patron s'imposait.
Après quelques bouteilles, je ne sus dire si ce bouquin était génie ou imposture.
Remise de ma gueule de bois, je n'en sais pas plus.